Chronique Alain Dubuc

L’obsession du compte de taxes

En 2017-2018, les revenus autonomes du gouvernement du Québec auront augmenté de 3,1 %. En 2018-2019, ce sera de 3,4 %. À Ottawa, les augmentations de revenus sont de 4 % et de 3,2 %.

Avez-vous déjà entendu quelqu’un, quelque part, s’indigner du fait que la hausse des revenus de ces deux gouvernements était supérieure à l’inflation ? Non. Au fédéral et au provincial, ce n’est pas un critère, et ce débat n’existe tout simplement pas.

Comment se fait-il, alors, qu’au municipal, ce soit devenu une espèce de dogme, qui domine la confection des budgets et qui a forcé, très récemment, les candidats à la mairie de Montréal à en faire un engagement formel ? Pourquoi les contribuables montréalais trouvent inacceptable que leur compte de taxes augmente plus vite que l’inflation mais acceptent sans broncher la même chose quand ils sont contribuables à Ottawa et à Québec ?

Parenthèse. Cette chronique ne cherche pas à dédouaner la mairesse de Montréal, Valérie Plante, qui a promis en campagne de limiter la hausse des taxes à l’inflation et qui, dans son premier budget, n’a pas respecté sa promesse en faisant grimper le compte de taxes de 3,3 % en moyenne et qui, en plus, a persisté à dire qu’elle respectait sa promesse, en jouant sur les chiffres et les mots.

Il n’en reste pas moins que ce dogme est un carcan, pas nécessairement logique, pas nécessairement souhaitable.

Assez pour que ça vaille la peine de comprendre d’où il provient et de chercher à avoir une vision plus subtile de la fiscalité municipale.

Une des grosses différences entre les gouvernements supérieurs et les administrations municipales, c’est la source des revenus. À Ottawa et à Québec, environ les trois quarts proviennent de trois postes – l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les profits et les taxes à la consommation (ce à quoi s’ajoutent, au Québec, les transferts fédéraux). Ces revenus augmentent naturellement avec la croissance économique – plus d’emplois, de plus gros salaires, plus de consommation, plus de profits. Les ministres des Finances n’ont donc rien à faire, l’argent rentre sans qu’ils aient à bouger le petit doigt et cela passe comme une lettre à la poste.

Dans une ville comme Montréal, près des deux tiers des revenus proviennent des taxes résidentielles. Les taxes foncières dépendent de la valeur des propriétés. Comme celle-ci a explosé depuis quelques années, le revenu de la taxe foncière exploserait lui aussi, si les villes n’ajustaient pas le taux de taxation pour que les hausses soient raisonnables. C’est là le problème. Comme le niveau des revenus de la ville résulte d’une décision délibérée de l’administration municipale, qui doit poser un geste pour déterminer le niveau idéal de taxation, on les surveille de près, on exige des engagements.

À cela s’ajoute un autre facteur. Au niveau fédéral et provincial, les citoyens et les entreprises paient plus d’impôt quand leurs revenus augmentent, on ne peut donc pas parler d’une hausse de leur fardeau fiscal. La taxe foncière, elle, augmentera même si, à court terme, la situation financière du citoyen ne s’améliore pas. C’est encore plus vrai pour les locataires qui finissent par en subir les conséquences.

En outre, le fait que les villes soient des gouvernements de proximité fait en sorte que les citoyens veulent exercer un plus grand contrôle et qu’ils expriment un désir plus marqué d’en avoir pour leur argent.

Mais ce dogme a des effets pervers. Le premier, c’est que s’il était vraiment appliqué, le plafonnement des revenus à l’inflation reviendrait à imposer un gel permanent des dépenses municipales. On sait, qu’au niveau provincial, c’est impossible sans de lourdes conséquences. Peut-on y arriver à Montréal, quand ses responsabilités augmentent et que les citoyens veulent plus de services, des transports en commun aux parcs en passant par la voirie et le déneigement ? Et qu’environ la moitié de ses dépenses sont des salaires qui augmentent plus que l’inflation ?

Dans les faits, cependant, ce n’est pas ce qui se passe. On a tellement les yeux rivés sur le compte de taxes qu’on ne s’aperçoit pas que les revenus augmentent beaucoup plus – parce qu’il y a d’autres sources de revenus qui grimpent plus vite, parce qu’il y a plus de résidences ou d’espaces commerciaux à taxer. Dans les faits, le chiffre magique, cette année, ce n’est pas la hausse de 3,3 % des taxes foncières. C’est l’augmentation globale des revenus de 5,2 % en 2018, et l’augmentation équivalente de 5,2 % des dépenses, ce qui est considérable.

Pour l’avenir, deux pistes de réflexion nous aideraient à y voir plus clair dans les finances municipales. La première, c’est d’oublier ce dogme des revenus limités à l’inflation, et d’évaluer le bien-fondé des hausses des dépenses et des revenus sur une autre base, par exemple le Produit intérieur brut, comme à Ottawa et à Québec, qui reflète mieux la capacité de payer de la région métropolitaine.

Mais l’essentiel, c’est de savoir si le niveau de dépense est raisonnable, si les fonds sont bien dépensés, si on en a pour notre argent. Et ça, on n’en a pas la moindre idée. Quoiqu’on puisse avoir des soupçons qui n’ont rien d’élogieux. On ne dispose pas d’outils pour évaluer la performance de la gestion montréalaise, on n’a pas de base de comparaison, notamment parce que Montréal est la seule ville de très grande taille de du Québec. Ce devrait être un sujet de réflexion pour les années à venir.

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