Chronique

À Bergevin de saisir sa chance

Chaque fois que Geoff Molson vante Marc Bergevin, qu’il exprime sa confiance en lui, je me pose cette question : dans leurs conversations privées, que dit le DG à son patron pour le rassurer malgré le rendement médiocre du Canadien ? Comment explique-t-il ce nouveau recul dans l’interminable quête d’une 25e Coupe Stanley ? Quels mots utilise-t-il pour le convaincre que l’équipe s’en va dans la bonne direction ?

J’ai l’impression que les propos de Bergevin doivent être assez semblables à ceux qu’il a émis hier, en dressant publiquement son bilan de mi-saison. Sa recette ? Un habile mélange d’optimisme et de réalisme, badigeonné de circonstances atténuantes, assaisonné d’une goutte d’humilité et arrosé d’une généreuse rasade de foi en l’avenir. Cela compose sûrement un plat réconfortant pour un président qui doit trouver l’hiver bien froid et bien long.

Ce n’est pas tout : le ton fougueux de Bergevin, lorsqu’il évoque son désir de renverser la vapeur, est le dessert idéal pour compléter ce repas. 

Et le DG s’est de nouveau surpassé à ce chapitre en lançant avec conviction, dans une citation qui sera amplement reprise sur les ondes : « Moi, je suis un fighter. Je vais me battre jusqu’à la dernière minute… »

Bergevin parlait alors des chances de l’équipe cette saison. Mais cette attitude l’anime dans son travail quotidien depuis son arrivée en poste en mai 2012. Personne ne remet en question son cœur à l’ouvrage. Sa passion ne fait aucun doute.

Mais au-delà des mots, si convaincants soient-ils, le sport professionnel est une affaire de résultats. Et sur ce plan, les insuccès de l’équipe suscitent des questions légitimes sur la capacité de Bergevin, et de son équipe de conseillers, à relancer le Canadien.

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Que retenir des commentaires de Bergevin hier ? D’abord, que l’heure des grandes décisions n’a pas encore sonné chez le Canadien. Même si les chances que l’équipe mérite une place en séries éliminatoires sont minuscules, l’organisation n’est pas prête à jeter l’éponge.

Cette approche est compréhensible. Bergevin ne gagnerait rien à précipiter ses décisions. La date limite des transactions est le 26 février. Si, comme tout l’indique, le Canadien se retrouve en position de « vendeur », mieux vaut faire monter les enchères entre les organisations intéressées à obtenir du renfort. Et comme c’est le cas chaque année ou presque, le marché ne s’animera pas avant la mi-février. Il reste donc plusieurs semaines pour agir.

On a aussi senti l’allergie du Canadien au mot « reconstruction ». Questionné à ce sujet, Bergevin a préféré utiliser le mot « reset », un genre de redémarrage qui suggère une opération de moindre envergure. Cela n’est pas étonnant. M. Molson a souvent répété que le CH doit être concurrentiel chaque saison. L’idée de tout rebâtir à zéro n’est pas dans les cartes.

Il n’en reste pas moins que les nombreuses faiblesses du Canadien sont apparues évidentes au fil de ce point de presse. Ainsi, Bergevin a avoué que le départ d’Andrei Markov faisait mal à l’équipe, que la « chimie » n’avait pas fonctionné entre Max Pacioretty et Jonathan Drouin, que Karl Alzner ne jouait pas au niveau attendu, que l’équipe manquait de régularité…

Mais bizarrement, je n’ai jamais senti que Bergevin se sentait responsable de ces lacunes. Pour chacun de ces enjeux, il avait une explication un peu trop commode.

Le départ de Markov, par exemple ? S’il avait embauché un agent plutôt que négocier lui-même son contrat, tout aurait été plus facile.

Le manque de complicité du duo 67-92 ? La faute à personne.

Le jeu d’Alzner ? Le meilleur est devant lui.

Or, si on examine chacun de ces dossiers, il est loin d’être évident que Bergevin les a gérés de manière optimale.

En refusant d’accorder à Markov le contrat qu’il souhaitait, il s’est montré inutilement inflexible et a cru que Mark Streit représenterait une option de rechange intéressante.

En ne profitant pas de sa période de négociation exclusive avec Alexander Radulov, il s’est privé de ses services, alourdissant du coup les responsabilités offensives d’un jeune joueur comme Drouin.

Et en accordant beaucoup d’argent à Alzner, il n’a pas choisi un défenseur « moderne », capable de relancer l’attaque.

Tout cela explique en partie le manque de régularité constaté par Bergevin. Car c’est le propre des équipes à qui il manque de gros morceaux de connaître des passages à vide.

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L’avenir de Bergevin continuera d’alimenter les discussions. Compte tenu de l’importance qu’il accorde à la « stabilité » au sein de l’organisation, je serais extrêmement surpris que M. Molson lui retire sa confiance.

Depuis le début de la saison, le propriétaire-président a dit à deux reprises tout le respect qu’il éprouvait pour son travail. Il ne changera pas d’idée de sitôt, même si l’image de marque du Canadien est sérieusement malmenée depuis quelques semaines.

À moins d’une surprise, Bergevin profitera donc d’une nouvelle chance de remodeler l’équipe, de redonner espoir aux partisans en l’améliorant de manière significative. 

À lui d’annoncer ses couleurs à la date limite des transactions, une période de l’année où il s’est souvent montré plus convaincant qu’en été. Rappelons-nous les acquisitions de Thomas Vanek, Jeff Petry, Phillip Danault…

C’est à ce moment qu’on aura une meilleure idée de la direction que Bergevin entend donner au Canadien. Cela nous permettra de nous faire une idée de son plan, un concept qui demeure pour l’instant énigmatique.

À l’heure actuelle, le jugement des fans sur le travail de Bergevin est, avec raison, très sévère. Et même si le DG a rappelé hier avoir une solide carapace, M. Molson devra aussi tenir compte de leur opinion en dressant son analyse finale de la saison. Car le CH n’est jamais aussi fort qu’avec l’appui enthousiaste du public.

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