Chronique

Confusion à la pharmacie

On attendait depuis longtemps que les pharmaciens élargissent leurs responsabilités pour désengorger et réduire les coûts du système de santé. Sauf que la tarification de leurs nouveaux actes crée de la confusion et de l’insatisfaction chez les patients qui se retrouvent à payer pour des services qui étaient gratuits jusqu’ici.

Prenez Francine qui devait renouveler une ordonnance la semaine dernière, incapable d’avoir un rendez-vous avec son médecin de famille avant décembre. Auparavant, son pharmacien contactait son médecin, qui renouvelait son ordonnance gratuitement, à distance.

Cette fois-ci, non. Son médecin ne donne plus ce coup de main par téléphone ou par fax, sans frais. Par contre, son pharmacien a renouvelé lui-même l’ordonnance, puisqu’il peut maintenant prendre cette responsabilité. Mais il a facturé 12,50 $. Assurée auprès du régime d’assurance médicament de la RAMQ (Régime d’assurance maladie du Québec), Francine n’a payé que 4,25 $ de sa poche.

Ce n’est pas la mer à boire. Mais avec ces nouveaux frais, il est dur de voir comment la province fera des économies. Les pharmaciens disent que la nouvelle mécanique évitera les interruptions de traitement qui peuvent conduire les patients aux urgences et entraîner des coûts bien plus élevés. Ça reste à voir.

Voyons maintenant le cas d’Isabelle qui s’est rendue à la pharmacie parce que sa fille avait des poux (ah ! quelle plaie). Après lui avoir parlé deux minutes, le pharmacien lui a recommandé un produit. En plus du prix du médicament, il lui a demandé 16 $ pour des conseils qui auraient été gratuits auparavant.

Étrange, non ? « Le pharmacien engage sa responsabilité. Désormais, il documente la consultation dans le dossier du patient. Cela mérite rétribution », m’a répondu l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP).

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Contrairement à Francine, Isabelle a eu du fil à retordre avec son assureur privé. Pourquoi ?

Le hic, c’est qu’il y a encore un gros trou dans la législation. Les assureurs privés ne remboursent pas encore leurs assurés, contrairement à la RAMQ, car la tarification n’a pas encore été adoptée.

On est dans les limbes depuis quatre mois. Les assurés doivent donc conserver leurs factures, en espérant que leur assureur acceptera de les rembourser rétroactivement lorsque la loi sera en vigueur.

Une chose est claire : les pharmaciens peuvent offrir à tous les patients sept nouveaux actes depuis le 20 juin dernier. Trois de ces actes sont gratuits. Mais les quatre autres sont rémunérés. On parle de prolonger une ordonnance, de prescrire un médicament qui ne nécessite pas un diagnostic ou pour une affection mineure ou encore d’ajuster un médicament pour atteindre une cible thérapeutique.

Les tarifs varient entre 12,50 $ et 18,50 $, plus un forfait annuel (40 à 50 $) ou mensuel (16 $) pour certains suivis.

Si les actes avaient été couverts par le régime d’assurance maladie, comme ceux accomplis par les médecins, les patients n’auraient pas eu à sortir un cent de leur poche. Mais Québec n’a pas pu résister à la tentation de les faire rembourser par le régime d’assurance médicaments, refilant ainsi une grande partie des coûts au privé qui couvre 60 % de la population.

Mais au moins, on a évité le pire, car les tarifs des nouveaux actes seront identiques à la RAMQ et au privé, en vertu de l’entente de principe entre Québec et l’AQPP (entente qui n’est pas encore publique pour rendre les choses encore plus nébuleuses !).

Sans cette entente, les pharmaciens auraient pu demander plus cher aux patients du privé, comme ils le font déjà allègrement pour les médicaments.

Une étude indépendante réalisée en 2013 a démontré que les Québécois assurés au privé paient 17 % de plus que ceux du public, en moyenne.

Depuis le temps qu’on dénonce cet écart, les pharmaciens ne se gênent plus pour dire qu’ils n’ont pas le choix d’imposer des honoraires plus élevés au privé, parce que Québec négocie trop serré pour les assurés de la RAMQ.

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Récemment, on a encore eu droit à un bel exemple de cette injustice.

Cet automne, Québec a sabré 133 millions dans les honoraires des pharmaciens qui avaient beaucoup augmenté à cause du recours accru aux piluliers.

Les pharmaciens n’étaient pas contents. Certains ont même protesté en imposant des frais « Barrette », comme 10 $ pour un relevé des médicaments, par exemple. En passant, ces frais accessoires sont légaux. Mais ils ne sont pas remboursables.

Pour faire avaler les compressions aux pharmaciens, Québec a accepté de déplafonner les ristournes que les fabricants de médicaments génériques versent aux pharmacies sous forme d’allocations professionnelles.

Au final, l’opération a permis à Québec de récupérer 133 millions par année. Mais les assurés du privé, eux, n’ont rien économisé du tout. Ils n’ont pas de pouvoir de négociation face aux pharmaciens. Pas de contrôle sur les prix qu’ils imposent à leur clientèle.

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Dans ce contexte, il est bien difficile de contenir l’escalade des coûts des régimes privés… et des primes d’assurance. Mais il y a des avancées.

Depuis le 1er octobre, les assurés du privé qui souhaitent absolument prendre un médicament original seront remboursés en fonction du prix du générique. Jusqu’ici, Québec forçait les assureurs privés à rembourser au moins les deux tiers du montant de l’original, une contrainte que la RAMQ n’avait pas.

Pour illustrer le changement, prenons un médicament original qui coûte 100 $ alors que le générique n’en coûte que 18 $. Désormais, un assuré du privé devra payer 85,60 $ de sa poche s’il opte pour l’original, alors qu’il aurait dû payer seulement 34 $ auparavant.

Une telle facture incitera certainement le patient à migrer vers le médicament générique moins coûteux, ce qui réduira les coûts pour lui et pour l’ensemble de son régime.

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