À ma manière

Le Nespresso des tests diagnostiques

L’aventure : en trois mois, GenePOC devait réaliser la conception d’un petit appareil qui fait des tests diagnostiques rapides sur le lieu des soins. La manière : faire un appel d’urgence au design industriel.

L’appareil, qui semble s’incliner respectueusement vers l’utilisateur pour lui tendre son écran tactile, ne déparerait pas une cuisine dernier cri. On jurerait un petit électroménager épuré, conçu par une chic firme de design européenne.

En fait, le Revogene – c’est son nom – a été conçu par le spécialiste en tests de dépistage moléculaire GenePOC, de Québec, en collaboration avec la (chic) firme de design montréalaise Alto Design.

Il s’agit d’un dispositif d’analyse d’échantillons biologiques qui détecte et identifie les agents infectieux – en somme, un petit laboratoire de table pour les points de service médicaux.

En 70 minutes, l’appareil portable conclut son analyse, alors qu’il faudrait jusqu’à 48 heures pour qu’un laboratoire médical rende son verdict.

Le 3 avril dernier, le Revogene a reçu en Allemagne la distinction « Best of the Best » au prestigieux concours de design industriel Red Dot Award.

C’est le résultat d’une course échevelée.

Présentation

Mais présentons d’abord la chose.

Sous le couvercle rabattable du Revogene tourne un rotor qui accueille huit cartouches d’échantillons biologiques en forme de pointe de tarte. Différentes cartouches à usage unique ciblent des infections spécifiques.

La centrifugation fait suivre à chaque échantillon un parcours au travers de sa cartouche, où il se trouve fractionné pour isoler l’ADN de l’agent infectieux. Une réaction moléculaire accroît suffisamment la trace d’ADN pour qu’elle soit identifiée par détection optique.

Le résultat s’affiche sur l’écran tactile, dans un appareil de la taille d’une sorbetière.

« On voulait rendre l’appareil le plus semblable possible aux objets que les gens utilisent aujourd’hui dans la vie de tous les jours », décrit Sébastien Chapdelaine, vice-président, recherche et développement.

L’ADN de l’entreprise

GenePOC avait été fondée en 2007 par le Dr Michel G. Bergeron, directeur du Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval. Il voulait concrétiser ses recherches sur des tests à base d’ADN pour l’identification des microbes responsables des infections.

Son objectif était « d’amener le test moléculaire au point de service », décrit Sébastien Chapdelaine.

Le projet a commencé à prendre forme au tournant des années 2010, quand ce dernier a mis au point le système de cartouches d’échantillons qui couronnera l’appareil.

Dilemme

Mais l’entreprise est alors aux prises avec le traditionnel dilemme. Pour intéresser les investisseurs, il faut les convaincre de la validité du concept. Pour faire cette preuve, il faut montrer le produit, qui reste encore à concevoir.

Un cercle vicieux dans lequel il faut bien trouver un point d’accès.

Au printemps 2012, GenePOC décide que cette porte s’ouvrira au congrès médical qui se tiendra à Washington en août suivant.

L’entreprise veut y présenter un produit fini. Ou qui en a au moins l’apparence.

« Le défi avec un produit comme celui-là, décrit M. Chapdelaine, c’est que des biologistes et des ingénieurs tentent de parler le même langage pour faire un produit complet à la fin. »

Il faudra que des designers industriels se joignent à la conversation.

Délai impossible

En mai 2012, Sébastien Chapdelaine rencontre à Montréal le président d’Alto Design, Patrick Mainville. Il lui annonce tout de go : « On va dans un congrès dans quelques mois, ça nous prend un produit à présenter. »

Pour l’instant, GenePOC tient un concept, un paquet de composantes, une idée du volume que l’appareil doit occuper, quelques critères sur son usage.

