CHRONIQUE

« J’ai peur »

Y aura-t-il du monde ? se demande-t-on en quittant la maison. La température ressentie est de - 6 °C et il vente à écorner les bœufs.

Et puis, au fond, les gens y tiennent-ils vraiment, à leur planète ? À entendre les critiques de la démarche des artistes, cette semaine, à lire les commentaires carnassiers sur les réseaux sociaux, peut-être qu’en réalité, le mouvement n’est que superficiel.

Remarquez que pour ma part, j’ai bien de la difficulté à comprendre les critiques acerbes de certains. Tel artiste a une grosse maison, telle autre prend ses vacances dans le Sud, tel autre encore fait de la pub de hamburgers… « Quels hypocrites ! », entend-on.

Des hypocrites, vraiment ? Imparfaits, oui, comme nous tous, mais hypocrites ? Ils gagnent quoi à prêter leur nom à la cause ? Et elles servent à quoi, ces critiques, au juste ? Après tout, si le réveil environnemental incite les artistes et leurs fans à réduire leurs émissions de dioxyde de carbone, qui s’en plaindra ?

Il vente vraiment très fort et nous doutons, donc, que la marche du collectif La planète s’invite au Parlement soit un succès. À la station de métro Cartier, pourtant, le stationnement incitatif est rempli. Tiens donc, est-il possible que cet achalandage inhabituel dans le métro s’explique par la marche ? Il est 13 h 30 et le Canadien ne joue qu’à 19 h, non ?

Puis, station après station, le métro se remplit. À Sauvé, deux stations plus loin, il n’y a déjà plus de places assises. À Jean-Talon, on comprend que ces usagers se rendent tous au même endroit, certains portant des banderoles, d’autres des pancartes, un tambour…

À Laurier, le métro est rempli à craquer, autant qu’un matin de semaine en pleine heure de pointe. Décidément, il y aura du monde. Des jeunes, des vieux, des enfants, surtout francophones. Du monde ordinaire.

Sur place, la marée humaine est impressionnante. Et elle devient de plus en plus compacte, si bien qu’il a fallu une demi-heure après le signal du départ pour que s’ébranle enfin notre section.

« Dites-moi, policier à vélo, combien peut-il y avoir de participants ?

— Quand la place des Festivals est pleine, durant les spectacles d’été, c’est environ 15 000 personnes, répond-il. Ça vous donne une idée. »

Comme dans toutes les manifs, on voit les traditionnels représentants des groupes de gauche, qu’ils soient syndicaux ou politiques. Québec solidaire, qui s’est fait vert foncé pendant la campagne électorale, a distribué ses drapeaux, qui flottent, nombreux, au-dessus de la foule.

Et puis on entend scander, par de jeunes communistes : 

« An, Anti, Anti-capitalis-me… An, Anti, Anti-capitalis-me… »

Quelques pancartes dénoncent la position molle de François Legault sur l’environnement. Plusieurs vantent l’alimentation végane. « Il n’y aura pas de planète B », clame une pancarte. « Ne tuons pas la beauté du monde », dit une autre.

Et puis, en très grosses lettres : « J’ai peur »

Je demande à un homme dans la cinquantaine : « Pensez-vous que la marche va faire changer les choses ?

— Il faut espérer. Les politiciens vont devoir écouter le peuple », répond-il.

Puis, je presse le pas, afin de rejoindre la tête du défilé et de croiser, qui sait, des politiciens, des artistes… Il y a vraiment beaucoup de monde, pas autant qu’en 2012 au Jour de la terre, mais quand même. J’accoste un autre agent à vélo, à qui je pose la même question sur l’achalandage.

« À ce que je vois, peut-être 25 000 ou 30 000 personnes », estime-t-il.

Tiens, n’est-ce pas la comédienne de L’heure bleue ? Et voilà Benoît Dutrizac. Gabriel Nadeau-Dubois et Christian Dubé y étaient aussi, me rapporte-t-on.

Les flocons de neige se mettent de la partie. Les marcheurs sont transis. Tout en avant, ce sont des Mohawks vêtus d’habits traditionnels qui ouvrent la marche.

Enfin, à l’arrivée au parc du Mont-Royal, l’animateur affirme qu’il y a certainement 50 000 personnes et même beaucoup plus, certains participants n’étant pas encore partis de la place des Festivals, environ deux kilomètres en amont.

Cinquante mille, vraiment ? Je ne sais pas, les organisateurs d’un événement ayant souvent tendance à voir plus grand. Mais chose certaine, à voir cette immense marée humaine par cette température folle, il est difficile de penser que la cause environnementale bat de l’aile. À moins que ce ne soient des hypocrites ?

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