Contrôle des frontières et crise migratoire

L'UE augmente la pression sur la Grèce

La Grèce pourrait être dramatiquement déstabilisée si elle se retrouve exclue de l’espace de libre circulation européen en raison de son incapacité à juguler le flux de centaines de milliers de migrants en provenance de Turquie.

Des pays européens exaspérés par le fait que la majorité de ces demandeurs d’asile poursuivent leur route vers le nord du continent ont évoqué la possibilité d’une telle exclusion au cours des dernières semaines.

« La Grèce a été capable jusqu’à maintenant de gérer ce flux migratoire, mais la tension va rapidement croître si les demandeurs d’asile sont contraints de demeurer sur place et que leur nombre augmente sensiblement dans le pays », prévient Franck Düvell, chercheur de l’Université d’Oxford spécialiste des questions migratoires.

Il existe un « réel potentiel de violence majeure » si un tel scénario devait se concrétiser, puisqu’on assiste déjà dans le pays à une forte montée de l’extrême droite et à la multiplication des agressions xénophobes. Les partisans d’Aube dorée croisent le fer avec des activistes d’extrême gauche déterminés au contraire à protéger les migrants.

La situation économique précaire du pays, au bord de la faillite, limite la marge de manœuvre du gouvernement et pèse lourdement sur la population, exacerbant les risques de dérapage.

« On peut facilement imaginer une multiplication des affrontements entre l’extrême droite et l’extrême gauche, avec les demandeurs d’asile pris entre les deux », note M. Düvell.

« PANIQUE »

La Commission européenne affirme qu’une exclusion, même temporaire, de la Grèce de l’espace Schengen n’est pas envisagée. Mais elle évoque du même souffle la possibilité d’autoriser jusqu’à deux ans le rétablissement de contrôles frontaliers « temporaires » par des pays de l’espace Schengen si la « frontière extérieure » ne peut être sécurisée rapidement.

Hier, le commissaire européen chargé des migrations, Dimitris Avramopoulos, a ajouté à la pression en sommant la Grèce d’améliorer d’ici un mois les conditions d’accueil des migrants et les procédures de traitement des demandes d’asile en vue de limiter la proportion de ceux qui continuent leur route vers le nord.

Frédéric Mérand, du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM), note que les menaces dirigées contre Athènes témoignent de la « panique » des dirigeants européens face à la crise.

« C’est la pire des solutions […] [Les dirigeants européens] cherchent à faire de la Grèce un immense centre de rétention à aire ouverte en disant qu’ils vont fermer la porte au pays si celui-ci ne ferme pas la porte aux migrants. »

— Frédéric Mérand, du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal

L’Union européenne misait sur un plan prévoyant la répartition de 160 000 demandeurs d’asile à l’échelle du continent, mais les pays membres font la sourde oreille aux appels en ce sens. Au dernier décompte, moins de 500 personnes avaient été déplacées.

« C’est assez hallucinant de constater que dans certains pays, particulièrement en Europe de l’Est, les autorités disent essentiellement : “On s’en fout.” D’autres États se traînent les pieds. De manière générale, les dirigeants considèrent que la chancelière allemande Angela Merkel a créé un appel d’air en disant que son pays accueillerait les demandeurs d’asile et que c’est à elle de se débrouiller », déplore M. Mérand.

EFFORTS CONSIDÉRABLES DE LA TURQUIE

La Turquie, sur laquelle l’Union européenne misait pour freiner le flux de migrants avant qu’ils ne partent pour la Grèce, ne satisfait pas non plus les autorités à Bruxelles.

Selon M. Düvell, le pays a déjà ouvert ses portes à 2,5 millions de personnes et a fait des efforts considérables pour les accueillir sans pour autant leur accorder un statut qui leur permettrait de s’établir dans le pays.

« Ils font plus que les pays européens, qui sont mal placés pour leur donner des leçons à ce sujet », relève le chercheur.

Les ressources policières et sécuritaires du régime turc sont par ailleurs déjà fortement sollicitées par le contrôle des allers et venues de djihadistes à la frontière avec la Syrie, la menace terroriste et la reprise des hostilités avec les combattants kurdes. Le contrôle de la frontière avec la Grèce arrive « au quatrième rang », relève le chercheur.

L’aide récemment demandée à l’OTAN par Angela Merkel pour soutenir la surveillance en mer par les agents frontaliers européens n’est pas susceptible non plus, selon lui, d’améliorer la situation. Le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg, a déclaré mardi à Bruxelles qu’il entendait étudier « très sérieusement » la demande.

« L’OTAN est une alliance militaire pour la défense et la sécurité. Or, ce n’est pas un problème de cette nature qu’il est question ici. Ce qui est en jeu, ce sont des personnes qui fuient pour sauver leur vie », conclut M. Düvell.

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