Éducation

La pénurie d’enseignants est réelle, selon des commissions scolaires

Les récents propos du ministre Roberge font bondir le milieu de l’éducation

Existe-t-il une pénurie d’enseignants partout au Québec ? En entrevue à l’émission Tout le monde en parle, dimanche, le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge a soutenu que dans certaines régions, la « rareté d’enseignants » n’existait pas. De la Gaspésie à la Beauce, en passant par le Saguenay–Lac-Saint-Jean et la Côte-Nord, les commissions scolaires consultées par La Presse sont pourtant formelles : on manque bel et bien d’enseignants.

Mercredi, la responsable des ressources humaines de la Commission scolaire des Chic-Chocs en Gaspésie avait justement une personne à trouver pour une suppléance.

« C’est extrêmement difficile. Je suis en train de tricoter, de détricoter, de sortir un enseignant d’une classe, de voir comment il peut être mis ailleurs tout en étant lui-même remplacé », explique Caroline Charette.

Elle n’hésite pas une seconde à utiliser le mot « pénurie » pour décrire la situation que vit sa commission scolaire. « La pénurie s’amplifie d’année en année, ça, c’est clair, dit-elle. On a eu récemment une table provinciale des responsables des ressources humaines, et sans parler pour les autres, je peux vous dire que tout le monde parlait de pénurie », poursuit-elle.

C’est un mot que n’hésite pas non plus à prononcer le directeur adjoint des ressources humaines à la Commission scolaire du Lac-Saint-Jean. « On manque cruellement d’enseignants », dit Jérôme Carette, qui ajoute que la situation est particulièrement critique au secondaire.

« On a un remplacement après la relâche qui va jusqu’à la fin de l’année. On ne sait pas encore à qui on va le donner. »

— Jérôme Carette, directeur adjoint des ressources humaines à la Commission scolaire du Lac-Saint-Jean

Il rit quand on lui demande si ça ajoute un stress à son travail. « Je ne ris pas parce que c’est drôle. Mais on s’habitue, ce n’est pas le premier remplacement difficile à combler. On a été capables de sauver les meubles jusqu’ici, mais les prochaines années ne seront pas plus faciles, ça va aller en s’empirant. »

Mince marge de manœuvre

En Beauce, on peine à trouver des enseignants pour les mathématiques, les sciences, l’anglais et la musique.

« On a des gens qui enseignent ces matières et qui ne sont pas spécialisés. Il y en a qui ont des baccalauréats en enseignement primaire, mais qui ont un DEC en sciences pures, donc ils ont peut-être des capacités en sciences pour nous dépanner », explique Pascal Lamontagne, directeur des ressources humaines de la Commission scolaire Beauce-Etchemins.

Dès la rentrée scolaire, la marge de manœuvre « est mince », dit le directeur des ressources humaines de la Commission scolaire Beauce-Etchemins. Comme à plusieurs endroits au Québec, des gens non légalement qualifiés doivent faire leur entrée dans les écoles au fur et à mesure que l’année scolaire avance et que des enseignants s’absentent.

« Ça va nous obliger à embaucher des gens qu’on connaît moins, qu’on n’a pas eu le temps d’évaluer. Ça va se sentir réellement en classe. C’est le cas parfois quand on embauche des gens non légalement qualifiés. Ça nous fragilise », estime Pascal Lamontagne.

Quand il a cité des régions du Québec où la pénurie d’enseignants ne se faisait pas sentir, le ministre ne parlait assurément pas de la Commission scolaire de la Riveraine, dit son secrétaire général. Dans cette commission scolaire de la région de Nicolet, on a en ce moment même de « grandes difficultés » à trouver un enseignant de musique au primaire.

« Les ressources humaines travaillent fort. Quand on a des postes à temps complet à offrir, par exemple des congés de maladie ou de maternité, ce n’est pas toujours simple, particulièrement au secondaire. »

— Pascal Blondin, secrétaire général de la Commission scolaire de la Riveraine

L’époque où les listes de disponibilités étaient bien garnies est révolue, dit-il. « Maintenant, on les vide au complet et très rapidement en début d’année », précise Pascal Blondin.

Le son de cloche est le même à la Commission scolaire du Fer, sur la Côte-Nord, mais aussi dans la région de Maniwaki.

« Je l’ai entendu, [le ministre], et je me suis dit : il n’est pas venu chez nous, lui », dit en riant la responsable des communications de la Commission scolaire des Hauts-Bois-de-l’Outaouais, Monia Lirette.

L’arrivée des nouvelles classes de maternelle 4 ans, les départs à la retraite et l’exode vers les grandes villes donnent des maux de tête à cette commission scolaire.

« On a souvent des jeunes qui viennent, travaillent quelques années puis partent pour retourner en milieu urbain. On a beau dire : il y a la forêt, il n’y a pas de circulation, mais une personne de Montréal va peut-être aimer ça une semaine, puis vouloir s’en aller », dit-elle.

Tout va bien à Granby

« Le ministre n’a pas menti », dit d’entrée de jeu la responsable des communications de la commission scolaire Val-des-Cerfs, Alexandra Langlois. Dans cette commission scolaire, le recrutement d’enseignants va bien et on assure qu’il n’y a pas de pénurie.

« On essaie d’être proactifs, de voir venir les choses », dit Alexandra Langlois. Elle admet toutefois que des formations sont parfois repoussées pour libérer des enseignants, et que l’octroi de congés sans traitement est limité pour « contrôler » la situation.

Un vrai problème, assure la FAE

Le ministre de l’Éducation a également déclaré à Tout le monde en parle que les « lobbys » avaient peut-être faussé la perception de la population quant à la pénurie d’enseignants.

« Les lobbys, est-ce qu’ils sont puissants au Québec ? C’est rentré dans l’esprit : il n’y a plus de profs au Québec, il n’y a plus de classes au Québec. C’est ce que vous lisez, mais ce n’est pas vrai partout. C’est vrai à certains endroits », a insisté Jean-François Roberge.

Le président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) se demande d’où le ministre tient cette explication. « Le ministre prétend que le phénomène serait volontairement alimenté par des lobbys. C’est quoi, l’avantage qu’on a ? Les employeurs s’arrachent les cheveux sur la tête, dit Sylvain Malette. On ne doit pas être en hallucination collective. »

Dans les sept régions où le syndicat représente des enseignants, dont Montréal, Laval et Québec, il est difficile de recruter des enseignants, assure-t-il.

« Pas plus tard que la semaine dernière, les syndicats sont venus témoigner que la pénurie amenait des employeurs à refuser des congés sans traitement, des retraites progressives, des formations », explique Sylvain Malette.

Il faudrait reconnaître que c’est un phénomène « qui existe plutôt que d’en minimiser l’existence », conclut le président de la FAE.

— Marie-Eve Morasse, La Presse

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