Portfolio  Marché du carbone

Six questions pour comprendre

L’Ontario a décidé cette année d’adhérer au marché du carbone sur lequel misent le Québec et la Californie pour réduire leurs émissions de gaz à effets de serre (GES). D’autres États se montrent intéressés. Six questions pour comprendre cette mécanique complexe.

QU’EST-CE QUE LE MARCHÉ DU CARBONE ?

Le Québec fait partie, tout comme la Californie, de la Western Climate Initiative (WCI). Il s’agit d’un marché réglementé de plafonds et d’échange des droits de polluer. Il est destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à inciter les entreprises à adopter des pratiques responsables. C’est le plus important après celui de l’Union européenne. Il couvre 85 % des émissions de GES.

Le gouvernement établit un plafond sur les émissions de GES dans tous les secteurs de l’économie, sauf l’agriculture et les déchets. En 2015, le plafond est fixé à 65,3 millions de tonnes d’équivalent CO2. Cette limite diminue progressivement chaque année.

« Chaque émetteur doit avoir un droit d’émission pour chaque tonne qu’il émet. C’est un peu comme un permis de chasse », illustre Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie.

COMMENT FONCTIONNE-T-IL  ?

Une partie des droits sont remis gratuitement aux entreprises réglementées par le gouvernement. Les autres unités d’émission sont vendues aux enchères par le gouvernement quatre fois par année. Le prix minimal est fixé, et il augmente de 5 %, plus l’inflation, par année.

Les droits peuvent aussi être acquis sur le marché volontaire, où les transactions se font de gré à gré ou par un intermédiaire. Une entreprise qui a émis moins de CO2 que prévu peut ainsi vendre ses surplus de droits. « Ce marché permet aussi à une entreprise d’exploiter un programme de réduction des GES et de vendre ses crédits de carbone. C’est notamment le cas des entreprises qui œuvrent dans la gestion des matières résiduelles. Le prix n’y est pas réglementé, il est fixé par l’offre et la demande », explique Yves Legault, vice-président de National Écocrédit, une entreprise spécialisée dans les échanges de droits de carbone.

QUELLES ENTREPRISES Y SONT ASSUJETTIES  ?

Les entreprises qui émettent plus de 25 000 tonnes de CO2 par année sont obligatoirement assujetties. C’est notamment le cas des raffineries, des papetières, des alumineries et d’Hydro-Québec. Depuis janvier 2015, les importateurs et distributeurs de carburant et de combustibles fossiles sont aussi concernés.

QUEL EST L’OBJECTIF DU QUÉBEC  ?

Québec veut réduire de 20 % les émissions de GES par rapport au niveau de 1990. Le plafond d’émission en 2020 sera de 54,7 millions de tonnes.

Pour 2030, l’objectif actuellement discuté est plus ambitieux : on vise une réduction de 37,5 %, toujours sous le niveau de 1990. Ce sera un grand défi pour le Québec, où le transport est responsable de 44 % des émissions.

« Le gouvernement devra se doter de véritables politiques publiques pour réduire notre dépendance au pétrole et répondre aux problèmes d’aménagement du territoire, de densification urbaine et de transport collectif. Sinon, on n’y parviendra pas », estime Annie Chaloux, chargée de cours à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.

COMMENT FONCTIONNE LE PARTENARIAT AVEC LA CALIFORNIE  ?

Le 1er janvier 2014, le Québec et la Californie, qui étaient les seuls États de la WCI qui étaient prêts, ont joint leurs systèmes. C’est ainsi qu’est né le marché commun.

« Les deux marchés sont complètement liés. On reconnaît les émissions du Québec et de la Californie. Tout crédit carbone peut être acheté de part et d’autre de la frontière », explique Annie Chaloux.

Ainsi, une entreprise québécoise peut acheter des crédits compensatoires à une entreprise californienne, et vice-versa.

Cela permet aux entreprises du Québec d’avoir accès à un plus grand nombre de droits d’émission à meilleur coût. « Le plan du gouvernement a toujours été de réduire les émissions de 20 %, en sous-entendant que ce serait des réductions au Québec. Toutefois, avec la mécanique du marché du carbone, il n’y aura peut-être pas de réduction des GES en sol québécois », déplore Pierre-Olivier Pineau.

LA RÉALITÉ QUÉBÉCOISE SE COMPARE-T-ELLE À CELLE DE LA CALIFORNIE  ?

« Non, on ne parle pas du tout du même marché, répond spontanément M. Pineau. La Californie produit 450 millions de tonnes de GES par an, alors que nous sommes à 82 millions de tonnes. » L’industrie y est aussi plus diversifiée. Pour 2020, l’État américain a une cible de stabilisation : il veut revenir au niveau d’émission de 1990.

« Ça semble moins ambitieux que nous, mais il faut faire attention, prévient Annie Chaloux. Quand le Québec a adhéré au marché de carbone, il avait déjà réduit ses émissions de 6 % par rapport à 1990. La Californie les avait augmentées. C’est un effort considérable de revenir à 0. Le coût de l’électricité est extrêmement cher, ce qui n’est pas le cas ici. Et ce n’est pas si facile de fermer une centrale au charbon ! Les gens craignent que ça ne coûte plus cher de réduire les émissions au Québec qu’en Californie. Pour l’heure, ça ne semble pas être le cas. »

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