Ces immigrants qui ne font que passer

Les immigrants investisseurs représentent une source de revenus importante pour le Québec, mais la plupart de ces nouveaux arrivants ne font que passer et ne contribuent pas autant qu’ils pourraient le faire à la vie économique de la province.

Moins d’un immigrant investisseur sur quatre (22,8 %) arrivé entre 2003 et 2012 vivait toujours au Québec en janvier 2014, révèlent des statistiques du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion obtenues par La Presse.

La proportion est encore plus faible chez les immigrants d’origine chinoise, qui représentent près de la moitié de tous les immigrants investisseurs admis au cours de cette période : moins de 15 % d’entre eux étaient présents en terre québécoise au début de 2014.

« La rétention est difficile », note Norma Kozhaya, vice-présidente à la recherche et économiste en chef du Conseil du patronat du Québec (CPQ), auteure d’une étude récente sur l’immigration économique au Québec.

Le CPQ juge le programme des immigrants investisseurs « primordial pour l’économie québécoise en raison des nombreux impacts économiques positifs qu’il génère ». Pour être admis, les immigrants investisseurs doivent en effet avancer une somme de 800 000 $ qui leur est remboursée après cinq ans, sans intérêts. Les revenus de placement générés par cet investissement alimentent un programme d’aide financière aux PME, géré par Investissement Québec.

Au cours des 15 dernières années, ce programme a fourni 4600 contributions financières à des entreprises québécoises, pour un total de près de 700 millions.

« Le programme a été excellent pour les PME, leur croissance et la création ou le maintien d’emplois », note l’étude du CPQ. Les sommes avancées par les immigrants investisseurs servent aussi à financer le Programme d’aide à l’intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi, qui a versé 45,6 millions en subventions à l’emploi entre 2000 et 2015.

RETOMBÉES LIMITÉES

Mais l’objectif d’un programme d’immigrants investisseurs est « d’avoir des immigrants qui immigrent et qui restent », souligne l’ancien ministre conservateur de la Citoyenneté et de l’Immigration Chris Alexander, défait lors des élections fédérales d’octobre 2015. « Quand autant de gens [ne s’installent pas], il y a un élément qui laisse pas mal à désirer. »

Le Québec laisse aussi beaucoup d’argent sur la table en raison de son incapacité à retenir ces immigrants fortunés. « L’impact principal de ces immigrants, c’est quand ils restent et s’établissent en achetant une maison et des biens durables », dit l’économiste Pierre Emmanuel Paradis, président de la société AppEco, qui s’intéresse aux immigrants investisseurs depuis plusieurs années. Une étude du programme canadien d’immigrants investisseurs qu’il a cosignée en 2010 chiffrait ces achats à 720 000 $ par famille, sans parler des dépenses courantes.

1750

Nombre annuel maximal de demandes dans la catégorie des immigrants investisseurs, dont pas plus de 1200 peuvent venir du même pays.

Le CPQ estime qu’une augmentation d’à peine 10 points de pourcentage du taux de rétention des immigrants investisseurs représenterait un impact économique de 130 millions pour le Québec. « On retire déjà un certain bénéfice en raison de l’investissement de 800 000 $, mais ce bénéfice serait plus grand si ces immigrants restaient ici et dépensaient leur argent ici », dit Mme Kozhaya.

La ministre de l’Immigration Kathleen Weil a refusé de nous accorder une entrevue. « Nous sommes conscients du défi que représente la rétention des immigrants investisseurs au Québec », a indiqué par courriel son attaché de presse Pierre-Olivier Herbert, soulignant qu’un programme d’accueil et d’accompagnement avait été mis sur pied à cette fin, en partenariat avec Investissement Québec.

« Le Ministère est aussi en réflexion et en discussion avec les acteurs du milieu quant à l’élaboration d’une réforme du programme investisseurs, qui nous permettrait de maintenir la compétitivité du programme tout en améliorant la rétention des immigrants investisseurs au Québec. »

OÙ VONT-ILS ?

