Chronique

N’abolissez pas la libération

Comme souvent quand ce gouvernement parle de criminalité, ça commence par un mensonge.

« Les Canadiens ne comprennent pas pourquoi les criminels les plus dangereux pourraient être libérés un jour », disait le ministre de la Justice Peter Mackay en 2013.

Lundi, le leader conservateur en Chambre, Peter Van Loan, a annoncé qu’une loi serait bientôt déposée pour faire en sorte qu’une peine d’emprisonnement à perpétuité « soit juste ça : une peine à perpétuité ».

Le mensonge, c’est que les criminels « les plus dangereux » recouvrent la liberté. Des meurtriers obtiennent parfois une libération conditionnelle. Mais seulement s’ils ont démontré qu’ils ne sont plus dangereux.

Une condamnation pour meurtre entraîne une peine automatique d’emprisonnement à vie. S’il s’agit d’un meurtre au deuxième degré (non prémédité), le juge fixe entre 10 et 25 ans le nombre d’années pendant lesquelles le délinquant n’aura pas droit à une libération conditionnelle.

S’il s’agit d’un meurtre au premier degré, le meurtrier est inadmissible à la libération pendant 25 ans.

Le meurtre au premier degré recouvre les meurtres prémédités, les meurtres de policiers et de gardiens de prison, les meurtres commis pendant un kidnapping ou une agression sexuelle et les meurtres commis lors d’un acte terroriste. On n’a pas encore le projet de loi, mais il semble que ce soit pour cette catégorie que la libération conditionnelle pourrait être abolie.

D’abord, deux précisions. Dans tous les cas d’homicide, la libération se mérite et n’est pas automatique. Les cas cités dans les médias – les meurtriers en série – n’ont pas la moindre chance d’obtenir une telle libération.

Deuxièmement, il existe déjà une catégorie de détenus pour lesquels on a en quelque sorte « jeté la clé » : les délinquants dangereux. Ils sont environ 500 dans les pénitenciers canadiens. Sauf exception, ils n’ont pas commis de meurtre, mais le ou les crimes qu’ils ont commis (généralement des crimes sexuels, des agressions graves, des tentatives de meurtre) donnent à penser qu’ils sont tellement dangereux qu’il est presque assuré qu’ils récidiveront. Leur peine est « indéterminée » : ils sont réévalués périodiquement, et seule une petite minorité parvient à obtenir une libération supervisée. Les autres ne sortiront jamais.

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Comme dans tout système, il y a des erreurs. La prédiction de la dangerosité est une science inexacte. Considérons tout de même ceci.

De 1998 à 2008, 3032 personnes ont été arrêtées et condamnées pour meurtre ou homicide involontaire au Canada. De tous ces gens qui ont tué, 10 (0,3 %) étaient en libération conditionnelle pour un meurtre ou un homicide involontaire.

C’est dire qu’en moyenne, un meurtre par année au Canada est commis par un récidiviste. C’est assurément trop. Et ce n’est pas pour rien que les mailles des libérations ont été resserrées ces dernières années.

Mais qui sont ces récidivistes ? Ce ne sont justement pas les membres de la catégorie visée par les conservateurs.

Une étude menée sur 658 meurtres commis au Canada entre 1975 et 1990 a révélé que cinq d’entre eux avaient été commis par un récidiviste. Mais dans tous les cas, il s’agissait d’une personne déclarée coupable d’un meurtre non prémédité.

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Une récidive, c’est une récidive de trop, j’en conviens. Mais on vient de le voir, l’abolition des libérations conditionnelles pour les meurtriers « au premier degré » n’aurait probablement sauvé aucune vie au Canada.

La crainte d’être condamné « à vie » sans libération n’améliorera pas la sécurité publique non plus. L’histoire du crime nous enseigne que la crainte du châtiment n’a pas d’impact sur le taux d’homicide. La peine de mort a été abolie en 1976 au Canada, année où il y a eu 668 meurtres. Il y en a eu 505 l’an dernier. De fait, depuis le sommet de 1975, le taux d’homicides a diminué de moitié. Il est passé de 3,03 par 100 000 habitants à 1,44 en 2013 (et même 0,83 au Québec). La criminalité en général également.

Si la peur d’une punition plus sévère avait un effet, les États-Unis ne connaîtraient pas un taux d’homicide cinq fois plus élevé que le nôtre : une majorité d’États imposent pourtant la peine de mort et 49 États ont aboli les libérations pour plusieurs crimes.

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Il y a des criminels qui ne devraient jamais sortir de prison. Nul besoin d’une réforme : c’est déjà une pratique pénitentiaire.

Priver automatiquement de tout espoir tous les gens qui commettent des crimes de cette catégorie est en partie inutile : la plupart ne sortiront pas. Et en partie inhumain : on a vu des gens commettre des horreurs à 20 ans et devenir de tout autres êtres humains 25 ans plus tard. Le système doit encourager ceux-là à changer, à suivre des programmes, toutes choses qu’ils ne feront pas s’ils n’ont aucun espoir.

Si on ne le fait pas par un reste d’humanisme, qu’au moins on le fasse par souci d’efficacité sociale et d’économie.

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