Chronique

Montréal est un léopard

Alors que beaucoup de villes favorisent la création de ghettos culturels de toutes sortes, Montréal emprunte une autre voie. En quelques années, la métropole a atteint un objectif rare : celui de faire tomber les cloisons et de mélanger les cultures et les classes sociales. Il y a de quoi bomber le torse.

La publication du reportage de mes collègues Martin Tremblay et Pierre-André Normandin sur le boulevard Saint-Laurent est une occasion extraordinaire de revenir sur le concept de quartier ethnique. Ces quartiers qui donnent l’impression de voyager à l’intérieur d’une même ville sont-ils en perte de vitesse ? Ont-ils encore leur raison d’être ? Offrent-ils encore aux nouveaux arrivants un sentiment d’appartenance et de sécurité ?

J’ai abordé la question avec deux spécialistes de la chose, Annick Germain et Xavier Leloup, deux professeurs-chercheurs de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Ces deux-là en ont long à dire sur le sujet. Ils ont été formels : les « quartiers ethniques » sont de moins en moins habités par des citoyens censés représenter le caractère culturel dudit quartier (italien, portugais, chinois, grec, etc.).

Ces quartiers sont aujourd’hui constitués de commerces d’une même culture, mais attirent de moins en moins les nouveaux arrivants. Cela est une excellente nouvelle, selon les deux chercheurs, car cette tendance démontre une meilleure intégration de la part des nouveaux arrivants. Mais aussi, on peut le supposer, un meilleur accueil de la part des Montréalais. Une plus grande ouverture, sans doute.

Pour arriver à ce constat, les chercheurs ont scruté des cartes de localisation résidentielle. On découvre que les immigrants se trouvent maintenant partout dans la ville. Autrefois formée de secteurs où se concentraient respectivement les anglophones et les francophones, les riches et les moins nantis, les nouveaux arrivants et les « Montréalais de souche », la ville offre aujourd’hui une plus grande répartition de sa population.

La ville de Montréal est devenue, au fil du temps et des expériences, multiethnique. Annick Germain me disait que l’arrondissement le moins multiculturel de Montréal, soit celui de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, est maintenant constitué d’un tiers d’immigrés, encore plus si on ajoute les citoyens dont les parents sont nés à l’étranger. Alors, imaginez les autres arrondissements.

Pour illustrer ce phénomène, Annick Germain utilise l’image d’une peau de léopard qui recouvrirait la ville de Montréal. Et ce qui est fascinant, c’est que cet effet « peau de léopard » est propre à Montréal. On ne retrouve pas la même situation ailleurs, dans d’autres villes.

Les deux spécialistes ont souligné qu’à cause de son caractère francophone, Montréal accueille une plus grande diversité culturelle que les autres villes du pays. Et ces nombreux immigrants qui choisissent Montréal n’ont pas du tout envie d’aller se greffer à leurs compatriotes.

« Ils ont quitté leur pays pour passer à autre chose, pour se construire une nouvelle vie. Ils ne veulent donc pas aller s’installer dans un quartier qui va les replonger dans leur passé », m’a expliqué Annick Germain. De son côté, Xavier Leloup a insisté sur le fait que les nouveaux arrivants étaient beaucoup plus instruits que ceux qui ont formé les premières vagues de migrants. Ils arrivent ici avec une expérience urbaine, m’a-t-il dit.

Un autre facteur qui explique ce phénomène est le rôle des nouvelles technologies. Les immigrants qui sont arrivés ici dans les années 30 ou 40 tentaient de recréer une famille ou un réseau d’amis. C’est comme cela qu’est née la Petite Italie, dans le nord du boulevard Saint-Laurent. Aujourd’hui, les nouveaux arrivants peuvent plus facilement rester en contact avec leurs proches restés dans leur pays d’origine grâce à l’internet (Skype, courriels, etc.).

Je suis heureux d’entendre ces propos. J’avais cette impression de mélange depuis quelque temps. Mais bon, une impression demeure une impression. Les études de ces deux spécialistes de la sociologie urbaine (ils ont compilé notamment des données de recensement) nous démontrent que ce mélange est bien réel.

On se demande souvent si les efforts de groupes de défense pour des logements abordables ou une meilleure cohabitation entre citoyens donnent des résultats. Les conclusions de ces chercheurs nous démontrent que nous avons eu raison d’aller dans cette direction au cours des dernières décennies.

Victor Hugo a déjà écrit que « chaque ville finit par être une personne ». Le vieux poète avait raison. Tellement raison.

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