Train de vie

Vivre de son condo

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LA VIE EN CHIFFRES

Carole, 69 ans

Revenus mensuels

PSV et RSG : 926,18 $

RRQ : 597,40 $

FEER : 306,23 $

Total : 21 950 $/année

Marge de crédit : 175 000 $

Investissement : 175 000 $

Revenus de placement nets :  entre 90 et 200 $ par mois

Condo : 250 000 $

FERR : 79 000 $

Aucune autre dette

Coût de vie approximatif : 24 000 $

Des revenus de retraite minimaux, mais un condo de 250 000 $. Comment en tirer profit sans le vendre ?

La situation

« Je suis à la retraite depuis 2012, confie Carole. J’ai été obligée d’arrêter de travailler parce que je souffre de sclérose en plaques depuis des années. »

Elle avait alors 63 ans et ne bénéficiait d’aucun régime de retraite. Ne voulant pas toucher sa rente de la RRQ avant 65 ans, elle a puisé dans ses CELI.

Maintenant âgée de 69 ans, elle reçoit la rente de la RRQ, la prestation de la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti. Elle retire en outre chaque mois 306 $ de son Fonds enregistré de revenus de retraite (FERR).

Ces revenus totalisent près de 21 950 $ par année.

Carole est propriétaire d’un condo d’une valeur de 250 000 $, payé depuis plusieurs années. Peu de temps avant sa retraite, sa notaire lui a suggéré d’ouvrir une marge de crédit hypothécaire garantie par son condo, pendant qu’elle travaillait encore.

Elle n’en a pas fait usage avant mars 2017, quand, à la suggestion de sa banque, elle en a tiré 175 000 $ pour un investissement du même montant dans un fonds de revenu mensuel de type Série 5.

En mars, par exemple, elle a payé 661 $ en intérêts sur la marge hypothécaire, et elle a encaissé 755 $ de revenus de son fonds d’investissement, pour un bénéfice de 94 $. « Il y a des mois où ç’a été 200 $, d’autres fois 150 $, d’autres fois moins, constate-t-elle. Ce n’est jamais pareil. »

Or, Carole trouve ce revenu bien maigre.

Elle estime ses dépenses à environ 2000 $ par mois. « Si j’avais un supplément de 300 ou 400 $ par mois, je serais plus à l’aise. Comme je dis à mon conseiller, j’ai l’impression de vivre pauvrement. Une chance que j’ai un beau condo. »

Elle veut continuer à y habiter.

« Par contre, mes revenus étant minimes, je cherche un moyen d’utiliser la valeur de mon condo. »

Sa banque lui a déconseillé l’hypothèque inversée (CHIP), parce que trop coûteuse.

« Je n’ai aucune dette, assure-t-elle. Je n’ai pas d’enfant, donc personne à qui laisser un héritage. Est-ce qu’il y a d’autres moyens d’aller chercher un revenu avec mon condo ? »

La réponse

Sans qu’elle en ait conscience, Carole vogue en eau agitée.

Sa stratégie de revenus est « relativement risquée », estime le planificateur financier Raphaël Hainault, conseiller en gestion de patrimoine à la Financière des professionnels Gestion privée. « En effet, il s’agit à la base d’un effet de levier. »

Le principe consiste à emprunter pour investir, dans l’objectif d’obtenir un rendement supérieur au taux d’intérêt du prêt.

« À la base, c’est utilisé pour un investisseur ayant une tolérance au risque élevée », souligne le planificateur.

Deux écueils guettent Carole. 

D’abord : le taux d’intérêt de la marge hypothécaire pourrait fort bien augmenter. Le planificateur l’estime présentement à 4,53 %, sur la base de la plus récente mensualité de Carole.

Si ce taux grimpe de plus d’un demi-point de pourcentage (0,5 %), la mensualité de la marge excédera le revenu de placement mensuel.

Ensuite : le rendement de l’investissement peut baisser. En supposant que le taux de la marge demeure stable, « il suffirait d’une baisse d’environ 9 % du capital investi pour que la stratégie soit déficitaire », souligne le planificateur.

