Chronique 

Comme les vieux partis

L’agronome Louis Robert a été congédié parce qu’il a révélé des informations à un journaliste de Radio-Canada. Ces informations étaient d’intérêt public et elles étaient cachées par ses patrons du ministère de l’Agriculture.

En gros, Louis Robert a permis au journaliste Thomas Gerbet de démontrer que le ministère de l’Agriculture tolère l’ingérence du privé dans la recherche publique sur les pesticides.

Il a d’abord dénoncé à l’interne le fait que les intérêts privés ont une emprise sur la recherche financée par vos impôts au sein du Centre de recherche sur les grains, un organisme que les fabricants et les vendeurs de pesticides – le privé – contrôlent.

Il a dénoncé à l’interne et…

… et il ne s’est rien passé.

D’où sa décision d’aider le journaliste Gerbet qui fouillait cette histoire, parce que des chercheurs étaient scandalisés par la situation.

Ce faisant, il a fait œuvre utile et a mis l’intérêt public au-dessus de l’institution qu’est le ministère de l’Agriculture.

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Mais des hauts fonctionnaires de l’Agriculture ont eu le réflexe habituel de protection de l’institution : ils ont mis sur pied une petite Stasi d’opérette dans les officines pour trouver qui était le traître qui avait osé alerter les Québécois des courbettes que tolérait le ministère de l’Agriculture devant les fabricants de pesticides.

M. Robert a décidé d’assumer et il n’a pas menti quand on lui a demandé s’il avait parlé au journaliste Gerbet.

Sa réponse : oui.

La conséquence : congédiement.

C’est en soi scandaleux, c’est en soi une démonstration que cette loi qui protège les lanceurs d’alerte adoptée sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard ne protège pas les lanceurs d’alerte.

Et c’est une autre démonstration que l’État, quand il est embarrassé par des révélations qui montrent son incurie, a toujours le réflexe suivant : punir ceux qui ont osé parler. C’était vrai sous les péquistes, c’était vrai sous les libéraux et on peut désormais le dire : c’est vrai sous les caquistes.

C’eût été une belle occasion pour le gouvernement de la Coalition avenir Québec de se distancer des façons de faire des « vieux partis » – surtout que cette affaire a commencé sous les libéraux –, mais non, le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, est non seulement d’accord avec ce congédiement, mais il est allé se vanter de l’avoir autorisé devant les médias, mercredi ! François Legault est monté au créneau hier pour défendre ce cafouillage : il a fait exactement ce qu’un premier ministre des « vieux partis » aurait fait.

En plus, le ministre Lamontagne ment. Le ministre a d’abord menti quand il a insinué – tactique classique de salissage face aux lanceurs d’alerte – que le fonctionnaire Louis Robert avait d’autres faits à se reprocher que sa seule collaboration avec le journaliste Gerbet, sans donner de précisions.

C’est absolument faux : plus tard ce jour-là, le journaliste en question a publié la lettre de congédiement du fonctionnaire-lanceur d’alerte et sa collaboration au reportage de Radio-Canada est le SEUL motif invoqué. Rien d’autre n’est mentionné dans la lettre. On mentionne en revanche que l’agronome a « manqué de loyauté », la clause fourre-tout des conventions collectives et du Code civil qui permet de fermer la gueule des employés.

Autre mensonge du ministre. Il a dit : « Je réitère l’importance que j’accorde aux lanceurs d’alerte » sur sa page Facebook. Cette affirmation est à ce point risible qu’on s’étonne qu’elle n’ait pas fait planter l’algorithme de Facebook à la grandeur du globe, algorithme pourtant habitué à colporter des faussetés.

Si le ministre trouvait que les lanceurs d’alerte sont importants, il aurait protégé l’agronome Louis Robert. Il ne l’a pas fait. Le reste n’est que spin et contrôle des dommages. 

C’est d’autant plus fou que le ministère de l’Agriculture a agi après les révélations de Radio-Canada, comme quoi Louis Robert n’était pas dans le champ (pardonnez-la).

Il reste que le congédiement du fonctionnaire Robert est un message clair à la machine étatique, un rappel amical : ce qui compte, c’est d’abord et avant tout la loyauté à l’institution – le ministère pour lequel vous travaillez –, non pas la loyauté envers la société… même quand l’institution prend des décisions toxiques pour la société.

Permettez que je rappelle que la ministre de l’Environnement MarieChantal Chassé a récemment perdu son poste de ministre parce qu’elle maîtrisait mal ses dossiers et qu’elle communiquait mal avec les médias…

Mais il reste que Mme Chassé n’a jamais commis un péché aussi capital que de prendre le bord des fabricants de pesticides dans un enjeu impliquant un fonctionnaire qui a décidé d’alerter le public sur les saloperies cautionnées par le ministère de l’Agriculture en matière de pesticides.

Mme Chassé manquait de panache, soit, mais ce que M. Lamontagne a fait dans ce dossier est cent fois pire que ce que l’ex-ministre de l’Environnement a pu faire.

Mais comme M. Lamontagne ne bafouille jamais quand il dit des sottises, il va bien sûr garder son job.

***

L’agronome Louis Robert a voulu informer les Québécois des fling-flangs que le ministère de l’Agriculture cautionne, entourloupettes qui ne servent que les fabricants et les vendeurs de pesticides. Pas le bien commun.

Et le ministre Lamontagne a été heureux de se vanter qu’il avait « personnellement » approuvé le congédiement de l’agronome !

Dans cette affaire qui rappelle que dire la vérité a un coût au sein de l’État, l’agronome Louis Robert perd tout, mais on ne pourra jamais dire qu’il est une marionnette, bien au contraire.

Quant au ministre André Lamontagne, la seule question qui reste à élucider est la suivante : qui tient les ficelles de ce pantin ?

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