Sextage entre adolescents

Parler aux jeunes de « queue » et de « chatte » pour prévenir les dérives 

Inquiète du phénomène du sextage entre mineurs, la police de Gatineau vient de lancer une campagne de prévention audacieuse. La Presse s’est rendue dans une polyvalente pour assister à l’un de ses ateliers où il a été beaucoup question de « chatte » et de « queue ». Récit d'un après-midi sans censure.  

Gatineau — « Cet après-midi, on parle de sexting et de porn. »

Devant une classe de première secondaire d’une polyvalente de Gatineau, le policier Jason Hébert vient de capter l’attention de la vingtaine de garçons de 12-13 ans qui – jusque-là – avaient l’air plutôt endormis.

« On s’entend : on va parler de pénis, de vagin, de fourrer », ajoute l’avocate du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) Andrée-Anne Tremblay pour être certaine de les garder éveillés.

Le phénomène du sextage entre mineurs fait de plus en plus de ravages. La Presse révélait, hier, le cas d’une dizaine de joueurs de football d’une polyvalente de l’est du Québec qui auraient fait une quinzaine de victimes mineures.

Or, c’est un scénario qui se répète ailleurs dans la province, notamment en Outaouais.

Dans une municipalité de cette région qu’on ne peut pas nommer pour protéger l’identité des mineurs, 23 élèves ont été accusés après avoir échangé des photos intimes de filles de leur école secondaire.

Pour capter l’imaginaire, les autorités utilisent la métaphore des cartes de hockey afin d’illustrer à quel point les accusés banalisent leur geste. 

« Les garçons s’échangeaient les photos de filles comme si c’étaient des cartes de hockey. Je t’échange la photo de Jade contre celle de Noémie. »

— Me Andrée-Anne Tremblay, procureure au Bureau des affaires de la jeunesse du DPCP

À elle seule depuis 2014, la police de Gatineau a traité 80 dossiers d’enquête liés au sextage entre mineurs et à la publication non consensuelle d’images intimes. Dans la majorité des cas, les accusés n’ont même pas 15 ans.

Pour tenter de freiner le fléau, la police de Gatineau et le DPCP ont lancé une vaste campagne de prévention le mois dernier dans le cadre de laquelle ils font une tournée des classes de première secondaire.

Sans gants blancs

Retour dans la salle de classe de la polyvalente Nicolas-Gatineau. « On vient vous dire quoi ne pas faire si vous ne voulez pas que je porte des accusations contre vous », avertit Me Tremblay d’un ton grave devant la vingtaine de garçons dont plusieurs ne semblent pas encore sortis de l’enfance.

Les intervenants ont séparé les garçons des filles pour faciliter les confidences. Ils ne prennent pas de gants blancs. « Si tu prends une photo de ton pénis et que tu l’envoies à ta blonde, est-ce que c’est légal ou illégal ? », leur demande la procureure.

« Illégal ? », répondent en chœur quelques garçons d’un ton incertain.

« Bonne réponse. La croyance populaire veut qu’entre mineurs, c’est légal, mais non, c’est illégal », insiste le policier dynamique.

L’avocate multiplie les exemples concrets. « Tu veux faire une joke pis tu prends une photo du pénis de ton chum à l’urinoir. C’est de la production de porno juvénile. Tu l’envoies à tes chums, c’est de la distribution de porno juvénile », renchérit l’avocate.

Les garçons se lancent alors des regards complices.

« Dans le corridor, entre deux casiers, tu montres à tes chums des photos coquines que tu as reçues de ta blonde sur ton cellulaire en fin de semaine. C’est aussi de la distribution de porno juvénile. »

— Me Andrée-Anne Tremblay, procureure au Bureau des affaires de la jeunesse du DPCP, lors d’un atelier de prévention

« Si vous recevez la photo sexy d’une camarade de classe que vous n’avez pas demandée, vous faites quoi avec la photo ? », demande Me Tremblay.

Encore une fois, les garçons sont trop gênés pour répondre. Un garçon lève la main timidement : « Je la supprime. »

« Et les autres ? Vous la gardez ? », leur lance la procureure du tac au tac.

Des garçons esquissent des sourires.