Québec ne détient pas de données sur le lieu d’établissement réel des immigrants investisseurs qu’il accepte. Mais de nombreux observateurs estiment que les ressortissants chinois, notamment, filent tout droit vers la côte pacifique. « Certaines provinces, notamment la Colombie-Britannique, se plaignaient parce qu’elles étaient obligées d’accueillir ces immigrants et devaient financer des programmes d’accueil sans bénéficier de leur investissement », note Chris Alexander.

L’avocat spécialisé en immigration Richard Kurland, membre du Barreau du Québec et de la Colombie-Britannique, parle carrément d’un « tremplin » entre Montréal et Vancouver. Pis encore : ces nouveaux arrivants, en achetant à fort prix des propriétés dans le marché déjà surchauffé de Vancouver, alimenteraient la spirale inflationniste qui freine l’accès à la propriété dans la métropole britanno-colombienne.

Pour le géographe David Ley, professeur à l’Université de la Colombie-Britannique et auteur du livre Millionaire Migrants, il n’y aucun doute que l’afflux d’argent étranger « est le principal facteur qui explique que le marché immobilier soit devenu inabordable » à Vancouver. « La ville est devenue la plus inabordable de toutes les villes anglophones de la planète », a-t-il dit en entrevue à La Presse l’automne dernier.

Le Québec fait toutefois des efforts pour prévenir l’exode des immigrants investisseurs, selon Me Kurland. « Depuis deux ans, le Québec a commencé à exiger des preuves concrètes [de la volonté de s’y installer]. Il est en train de refuser des dossiers où les candidats à l’immigration ont des liens avec la Colombie-Britannique, comme un fils à l’université à Vancouver », dit-il.

TROIS SOLUTIONS

Obligation de résidence

Selon le Conseil du patronat du Québec, « des réformes significatives » sont nécessaires pour que Québec parvienne à retenir une plus grande proportion des immigrants investisseurs qu’il accepte. L’organisme suggère d’obliger ces nouveaux arrivants à acheter une résidence au Québec, avec un prix minimum pour éviter les adresses de complaisance, ou encore de les contraindre à résider dans la province un certain nombre de mois par année.

La déclaration de revenus

Pour l’avocat en immigration Richard Kurland, la solution passe carrément par l’impôt. Les autorités gouvernementales devraient selon lui exiger que le nouvel arrivant fasse sa déclaration de revenus au Québec pendant au moins un ou deux ans, à défaut de quoi son statut de résident permanent ne serait pas renouvelé.

Des investissements non remboursables ?

À défaut de convaincre davantage d’immigrants investisseurs à réellement s’établir au Québec, on pourrait maximiser leur apport économique en rendant non remboursable une partie de l’investissement qu’ils doivent faire à leur arrivée au pays. « Ce serait une bonne idée, dit l’économiste Pierre Emmanuel Paradis. On pourrait garder 25 ou 50 %, qui resteraient directement au pays. » Dans son étude publiée en décembre, le Conseil du patronat du Québec estime qu’un remboursement à 50 % ferait bondir l’impact économique annuel des nouveaux immigrants investisseurs de 482 millions à près de 1,2 milliard.

L’avocat en immigration Dominic Therrien, du cabinet Miller Thomson, a proposé en 2014 que la construction d’un nouveau stade à Montréal, condition sine qua non au retour du baseball majeur dans la métropole, soit financée par un programme spécial temporaire d’immigrants investisseurs. Il suggérait d’en accueillir 1860 en trois ans, qui verseraient une contribution non remboursable de 275 000 $, assez pour payer un stade de 500 millions.

LES EXIGENCES DU PROGRAMME QUÉBÉCOIS D’IMMIGRANTS INVESTISSEURS

Disposer d’un avoir net d’au moins 1,6 million, obtenu licitement.

Avoir de l’expérience en gestion.

Avoir l’intention de s’établir au Québec et signer une convention d’investissement de 800 000 $ sur 5 ans, sans intérêts.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.