Chronique

Analphabètes, les chômeurs ?

Réveil brutal en lisant mes premiers courriels en 2016 : la majorité des chômeurs seraient analphabètes fonctionnels. Et la situation est plus dramatique au Québec qu’ailleurs au Canada.

Ce douloureux constat est décrit dans un Bulletin de décembre 2015 du Collège Lionel-Groulx, que m’a transmis Michel Simard, le directeur de la formation continue de l’établissement.

Le bulletin s’en remet aux données bien connues sur la « littératie » de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). Seule différence, importante : les données ont été récemment décortiquées par Statistique Canada selon le statut d’emploi, le niveau de scolarité et par tranche d’âge.

Ce qui fait le plus mal ? Les chômeurs de 35-44 ans qui ne sont jamais allés au cégep seraient analphabètes fonctionnels dans une proportion de 97 % au Québec. Ailleurs au Canada, la situation n’est pas rose, mais moins catastrophique. Par exemple, en Ontario, le même groupe (diplôme secondaire ou moins) a tout autant de difficulté à lire efficacement dans une proportion de 70 %.

Autrement dit, ces citoyens peuvent être travaillants, mais leur incapacité à bien comprendre des textes d’une complexité minimale ou à bien calculer est un handicap majeur à l’emploi et un gage de pauvreté.

L’étude mondiale de l’OCDE décline la littératie en cinq niveaux. Ceux qu’on dit souvent analphabètes fonctionnels ne dépassent pas le niveau 2. Certes, nombre d’entre eux peuvent saisir un texte simple, mais ils décrochent dès que la compréhension du texte exige un certain niveau d’abstractions ou de déductions.

Par exemple, il leur est difficile de saisir aisément les instructions d’assemblage d’une étagère ou de calculer les taxes de vente de deux articles en solde.

Pour fonctionner aisément dans la société actuelle, il faut atteindre le niveau 3 de littératie. Il s’agit « du niveau minimal permettant de comprendre et d’utiliser l’information contenue dans des textes et des tâches de difficulté grandissante qui caractérisent la société du savoir émergente et l’économie de l’information ».

Globalement, la proportion de chômeurs qui ne dépassent pas le niveau 2 de littératie atteint 61 % au Québec, tout groupe d’âge et de diplomation confondus. Cette proportion est de 52 % en Ontario et de 56 % dans l’ensemble du Canada, selon l’enquête. Ça fait beaucoup de monde, beaucoup trop, dans un contexte où la technologie évolue à vitesse grand V et la concurrence des pays en développement s’accélère.

La situation est moins sombre pour les Québécois qui travaillent, mais demeure préoccupante. La proportion dite analphabète fonctionnel de ce groupe est de 49 % au Québec et de 43 % en Ontario, selon les données de l’enquête.

UNE CONSOLATION POUR LE QUÉBEC

Pour le Québec, les données de Statistique Canada comprennent au moins une bonne nouvelle. L’écart défavorisant le Québec face à l’Ontario disparaît chez les plus jeunes (voir le tableau). Ainsi, au Québec, la proportion dite analphabète fonctionnel – chômeurs ou non – serait de 69 % chez les 55-65 ans, 13 points de plus qu’en Ontario. Cet écart décroît progressivement jusqu’à s’inverser chez les 25-34 ans (1,4 point de pourcentage de moins au Québec, à 39,7 %).

L’amélioration pourrait s’expliquer par des facteurs liés à l’éducation (recul du décrochage au secondaire, hausse du taux d’universitaires, etc.). Michel Simard croit que plutôt que l’analphabétisme fonctionnel s’accroît avec l’âge parce que le Québec fait moins de formation continue qu’ailleurs. « La déperdition s’accélère avec l’âge. Il faut faire plus de formation continue », dit-il.

Face à ce constat, Michel Simard s’est battu pour que les gouvernements remboursent en totalité les entreprises qui entreprennent d’offrir à leurs employés une formation de base en littératie et en numératie. Pas une formation pour l’utilisation d’une machine de production, mais bien pour apprendre ou réapprendre à lire adéquatement, à résoudre des problèmes mathématiques et à interpréter des schémas et graphiques.

GRATUIT POUR LES ENTREPRISES

Pour les dirigeants d’entreprises, la détection de l’analphabétisme fonctionnel n’est pas évidente. Certains employés sont loyaux et fort travaillants, mais pour différentes raisons, ces lacunes sont bien camouflées ; ils font des erreurs coûteuses ou prennent un temps fou à intégrer de nouvelles tâches. Leurs difficultés viennent souvent de cette lacune en littératie ou en numératie.

Première étape pour l’employeur : faire passer des tests à certains employés. Depuis septembre 2015, ces tests sont entièrement remboursés par le gouvernement. Même les salaires des employés – jusqu’à 20 $ de l’heure – sont remboursés durant la formation qui suit, le cas échéant. Pour se prévaloir du programme, les entreprises doivent communiquer avec Emploi-Québec.

La formation n’est toutefois pas encore offerte aux chômeurs, malheureusement. Un projet-pilote est sur le point de démarrer auprès de 400 chômeurs au Canada, dont une centaine au Québec.

Quoi qu’il en soit, le problème est préoccupant. Pensez-y, quand une entreprise veut recruter de nouveaux employés parmi les chômeurs, son bassin de main-d’œuvre disponible est composé à 61 % de personnes analphabètes fonctionnelles… Ouch.

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