Chronique

Bâtisseurs de ponts demandés

Nous sommes tous responsables du climat social qui permet aux discours haineux de se propager et à des idées extrémistes d’être banalisées, disais-je samedi, au lendemain de l’attentat dans deux mosquées en Nouvelle-Zélande qui a fait 50 morts.

Mais que peut-on faire concrètement ? m’ont demandé plusieurs lecteurs qui se sentent impuissants et découragés. Comment en finir avec le clivage « eux » et « nous » ?

Cette vaste question est justement le sujet du livre Vivre la diversité de l’auteur torontois Shakil Choudhury, dont le travail, depuis plus de 20 ans, consiste à aider à établir un dialogue interculturel au sein de communautés en conflit à travers le monde. Il a notamment travaillé aux Pays-Bas au début des années 2000 alors que déferlait une vague anti-migration et anti-islam. C’était dans la foulée des attentats du 11-Septembre et de l’assassinat de l’artiste Theo van Gogh par un islamiste radical.

Le clivage, Shakil Choudhury connaît bien. Et même s’il l’a vu se creuser ces dernières années – il note que le clivage eux/nous est à son point le plus élevé depuis le mouvement pour les droits civiques il y a 50 ans –, il est convaincu qu’il n’est jamais trop tard pour construire des ponts. 

« Mon livre est un appel à l’action pour les bâtisseurs de ponts. Une façon de leur dire : levez-vous ! Faites-vous connaître. Faites votre travail. Parce qu’il est plus important que jamais », me dit l’auteur, qui lancera la version française de son livre, publiée par Mémoire d’encrier, vendredi à Montréal.

Comment construire des ponts au lendemain d’un attentat ? En prenant conscience que c’est précisément le but des terroristes de nous diviser. En réalisant que lorsque l’un de nous est attaqué, nous le sommes tous et que le deuil est collectif. En exigeant que nos leaders fassent mieux pour prévenir la haine. En s’assurant de ne pas nourrir nous-mêmes la polarisation de part et d’autre. En poursuivant le dialogue même si c’est difficile et hautement émotif…

Les politiciens ont un rôle particulièrement important à jouer pour réduire les clivages, souligne Shakil Choudhury. 

« Leur rôle est de donner le ton. Nous savons par la recherche que les mots et les actions des leaders ont un impact important sur la société. » 

— Shakil Choudhury

Ils agissent comme des « guides émotionnels ». Leurs paroles et leurs gestes ont un plus grand poids. Les citoyens les observent et puisent en eux leurs repères.

Dans la lutte contre le racisme, les politiciens ont souvent encore du mal à bien déterminer les enjeux et à distinguer le racisme déclaré de son « jumeau plus malicieux et plus toxique » qu’est la discrimination systémique. 

« En général, quand il y a un attentat comme celui en Nouvelle-Zélande ou à Québec, les gens sont sincèrement choqués. Ce sont clairement des crimes haineux. Cette partie est évidente. Mais pour la discrimination systémique, c’est moins évident. Car elle ne devient visible que lorsqu’on amasse des données et qu’on réalise qu’il y a des fossés qu’on n’avait pas vus. » 

Des fossés qui ne sont pas le fruit d’un complot ou de mauvaises intentions de gens racistes, mais plutôt dus aux structures du pouvoir ainsi qu’à des préjugés inconscients que nous avons tous et que nous pouvons apprendre à surmonter, explique Shakil Choudhury. Tout un chapitre de son livre est consacré aux biais inconscients. L’auteur, qui dit avoir passé son enfance à faire semblant d’être blanc, admet qu’il n’est pas lui-même à l’abri des préjugés même si son travail consiste à les vaincre. Il est convaincu que, dans un contexte éducatif, une approche accusatrice ou uniquement fondée sur la raison est vouée à l’échec. 

« Il faut reconnaître qu’il n’y a qu’une partie du problème de discrimination systémique qu’on veut régler qui est intellectuelle ou cognitive. L’enjeu est à 90 % émotif. »

***

Si le rôle du politicien est de donner le ton en matière de vivre ensemble, on aura remarqué avec Donald Trump que c’est pour le moins mal parti. Mais pour Shakil Choudhury, la pire menace est ailleurs. 