Si les deux récifs font suffisamment de dommages, le navire s’enfonce : le revenu ne suffit plus à payer les intérêts.

« Carole pourrait alors devoir liquider ses placements à perte pour rembourser l’hypothèque », prévient le conseiller, voire vendre son condo, de gré ou de force.

Un instrument capricieux

L’espace manque pour rendre justice à la minutieuse démonstration du planificateur, mais retenons que l’instrument financier de type Série 5 a pour but de distribuer un revenu mensuel relativement constant, équivalant pour l’année à 5 % de la valeur du compte.

Ce revenu est fourni par le rendement du fonds, mais si celui-ci est insuffisant, l’écart est comblé en puisant dans le capital investi.

Or, le fonds de Carole affiche un rendement de 4,81 % pour 10 ans, mais de 2,01 % pour les trois dernières années, souligne Raphaël Hainault. « C’est donc dire que le capital investi devrait descendre inévitablement avec le temps puisque le rendement espéré est inférieur à la distribution de 5 %. » L’effet sera encore amplifié en cas de chute boursière. Quand Carole voudra encaisser son investissement, il risque d’être inférieur au prêt à rembourser.

Carole devrait réévaluer sa stratégie de revenu, en portant toutefois attention aux frais qui pourraient être exigés si l’investissement est racheté précocement.

Que faire ?

Raphaël Hainault suggère une autre avenue.

Il rappelle d’abord que pour chaque dollar de revenu imposable, la prestation de Supplément de revenu garanti (SRV) diminue de 50 cents.

Les retraits du FERR, présentement à hauteur de 306 $ par mois, réduisent donc le SRV de 153 $. « C’est en quelque sorte un taux d’imposition de 50 % », décrit-il.

En appliquant ce taux de 50 % aux 79 000 $ détenus dans son FERR, Carole perdra au fil des ans quelque 38 500 $ en prestations de SRV.

Le planificateur suggère plutôt de donner un grand coup, et de retirer l’ensemble des 79 000 $ en deux ans. Durant ces deux années, cette hausse de revenus ferait disparaître totalement le SRV, soit une perte de 3516 $ par année.

Bien sûr, il faudra payer un lourd tribut au fisc pour ces deux retraits massifs du FERR – environ 10 500 $ pour chacune des deux années.

Au total, cette vidange du FERR coûterait donc environ 28 000 $ – nettement moins que les 38 500 $ perdus en étalant les retraits.

En outre, cette stratégie procure à Carole environ 51 000 $ immédiatement disponibles.

« Elle pourrait donc renverser la stratégie levier et simplement utiliser ses liquidités pour défrayer son coût de la vie », indique Raphaël Hainault.

L’année suivant le second retrait du FERR, les revenus moindres feraient réapparaître un SRV survitaminé, à hauteur de 475 $ par mois.

Carole veut ajouter 300 $ à son coût de vie actuel de 2000 $ par mois. En sus de la RRQ, de la PSV et du SRV bonifié, elle devra encaisser environ 640 $ par mois, ou 7680 $ chaque année, pour boucler son budget. Son pécule la mènerait ainsi jusqu’à 76 ans.

Dernière étape

Que se passe-t-il ensuite, vous inquiétez-vous ?

Notre planificateur prévoit que chaque année subséquente, les 7600 $ nécessaires seraient empruntés sur la marge hypothécaire de son condo. En supposant un prudent taux d’intérêt de 6 % sur ce prêt, Carole aurait ainsi accumulé à 90 ans une dette de 175 000 $ sur sa propriété.

Le temps sera alors venu de la vendre, pour rembourser sa marge et empocher le solde de 75 000 $. Cette somme lui permettra encore de maintenir son train de vie jusqu’à l’âge vénérable de 100 ans. « Notez qu’elle risque davantage d’atteindre cet âge en éliminant le stress lié à des stratégies financières complexes et risquées », conclut notre planificateur, avec un clin d’œil.

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