OPINION

Les commissions d’enquête en cinq actes

C’est une distorsion du mécanisme que de présumer qu’ils forment la seule réponse gouvernementale à une situation grave

La corruption dans le milieu de la construction. Les rapports entre la police et les autochtones. La protection des sources journalistiques. Ces sujets brûlants, entre autres, ont mené le gouvernement du Québec à mettre sur pied des commissions d’enquête. Est-ce possible que notre engouement pour ce mécanisme soit mal placé, voire malsain ?

Voici une pièce de théâtre à la québécoise en cinq actes.

Premier acte

Une crise survient et le public exige une réponse gouvernementale. La demande d’une commission d’enquête s’exprime. Le gouvernement s’y oppose et traîne la patte. Le tollé s’intensifie. Enfin, le gouvernement s’y plie et annonce la création d’une commission d’enquête.

Deuxième acte

Les travaux des enquêteurs commencent, suivis des audiences de la commission. Pendant un certain temps, les audiences divertissent le public et les médias. Il se peut que les audiences télévisées deviennent la série de l’année. Des prix Gémeaux pour tout le monde !

Troisième acte

Les travaux de la commission prennent plus de temps que prévu, puisque son mandat est trop large. La commission demande au gouvernement un délai supplémentaire. Par ailleurs, le coût des travaux étonne le public.

Quatrième acte

En réaction à la pression populaire, le gouvernement improvise quelques modifications législatives à la pièce. Il n’attend pas le portrait global et les recommandations de la commission. Ces modifications sont, donc, construites sans le bénéfice des avis experts pour lesquels nous aurons payé des millions.

Cinquième acte

La commission dépose son rapport final au gouvernement. Trop long pour être lu, le rapport est néanmoins critiqué vertement par le public et par les journalistes. Il est évident que les attentes du public à l’égard de la commission étaient irréalistes. Le gouvernement adopte soit quelques recommandations, soit aucune. Le rapport est éventuellement mis à côté. L’attention du public et des médias passe ailleurs.

Est-ce un portrait trop cynique ? Tristement, ce n’est pas une exagération grotesque. D’où vient le problème fondamental ? Je crois que nous comprenons mal la vraie utilité d’une commission d’enquête.

Une commission d’enquête peut établir les faits dont nous sommes ignorants. Pourquoi une tragédie s’est-elle produite ? Par exemple, pourquoi un viaduc s’est-il effondré ? Elle peut aussi nous éclairer sur un problème social ou éduquer la société.

C’est toutefois une distorsion du mécanisme que de présumer que c’est la seule ou la principale réponse gouvernementale à une situation grave. Parfois, nous comprenons déjà le problème et ce ne sont pas les faits et des recommandations qui manquent, mais bien le courage moral d’agir.

La foi du public et des groupes d’intérêt envers une commission d’enquête – par sa nature, quasi judiciaire et indépendante – traduit leur méfiance envers d’autres organes du gouvernement, dont les ministres et la fonction publique.

C’est la même tendance qui anime la judiciarisation d’autres conflits : nous investissons plus de confiance dans nos juges que dans nos élus. Le hic, c’est que la mise en œuvre de toute recommandation émanant d’une commission d’enquête devra éventuellement passer par… le gouvernement et la fonction publique.

Je souhaite la meilleure des chances aux équipes des commissions d’enquête en cours et j’admets l’importance des problèmes qu’elles abordent. Je conclus pourtant avec un constat et un conseil. Le constat : l’enthousiasme des Québécois pour les commissions d’enquête s’inscrit dans le détachement politique qui se dégage des récents sondages.

Le conseil : c’est souvent au premier acte, lorsque la création d’une commission d’enquête est réclamée, que le gouvernement doit agir. À ce moment, il doit saisir l’ampleur de la crise et proposer des gestes concrets comme substituts à notre vieille pièce de théâtre.

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