vapotage de cannabis

Un ingrédient controversé pourrait être utilisé au Canada

Alors qu’un premier cas de maladie pulmonaire sévère liée au vapotage vient d’être signalé au Canada, l’ingrédient soupçonné d’être à l’origine de cette mystérieuse affection, la vitamine E sous forme d’« agent de viscosité », fait officiellement l’objet d’une demande de brevet canadien pour un liquide de vapotage au cannabis. 

La demande a été présentée à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada par l’entreprise californienne Constance Therapeutics inc., qui produit des extraits de cannabis à des fins médicales. La vente au Canada de produits du cannabis Constance Therapeutics inc. n’est toutefois pas encore autorisée.

Les produits de vapotage contenant du THC (la molécule psychoactive du cannabis) seront en principe autorisés au Canada à partir de la mi-décembre, tant sur le marché récréatif que sur le marché médical. Selon les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis, « la plupart des patients » qui ont été atteints de la maladie pulmonaire sévère qui sévit en territoire américain avaient « des antécédents de consommation de cigarettes électroniques contenant du THC ».

Santé Canada, qui supervise le marché légal du cannabis au pays, assure suivre la situation américaine de près pour « mieux comprendre la nature de leur enquête sur la cause des cas observés ».

En date d’hier, les autorités sanitaires américaines dénombraient officiellement 380 cas de cette maladie pulmonaire dans 36 États. Six personnes en sont mortes – un septième cas fait l’objet d’une enquête en Californie – à la suite d’une dégradation importante de leurs poumons.

Cas au Canada

Les autorités médicales ontariennes ont de leur côté signalé hier ce qui serait le premier cas en territoire canadien. Il concernerait une « jeune personne » dont l’identité n’a pas été dévoilée. « Bien que nous ne soyons pas capables d’affirmer avec certitude que la maladie respiratoire qui a frappé cette jeune personne soit causée par le vapotage, nous ne voyons aucune autre cause identifiable », a affirmé le responsable du Bureau de santé de Middlesex-London, Chris Mackie.

La ministre de la Santé de l’Ontario a ordonné à tous les hôpitaux publics de signaler les cas de pneumopathie sévère liés au vapotage. Au Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux travaille quant à lui à « établir un processus de signalement des cas de maladie pulmonaire sévère potentiellement liés au vapotage », a indiqué la porte-parole Marie-Claude Lacasse.

Cette épidémie, encore mal comprise par les médecins, a poussé la semaine dernière le président Donald Trump à envisager l’interdiction totale des produits de vapotage aromatisés. Mais les enquêteurs américains ont depuis concentré leur attention sur l’« acétate de vitamine E », substance de plus en plus utilisée comme agent épaississant dans les liquides de vapotage au cannabis, surtout ceux du marché noir.

Le gouverneur de l’État de New York, Andrew Cuomo, a d’ailleurs ordonné que des saisies soient menées dans trois sociétés qui fournissaient ces « agents de dilution », retrouvés en « très haute concentration » dans les produits au cannabis impliqués.

La demande de brevet canadien déposée par Constance Therapeutics décrit un « procédé de préparation d’huile de cannabis » utilisant la vitamine E pour « réduire la viscosité » des produits de l’entreprise. Constance Therapeutics n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue, mais affirme sur sa page LinkedIn que la vitamine E qu’elle utilise est strictement d’origine végétale et n’a rien à voir avec l’« acétate de vitamine E », qui est, selon elle, un « extrait de mauvaise qualité ». La présidente, Constance Finley, ajoute que le liquide a été élaboré avec l’aide d’un chimiste et d’un biologiste moléculaire après que des oncologues eurent été consultés. 

Un produit peu contrôlé 

Largement utilisé dans l’industrie cosmétique pour la confection de crèmes et de savons, l’acétate de vitamine E n’est pas nocif en soi, mais il pourrait provoquer des pneumonies lipidiques s’il est inhalé. Les poumons métabolisent mal les gouttelettes huileuses qui s’en dégagent, ce qui provoque une inflammation des alvéoles. Les patients souffrent alors de toux intense, de douleurs thoraciques et parfois de vomissements. 

Il est extrêmement facile de se procurer de l’acétate de vitamine E, notamment sur eBay et Amazon. « La vitamine E a une viscosité très similaire à celle des extraits de cannabis (qui servent à la confection de cigarettes électroniques) et il n’a aucun goût. Les gens qui l’utilisent pour fabriquer des liquides de vapotage, principalement sur le marché noir, le font pour réduire les coûts tout en donnant l’impression que leur produit est pur », affirme Angelo Servedio, un Montréalais qui a conçu des cigarettes électroniques au cannabis pour des dispensaires par le passé. 

Frank Isenberg, qui a aussi fabriqué des cigarettes électroniques au THC pour des dispensaires, affirme que la plupart des fabricants canadiens qui fournissent les dispensaires du « marché gris » s’en tiennent à des recettes utilisant de la glycérine végétale ou du propylène glycol de grade pharmaceutique comme agents de viscosité. Ces deux composantes sont celles qu’on trouve aussi dans les e-liquides contenant de la nicotine et sont généralement considérées comme sécuritaires.

« On a vu apparaître la vitamine E aux États-Unis parce que le marché n’est aucunement réglementé là-bas, tout en étant extrêmement compétitif. Les gens tournent les coins rond pour épargner de l’argent. »

— Frank Isenberg

Plusieurs producteurs de cannabis autorisés par Santé Canada admettent qu’ils s’apprêtent à commercialiser sur le marché légal des produits de vapotage contenant des extraits de THC, mais assurent que la vitamine E ne sera pas utilisée comme agent de viscosité. « Nos produits ne contiendront que des extraits de cannabis tirés des plantes ; ils ne contiendront ni glycérine ni glycol », assure Adam Greenblatt, porte-parole de Canopy Growth, le plus important producteur de cannabis légal au pays.

L’ajout de vitamines dans les liquides de vapotage est déjà interdit en vertu de la Loi sur le tabac et les produits de vapotage. Avant de vendre des vapoteuses contenant du THC, les producteurs légaux de cannabis auront l’obligation de faire approuver leurs nouveaux produits par Santé Canada et de démontrer qu’ils respectent la réglementation. 

La Coalition pour le contrôle du tabac reproche à Ottawa de ne pas avoir assez encadré l’industrie du vapotage et du cannabis pour empêcher le scénario auquel on assiste aux États-Unis. « Au Canada, il n’y a pas de règlement propre aux produits de vapotage, et comme c’est un marché qui évolue constamment, nous ne sommes pas à l’abri de ce genre de problème », estime sa porte-parole Flory Doucas.

« Nous sommes devant une industrie qui fait de la grosse chimie, avec une réglementation faible et avec très peu de vérification. Moi, je trouve ça très inquiétant. » 

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.