« On le sait que vous n’aimez pas ça snitcher [dénoncer], intervient le policier, et que vous n’appellerez sans doute pas la police pour dénoncer votre chum qui vous l’a envoyée, mais si c’est une fille que vous connaissez, ce serait une bonne idée d’aller voir la travailleuse sociale de l’école ou la fille elle-même pour l’avertir que sa photo circule. »

À quatre pattes en bobettes

Les exemples changent lorsque le duo se retrouve devant le groupe de filles. « Si tu envoies une photo de toi à quatre pattes en bobettes sur ton lit avec un doigt sur la bouche, même si tu n’es pas nue, c’est explicite, ça aussi c’est illégal », affirme la procureure.

Durant un peu plus d’une demi-heure, avec un franc-parler et une bonne dose d’humour, le policier et la procureure leur expliquent les infractions relatives au sextage entre mineurs.

« Le gars va te promettre qu’il ne montrera ta photo à personne, mais crois-moi, dès que tu l’as envoyée, ça ne prendra pas 30 secondes qu’il va la partager à ses contacts. J’ai vu ça tellement de fois dans mes dossiers », décrit l’avocate aux adolescentes attentives.

Le policier et l’avocate cèdent ensuite leur place à deux intervenantes du Centre d’aide et de lutte contre les agressions sexuelles (CALAS) qui viennent leur parler de séduction et de rapports égalitaires.

Parfois, une fille éclate en sanglots durant l’atelier. « On a eu des dévoilements en pleine classe », raconte à La Presse l’intervenante du CALAS Isabelle Dubé.

« On a vu des familles forcées de déménager pour changer leur fille d’école – même changer de région –, car elle était victime d’intimidation après avoir envoyé une photo intime », décrit pour sa part la criminologue Isabelle Plante qui travaille au Service de police de la Ville de Gatineau.

La plupart du temps, malheureusement, leur photo – impossible à faire disparaître du web – finit par les rattraper dans leur nouvelle école, poursuit la criminologue.

Moyen de séduction

« On se rend compte que beaucoup d’ados ne font pas ça avec des intentions malveillantes. C’est leur moyen de séduction », affirme l’agente Sandrine Poulin qui travaille aussi dans les écoles de Gatineau.

Pour certains gars, toutefois, obtenir la photo intime d’une camarade de classe correspond à un trophée. « Plus tu en as, plus tu es cool. On se fait dire que certains forment des groupes privés sur les réseaux sociaux où ils s’échangent des photos », dit la policière.

Le clou de leur présentation, ce sont des images téléchargeables de boules (de billard), de queues (de lézard) et d’une chatte. « Si quelqu’un te demande un “dick pic” ou une photo de ta chatte, tu peux leur envoyer celles-là », conclut l’agent Hébert devant des airs amusés.

La cloche de la fin de la période sonne. Les élèves se lèvent d’un bond. Ils se dépêchent de sortir du local pour récupérer leurs cellulaires – interdits en classe – et ils se mettent à pianoter devant leur case.

Démarches de prévention

À Laval

Après l’arrestation de 10 adolescents de 13 à 15 ans qui échangeaient des photos coquines de camarades de classe en 2013, le Service de police de Laval a bâti un programme de prévention sur les conséquences du sextage. « Les jeunes n’avaient aucune idée que c’était criminel », souligne l’agent d’intervention communautaire Maxime Rheault. En collaboration avec la commission scolaire de Laval, les policiers ont sensibilisé tous les intervenants scolaires, puis les parents lors des rencontres de bulletins en plus de faire la tournée de toutes les classes de première et de deuxième secondaire de la ville. « À chaque atelier ou presque, on a eu un jeune qui nous a dit avoir été victime de sextos », raconte l’agent Rheault. C’est dire à quel point le phénomène fait des ravages.

À Longueuil

Depuis janvier dernier, le Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) fait une tournée des classes de deuxième secondaire pour animer des ateliers sur le partage d’images intimes. « Les jeunes se disent : si tout le monde le fait, pourquoi pas moi ? Ils craignent d’être rejetés ou intimidés s’ils ne le font pas », explique l’agente Fannie Perras du SPAL. « Envoyer une photo de ses organes génitaux, c’est devenu une façon pour les jeunes d’entrer en relation », ajoute pour sa part Isabelle Lepage, chargée de projet de la Table jeunesse Samuel-de-Champlain avec qui s’est associée le SPAL pour bâtir les ateliers. Dans le volet interactif du projet, les jeunes sont sondés pour savoir s’ils ont déjà reçu, envoyé ou partagé une image intime. Les résultats de cette expérience sans prétention scientifique sont fascinants : un jeune sur deux prétend l’avoir déjà fait, indique Mme Lepage.

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