Opération Mygale

Tabac, NASCAR et Hells Angels

Soixante personnes arrêtées lors d’une frappe contre un réseau de contrebandiers.

Un Hells Angel qui tire des ficelles à l’abri, sous le chaud soleil de la République dominicaine, un présumé chef de réseau propriétaire de bars aux noms évocateurs, deux pilotes de NASCAR dont un champion d’origine mohawk, un ancien Warrior de la crise de 1990, une taupe qui a aidé les Américains à coincer des trafiquants de cocaïne ; on trouve de tout dans Mygale, « la plus importance opération de lutte à la criminalité transfrontalière de l’histoire du Canada », qui a visé 60 personnes hier.

La frappe, qui a été menée principalement par la Sûreté du Québec et l’Agence des services frontaliers du Canada, visait surtout un réseau de contrebandiers de tabac qui aurait éludé pour au moins 530 millions de dollars de taxes en 19 mois à peine.

Mais l’opération, à laquelle ont également participé des policiers de la Homeland Security et de la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine, a aussi visé quatre résidants de la région de Montréal soupçonnés d’avoir importé de la cocaïne par les États-Unis, et qui sont maintenant menacés d’extradition.

Selon des documents de la justice américaine obtenus par La Presse, le chef présumé des trafiquants de cocaïne, Iraklis Haviaropoulos, et ses présumés complices auraient été floués par un individu qu’ils croyaient être un blanchisseur d’argent, mais qui travaillait en réalité pour la police. Haviaropoulos aurait notamment fourni à cette taupe des numéros de téléphone, une adresse pour des courriels cryptés et des codes chiffrés pour effectuer des livraisons d’argent. Mais l’agent civil transmettait toutes les informations à de faux courriers qui étaient en réalité des agents doubles de la police. Ceux-ci ont pu ainsi monter leur preuve pour des transactions totales de quelques centaines de milliers de dollars et de plusieurs dizaines de kilos de cocaïne.

PILOTES DE NASCAR

Quant à la partie contrebande de tabac, le chef présumé du réseau serait Sylvain Éthier, 40 ans, de Sainte-Thérèse, propriétaire actuel et passé de deux bars ironiquement baptisés Prohibition et Arnak.

Selon nos informations, Éthier serait en relation avec un membre des Hells Angels du Québec actuellement en République dominicaine, qui aurait perçu une partie des 20 millions de profits réalisés par l’organisation en 18 mois, évalue la police. Ce motard serait même revenu au Québec à quelques reprises, notamment pour percevoir ses redevances, mais il n’a pas été accusé dans l’enquête.

Parmi les accusés du volet contrebande de tabac, on retrouve également deux pilotes de NASCAR, Paul Jean, 39 ans, de Mirabel, et Derek White, 45 ans, de Kahnawake.

Jean a déjà participé à la série Canadian Tire. L’an dernier, sa voiture était commanditée par le bar Prohibition de Sylvain Éthier et par un commerce automobile de Derek White. Ce dernier s’est fait une renommée sur le circuit en étant le premier à afficher le drapeau mohawk sur sa voiture. Il est un homme d’affaires prospère de Kahnawake, où il a investi, au fil des ans, dans un garage, un restaurant, des stations-service, des magasins de cigarettes et dans l’industrie de la construction. En 2014, lorsqu’Ottawa a voulu alourdir les peines pour la contrebande de tabac, il a affiché un immense panneau à sa station-service de la route 138. « Nous ne sommes pas des criminels. Nos clients ne sont pas des criminels », disait l’affiche.

53 TONNES DE TABAC SAISIES

Outre Derek White, deux résidants de Kahnawake ont été arrêtés hier, dont Hunter Montour, 45 ans, l’un des derniers Warriors délogés de leur retranchement par l’armée canadienne au terme de la crise d’Oka. Il avait été acquitté comme ses compagnons après un procès devant jury très médiatisé.

Les autres accusés sont essentiellement des courriers d’argent et les chauffeurs des semi-remorques qui ont servi à transporter le tabac de contrebande. D’ailleurs, à ce sujet, la police et l’Agence des services frontaliers ont tenu à lancer un message aux associations de camionnage pour dissuader leurs membres de participer à de telles activités illégales.

« Nous avons effectué quatre saisies de tabac totalisant 53 tonnes. Nous poursuivons notre enquête pour bâtir une preuve de contrebande et de fausses déclarations. »

— Annie Beauséjour, directrice du renseignement à l’ASFC

Selon la police, entre août 2014 et mars 2016, l’organisation aurait importé au Canada au moins 158 cargaisons totalisant 2 085 600 kilogrammes de tabac, ce qui représente une fraude de plus de 530 millions de dollars pour les deux ordres de gouvernement.

Les suspects sont essentiellement accusés de gangstérisme, complot et fraude envers les gouvernements.

« Au début de l’enquête à l’automne 2014, nous avons constaté que les suspects œuvraient dans ce domaine depuis longtemps et étaient très bien organisés. Nous espérons freiner ce type d’importation massive et leur avoir porté un grand coup », conclut le capitaine Frédérick Gaudreau, chef du Service des enquêtes sur la criminalité contre l’État de la Sûreté du Québec.

Pour joindre Daniel Renaud en toute confidentialité, composez le 514 285-7000, poste 4918, ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

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6. DU TABAC À LA COCAÏNE

Un sous-réseau de trafiquants de drogue liés aux trafiquants de tabac utilise une partie des profits de l’organisation pour acheter de la cocaïne et l’importer au Canada. Des dizaines de milliers de dollars sont acheminés à un blanchisseur qui est en réalité une taupe de la police. La cocaïne provient de la Colombie et est notamment livrée en avion, sur une piste clandestine de Piura, au Pérou. La drogue traverse ensuite les États-Unis et arrive au Canada d’une manière inconnue.

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7. MARCHÉ NOIR

Selon la police, le crime organisé paye environ 3 $ pour chaque livre de tabac en vrac et le revend 10 $ la livre une fois transformé. Un sac Ziploc de 200 cigarettes se vend entre 15 et 20 $ sur le marché noir.

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5. PAIEMENTS

Les trafiquants paient le tabac en effectuant des transports et des livraisons de billets de banque, ou des virements effectués aux États-Unis, en Europe et en Amérique du Sud, d’où les perquisitions effectuées également sur ces continents.

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4. TRANSFORMATION ET REVENTE

Le tabac est transformé en cigarettes illégales, emballées généralement dans des sacs de type Ziploc. Elles sont ensuite distribuées dans la rue par différents moyens. Dans plusieurs cas, ce sont des citoyens qui se rendent dans les réserves pour s’approvisionner et les écouler dans leur propre réseau.

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2. FRONTIÈRE CANADIENNE

Les camions transportant le tabac entrent au Canada par les postes frontaliers de Lacolle, au Québec, et de Lansdowne et Fort Erie, en Ontario. Le tabac occupe toute la place dans les remorques, et n’est pas caché, mais les chauffeurs auraient fait de fausses déclarations aux douaniers.

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3. ENTREPÔTS DU CRIME ORGANISÉ

Le tabac entré illégalement au Canada est transporté dans des entrepôts contrôlés par le crime organisé, principalement en Montérégie. Il est ensuite transporté, toujours par camion, dans des usines de transformation dans les réserves amérindiennes de Kahnawake au Québec et Six Nations, près de Brampton, en Ontario.

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1. CAROLINE-DU-NORD

Le tabac saisi provient principalement d’usines de la Caroline-du-Nord, où il a été produit légalement. Il est ensuite chargé à bord de camions semi-remorques de 53 pieds qui prennent la route  vers le Canada. 

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