« Ce qui est difficile dans notre époque n’a pas tant à voir avec un leader en particulier, mais avec la polarisation. Les gens se perçoivent les uns les autres de manière très antagoniste. Or, des chercheurs qui ont étudié la montée de l’autoritarisme nous disent que la mort de la démocratie arrive quand les gens voient leurs adversaires politiques comme des ennemis. Pour moi, c’est la pire menace. Parce que nous ne pouvons régler le racisme institutionnel, le sexisme, l’homophobie et la transphobie dans un contexte autre que la démocratie. »

Comment se sortir de la polarisation qui mine la démocratie ? « En ce moment, les gens de tous les camps devraient prendre un temps de répit et se calmer », croit Shakil Choudhury. Pour les gens qui voient les immigrants ou les musulmans comme une menace, cela veut dire d’oser confronter la réalité à leurs peurs en allant à la rencontre de gens qui les incarnent. Pour ceux qui luttent pour la justice sociale ou militent contre le racisme, cela veut dire aussi de revoir leurs stratégies et de ne pas crier au loup inutilement. « Vous perdez l’attention des gens si tout devient du racisme. Si tout est du racisme, rien n’est du racisme. »

Shakil Choudhury, Vivre la diversité. Pour en finir avec le clivage eux/nous. Traduit de l’anglais par Yara El-Ghadban, Mémoire d’encrier, 2019.

Trudeau sévère envers « les dirigeants du monde »

Dans la foulée de l’attentat terroriste survenu dans deux mosquées de la Nouvelle-Zélande, qui a fait 50 morts vendredi dernier, le premier ministre Justin Trudeau a lancé hier un message sans équivoque aux dirigeants de ce monde : ils portent « une part de responsabilité » dans la multiplication des « massacres » qui font des victimes innocentes partout sur la planète. « Des grandes tueries. Des massacres qui ciblent les communautés religieuses. Des attentats terroristes. C’est une honte. Et malheureusement, les dirigeants du monde portent une part de responsabilité. Une responsabilité que nous ne pouvons plus nier simplement en pointant les autres du doigt », a dénoncé le premier ministre dans un discours au ton solennel à la Chambre des communes, après la période de questions.

— Fanny Lévesque et Joël-Denis Bellavance, La Presse

Le tireur doit subir la loi dans « toute sa rigueur »

La première ministre de Nouvelle-Zélande Jacinda Ardern a promis hier de ne jamais prononcer le nom de l’auteur de l’attaque terroriste meurtrière contre deux mosquées et a annoncé aux Néo-Zélandais qu’il tomberait sous le coup de la loi la plus stricte.

« Par cet acte terroriste, il recherchait beaucoup de choses, et l’une d’elles était la notoriété. C’est pourquoi vous ne m’entendrez jamais prononcer son nom », a-t-elle dit lors d’une session extraordinaire du Parlement, qu’elle a ouverte avec l’expression arabe de bienvenue « salam aleikum » (« la paix soit avec toi »).

« Je vous implore : prononcez les noms de ceux qui ne sont plus plutôt que celui de l’homme qui les a emportés », a-t-elle encore dit dans un discours empreint d’émotion. « C’est un terroriste. C’est un criminel. C’est un extrémiste. Mais quand je parlerai, il sera sans nom. »

Cinquante fidèles ont été tués vendredi à l’heure de la prière à Christchurch, dans l’île du Sud, par un suprémaciste blanc qui a diffusé en direct les images de son attaque et publié au préalable un « manifeste » raciste.

L’extrémiste australien Brenton Tarrant, 28 ans, a été inculpé pour l’heure d’un chef de meurtre. Mais Mme Ardern a assuré aux parlementaires que la justice n’en resterait pas là.

« Il fera face à la loi dans toute sa rigueur », a-t-elle lancé.

durcissement de la législation sur les armes

La cheffe du gouvernement a déjà annoncé un durcissement de la législation sur les armes qui a permis au tueur d’acheter l’arsenal ayant servi à l’attaque, y compris des armes semi-automatiques.

Elle a également répété qu’une enquête serait ouverte afin de déterminer comment l’Australien a pu planifier et mener ses attaques en Nouvelle-Zélande au nez et à la barbe des services de sécurité.

« La personne qui a commis ces actes n’était pas d’ici. Elle n’a pas été éduquée ici. Elle n’a pas trouvé son idéologie ici. Mais ce n’est pas pour cela qu’on peut dire que ses vues n’existent pas ici », a-t-elle dit.

L’enquête devra déterminer « ce que les agences savaient, ou auraient dû savoir, ce qu’elles pouvaient savoir sur cet individu et ses activités, y compris son accès aux armes et si elles auraient pu empêcher l’attaque », a-t-elle expliqué.

Elle examinera aussi « les mouvements de l’individu, ses allées et venues en Nouvelle-Zélande et à l’international, ses activités en Nouvelle-Zélande, son utilisation des réseaux sociaux et ses relations avec autrui ».

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