OPINION

Éducation à la carte ou à la pièce ?

Il faudrait penser l’école de demain plutôt que panser celle d’aujourd’hui

L’introduction de deux cours obligatoires en éducation sexuelle et financière dans les écoles québécoises ne soulève pas un problème de pertinence, mais d’opportunité.

Nul ne doute de la nécessité de développer chez nos jeunes des habitudes de consommation responsables, une relation saine à l’argent, une sexualité épanouie, un rapport au corps (le sien et celui des autres) basé sur l’acceptation et le respect, la compréhension des notions de consentement et de prévention.

Au-delà de la tuyauterie, des informations techniques et factuelles, ces enseignements visent à aiguiser le jugement et l’esprit critique des élèves, dans un monde où le virtuel et le réel se confondent et entretiennent l’illusion du tout accessible (le sexe comme les biens matériels, grâce aux sites pornographiques et aux cartes de crédit).

Est-il toutefois opportun de greffer ces deux cours, sans vision d’ensemble, dans la précipitation ? De réparer le toit quand les fondations sont fragiles ?

Choisir, c’est renoncer : des observateurs regrettent déjà que la priorité ait été accordée à l’économie, l’éducation à la sexualité étant reléguée au rang de projet pilote.

D’autres pointent des matières qualifiées de « problématiques », comme le cours d’éthique et culture religieuse, qui pourrait selon eux être sacrifié au profit d’une éducation à la citoyenneté ou à la philosophie, plus propices au développement des sens critique et civique et autres habiletés transversales, susceptibles de guider les jeunes tout au long de leur vie dans leurs choix amoureux, économiques, politiques et éthiques.

ÉTATS GÉNÉRAUX DE L’ÉDUCATION

Avant d’engager l’avenir, un petit rappel historique s’impose : en 1995-1996 se tenaient les États généraux de l’éducation, qui ont mobilisé toutes les composantes de la société québécoise. Cet exercice a débouché sur une réforme majeure des programmes en 1998.

Vingt-deux ans plus tard, plutôt que de grignoter ici et là, parfois pour tenir compte de nouveaux enjeux, mais parfois hélas au gré des crises ou des épiphénomènes érigés en phénomènes de société, l’heure est plutôt au bilan et à la prospective.

Évaluons la reforme, sans complaisance, sans guerre de clocher (socioconstructivistes, behavioristes, humanistes), mettons en relief ses succès et ses ratés, questionnons ses fondements épistémologiques, passons au crible tous les choix effectués, notamment le retrait de la formation personnelle et sociale, qui abordait entre autres la question de la sexualité.

On ne peut préfigurer l’avenir, mais les étudiants de 2017 ne sont pas ceux de 1995 : la révolution numérique est passée par là, le monde du travail a connu des transformations majeures, les questions identitaires secouent le monde occidental autant que les pays dits émergents, la génération de la réforme a intégré l’université.

Certes, les Québécois ont eu leur dose de commissions et de consultations publiques ces derniers temps, et la perspective de reconvoquer les États généraux de l’éducation pourrait faire sursauter.

Il semble toutefois difficile de faire l’économie d’une réflexion de fond, qui nous mettrait à l’abri d’une gestion à la pièce de notre système scolaire : dresser l’inventaire des savoirs essentiels, fondamentaux, transférables et non périssables, censés forger des esprits libres et des têtes bien faites, identifier les savoirs disciplinaires, qui doivent faire l’objet de cours distincts, les savoirs horizontaux, qui traversent plusieurs matières, ceux qui pourraient être développés dans le cadre d’activités parascolaires ou en autoformation, ceux qui relèvent des parents ou de la communauté.

Revisitons l’histoire des idées et réhabilitons la philosophie de l’éducation.

Qu’importe la forme que prendrait cet exercice, pourvu que ceux qui le pilotent aient la perspective historique, la distance critique et la hauteur de vue nécessaires pour penser l’école de demain plutôt que de panser celle d’aujourd’hui.

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