« Je me souviens du visage de Patrick Mainville à l’époque, rigole Sébastien Chapdelaine. Il m’avait dit : “Je te reviens dans quelques jours.” »

Qu’y avait-il derrière ce visage ? « Devant le délai, je voyais défiler le plan de match dans ma tête, relate Patrick Mainville. Les tâches qu’on va devoir faire en parallèle pour accélérer le processus, les aspects de validation en amont… Je me disais : on ne peut même pas se permettre de coincer à la douane ! »

On fonce

Ils se retrouvent à Québec chez GenePOC pour une deuxième rencontre.

« Patrick m’a dit : “C’est un projet de fou, mais on le fait avec vous” », reprend Chapdelaine.

Pendant deux mois, Sébastien Chapdelaine et l’équipe d’Alto Design se rencontrent toutes les semaines.

« On était à Québec, eux étaient à Montréal, mais on a travaillé de concert, raconte le vice-président de GenePOC. Je donnais des cahiers des charges et des lignes directrices, ils revenaient avec des ébauches dans les 24 ou 48 heures. On épurait les ébauches, on choisissait : ça on aime, ça on n’aime pas. Et ils retournaient à la planche à dessin. C’était une communication pratiquement constante. »

Une maquette taillée dans la styromousse est même expédiée à Québec en autocar.

Toute la panoplie

Chez Alto, toutes les spécialités – designers, ingénieurs, graphistes, concepteurs d’interface – sont mises à profit. Le rythme est infernal.

« Il y avait six à huit semaines de conception, design, observation d’usagers pour résoudre l’ergonomie, puis de développement technique pour envoyer les dessins techniques pour le prototypage », dit Patrick Mainville.

Au début d’août, Alto assemble et livre un prototype capable de faire une démonstration de fonctionnement. L’appareil s’allume, son couvercle s’ouvre, le porte-échantillons tourne, l’interface graphique apparaît sur l’écran.

Comme prévu, il est présenté en août 2012.

« Ç’a été très bien reçu », souligne Sébastien Chapdelaine, avec un petit rire de soulagement rétrospectif. « On a commencé à promouvoir notre produit à partir de ce congrès. »

Certification

L’étape suivante consiste à compléter le développement pour faire homologuer le dispositif.

« Ça prenait beaucoup plus de fonds, relate Sébastien Chapdelaine. La seule façon d’obtenir l’approbation, c’est de fabriquer le produit, le valider en études cliniques, puis de présenter les résultats aux autorités réglementaires. »

En janvier 2015, la société biopharmaceutique suisse Debiopharm et le fonds de capital-risque montréalais Emerillon Capital annoncent qu’ils investissent dans GenePOC.

Leur engagement permet « de monter les équipes de biologie, de fabrication, de commercialisation, d’assurance qualité… ».

En juillet 2016, Debiopharm rachète les parts d’Emerillon pour devenir actionnaire majoritaire, puis annonce un investissement de plusieurs dizaines de millions de dollars.

En décembre 2014, GenePOC ne comptait que huit employés. À l’été 2015, la cohorte s’allonge à 35. Ils sont aujourd’hui 80.

Un menu de tests

Plus de 100 appareils Revogene ont été fabriqués jusqu’à présent dans l’usine de GenePOC à Québec. « Chaque jour, un nouveau Revogene apparaît », se réjouit Sébastien Chapdelaine.

Debiopharm prévoit installer en Suisse une chaîne de production des « consommables », c’est-à-dire des cartouches et autres éléments à usage unique.

Le 2 février dernier, GenePOC annonçait la commercialisation en Europe de ses deux premiers tests de dépistage moléculaire sur la plateforme Revogene. Trois autres sont en cours de développement.

« C’est un peu le concept de Nespresso : une machine et un menu de cafés, résume Stéphane Chapdelaine. Nous, c’est un instrument et un menu de tests diagnostiques. »

Et comme Nespresso, l’appareil devait être aussi efficace qu’élégant sur le plan de travail.

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