CHRONIQUE COURSE À LA DIRECTION DU PQ

Lisée ou Cloutier ?

Jean-François Lisée ou Alexandre Cloutier ? La comparaison est difficile, car ces deux hommes sont aux antipodes l’un de l’autre.

Si l’on évalue les deux meneurs de la course à la direction du Parti québécois sous les seuls angles de la compétence et de l’envergure intellectuelle, M. Lisée devance de loin son adversaire.

L’ancien journaliste a du coffre, de la présence, de la pugnacité, de l’autorité naturelle, un bon instinct politique. Il s’exprime à merveille, il a le sens du leadership. Argument de poids en sa faveur : c’est lui que les libéraux et les caquistes craignent le plus. Lui seul pourrait forcer Philippe Couillard à sortir de sa torpeur.

M. Cloutier, face à M. Lisée, a l’air d’un poids léger. Il a 20 ans de moins, un détail qui compte. Il a moins d’expérience politique, et son passage au ministère des Affaires intergouvernementales n’a pas laissé de trace. Quand elles s’écartent des lieux communs, ses idées sont souvent saugrenues : un chèque de 50 $ pour inciter les immigrants à voir des spectacles francophones ? Une pétition de 1 million de signatures pour déclencher un référendum ?

Sur l’enjeu fondamental de la souveraineté, sa stratégie est floue et manque de détermination sinon de courage. Ainsi, il se désiste à l’avance de ce qui devrait être sa responsabilité première, en remettant aux délégués du conseil national la décision de convoquer (ou non) un référendum.

Ses partisans espéraient « surfer » sur la vague de Justin Trudeau : même génération, beau garçon, trois jeunes enfants, allure aimable et conviviale… Mais M. Trudeau, sous ses dehors nonchalants, a un instinct politique très aiguisé. Ce ne semble pas être le cas de M. Cloutier.

Sous l’angle de la formation scolaire, M. Cloutier domine toutefois son adversaire : maîtrise à Oxford, scolarité de doctorat en droit constitutionnel… M. Lisée, qui s’est toujours bien occupé de sa propre publicité, a laissé planer l’équivoque sur ses anciennes fonctions de directeur du Centre d’études en relations internationales de l’Université de Montréal, comme s’il était un grand spécialiste en la matière. En réalité, loin d’être un chercheur ou de faire partie du corps professoral, il n’était qu’un fonctionnaire chargé de l’intendance du CERIUM. 

La vérité, c’est que M. Lisée est, comme bien des journalistes, un brillant dilettante.

Sous la houlette candide de Véronique Hivon, le PQ rêvait à l’union des forces indépendantistes et envisageait de modifier son programme pour se rapprocher de Québec solidaire et d’Option nationale, deux petits partis dont l’un est marginal et l’autre pratiquement inexistant.

Jean-François Lisée est le seul des deux meneurs à rompre carrément avec cette stratégie illusoire, et à viser plutôt les électeurs de la Coalition avenir Québec, le seul parti qui menace l’hégémonie du PQ chez les francophones, et que le PQ doit absolument cannibaliser s’il veut prendre le pouvoir. C’est une réalité que M. Lisée a bien comprise. Son glissement vers la droite identitaire et son engagement à ne pas tenir de référendum dans un premier mandat sont les deux pivots de cette stratégie visant à attirer l’électorat caquiste.

Même s’il en met plus que le client en demande, même si ses positions s’inspirent de la pire tradition nationalo-xénophobe, il reste que l’idée d’aller battre la CAQ sur son propre terrain démontre que M. Lisée a un sens politique plus développé et plus réaliste que ses adversaires.

Par contre, sur le plan de la morale et de la décence, Alexandre Cloutier domine de loin son adversaire. Sur les questions identitaires, le candidat du Saguenay est un modéré. Fidèle à la tradition d’ouverture des Lévesque et des Bouchard, il évite les « solutions » radicales et incendiaires prônées par M. Lisée (interdiction du voile intégral, privation des nouveaux citoyens de leurs droits civiques, retour partiel à la disposition la plus répressive de la charte des valeurs, politiques anti-immigration, etc).

Les péquistes doivent se demander s’ils veulent vivre dans la société marquée par le sectarisme et l’intolérance qu’annonce le programme identitaire de M. Lisée.

Il y a enfin la question du caractère – plus qu’un détail, car un chef de parti est aussi un gestionnaire, qui doit avoir de bons rapports avec ses troupes. (Ce n’était pas le cas de René Lévesque, mais ni Cloutier ni Lisée ne sont René Lévesque.)

M. Cloutier a reçu l’appui de la majorité des députés parce que c’est un homme droit et affable et un bon travailleur d’équipe, alors que M. Lisée est notoirement arrogant et hautain. Quatre jours avant l’élection, il avait déjà commencé à former son Conseil des ministres – Alexandre Cloutier à l’Éducation, François Gendron à l’Agriculture… Il peut aussi, quand la passion politique l’emporte, faire preuve d’une mauvaise foi caractérisée. Les bouquins qu’il a consacrés à la « trahison » de Robert Bourassa sont un sommet dans le genre.

Habile, cynique, capable aussi de dérapages spectaculaires, M. Lisée, s’il est élu chef, pourrait être à certains égards une bombe à retardement, pour emprunter le jugement qu’il portait lui-même sur Pierre Karl Péladeau.

Son recours odieux à la méthode de « culpabilité par association », quand il a associé Alexandre Cloutier au sulfureux Adil Charkaoui, lui a permis de grimper instantanément dans les sondages… mais a démontré en même temps qu’il est capable de tout pour arriver à ses fins.

Jean-François Lisée a 58 ans. À cet âge, on ne change plus fondamentalement. Alexandre Cloutier a 39 ans. Il peut encore, comme on dit, « croître dans la fonction » et acquérir l’étoffe et la maturité politique qui lui manquent aujourd’hui.

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