Pénurie de foin

Des éleveurs forcés de vendre des bêtes

Durement frappés par une pénurie de foin qui a fait doubler le prix des balles, des producteurs québécois estiment qu’ils ont été privés d’un dédommagement de 16 millions de dollars, car Ottawa refuse de revoir la méthode de calcul de leur programme d’assurance récolte de manière à refléter leurs pertes réelles. Pris à la gorge, certains éleveurs ont commencé à vendre des bêtes qu’ils n’ont plus les moyens de nourrir s’ils veulent rester rentables.

L’an dernier, le Québec a connu son été le plus chaud depuis 146 ans, provoquant des sécheresses catastrophiques. Dans les régions du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie, du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de Chaudière-Appalaches, il n’y a pas eu de pluie avant la 38e journée de croissance du foin. Une éternité, considérant que les champs sont fauchés entre la 45e et la 50e journée de pousse.

Le programme d’assurance récolte permet aux agriculteurs d’éponger jusqu’à 88 % de leurs pertes en fonction des précipitations enregistrées à la station météorologique la plus proche de leur ferme. Moins il pleut, plus ils sont indemnisés.

Or, des pluies diluviennes survenues sur de très courtes périodes de temps à la toute fin des récoltes à l’été 2018 ont haussé de manière considérable la quantité de pluie utilisée dans le calcul des prestations versées aux cultivateurs.

« C’est la première année que ça arrive. On n’avait jamais vu ce phénomène climatique là. »

— Martin Caron, premier vice-président de l’Union des producteurs agricoles (UPA)

Le foin – qui est composé de trèfle, de luzerne et de graminées – réagit un peu à la manière d’une pelouse, explique M. Caron. « Les plantes fourragères, tout comme votre gazon, par temps sec accompagné de grosses chaleurs, ça ne pousse pas. Tu as beau avoir étalé sur 50 jours la quantité d’eau nécessaire pour faire croître ta plante, si tu l’as eue juste vers la fin, ça n’aide pas beaucoup. »

L’UPA, le syndicat qui représente les 42 000 producteurs agricoles du Québec, aimerait que les précipitations survenues lors des dix derniers jours de croissance du foin soient modulées à la baisse. Un tel calcul aurait permis aux agriculteurs de recevoir un dédommagement collectif de 64 millions l’an dernier. Ils ont plutôt reçu 48 millions.

Le programme d’assurance foin et pâturage est géré par la Financière agricole du Québec.

4500 Nombre d’agriculteurs qui ont souscrit à l’assurance foin en 2018

40 % Part du fonds d’indemnisation du programme d’assurance foin et pâturage financée par les producteurs agricoles

36 % Part assurée par le ministère de l’Agriculture du Canada

24 % Contribution du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ)

La Financière agricole et le MAPAQ ont reconnu qu’il y avait un problème avec la méthode actuelle de calcul des précipitations. Le ministre québécois de l’Agriculture, André Lamontagne, a d’ailleurs rencontré son homologue fédéral, Lawrence MacAulay, le 16 janvier dernier pour discuter du dossier.

Selon nos informations, les deux ministres ont accepté de revoir les règles pour la saison 2019. Ottawa refuse toutefois d’appliquer ces changements aux récoltes de 2018. Québec juge pour sa part que l’application du règlement dès 2018 est essentielle et que le temps presse.

Répercussions dans les étables

Alors que les négociations se poursuivent, la pénurie de foin frappe les producteurs de plein fouet.

Jean-Thomas Maltais, producteur bovin du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui, comme la majorité de ses collègues, cultive son propre foin, estime qu’il a enregistré des pertes de 50 000 $ l’été dernier. Il a reçu seulement 6000 $ de compensations.

Par conséquent, il devra réduire son cheptel de 10 %. Ses vaches les moins productives seront envoyées à l’abattoir. Il ne peut pas risquer de manquer de nourriture au printemps, dit-il.

Ce dernier possède 200 vaches et 150 veaux. Pour nourrir 200 vaches, 12 balles rondes sont nécessaires chaque jour, dit-il.

« J’ai un manque à gagner de 1200 à 1500 balles de foin pour durer jusqu’à la prochaine fauche. Présentement, le foin, au lieu d’être à 40 $, il est à 80 $ la balle ronde, alors, faites le calcul. »

— Jean-Thomas Maltais, producteur bovin

Selon Martin Caron, cette situation n’est pas isolée. Plusieurs éleveurs ont été forcés de faire ce choix déchirant. Le stress de ne pas pouvoir nourrir leurs bêtes, souvent considérées comme des membres de la famille, engendre de la détresse chez certains producteurs, ajoute-t-il.

Le producteur bovin de Saint-Ulric de Matane Daniel Reichenbach explique pour sa part qu’il a dû sevrer ses veaux près de deux mois et demi plus tôt, car les vaches qui allaitent consomment davantage de foin.

« Cette année, je suis allé faucher à des places où il y avait des caps de roches. Le foin pousse et à la fin de la saison, il refoule, et en dessous, il y avait comme un vieux foin. Donc les vaches ont mangé ça. On n’a pas le choix. On essaye de survivre, comme on dit. On ne peut pas tout vendre notre troupeau. On ne peut pas s’en défaire si l’on veut garder des revenus », ajoute celui qui est également président du syndicat des producteurs bovins du Bas-Saint-Laurent.

Les explications d’Ottawa

Par la voix de son porte-parole, le ministère fédéral de l’Agriculture a indiqué qu’un groupe de travail était toujours en place en partenariat avec la Financière agricole afin de trouver une solution pour les producteurs touchés par la sécheresse de 2018.

« Le gouvernement du Canada travaille aussi conjointement avec la Financière afin de fournir un programme plus flexible aux conditions météorologiques extrêmes », a indiqué James Watson, porte-parole du ministère de l’Agriculture dans un courriel.

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