Salaires

L’intrigant rattrapage du Québec

Depuis un quart de siècle, le Québec a toujours eu des salaires plus bas que la moyenne canadienne. En tout cas, plus bas que l’Ontario, que l’Alberta et que la Colombie-Britannique. Et avec les années, l’écart s’est agrandi.

Plusieurs raisons ont été évoquées, dont l’anémie économique du Québec, mais quoi qu’il en soit, ce retard consume notre estime de soi collective.

Or, un phénomène intrigant est apparu ces derniers temps. Un phénomène qui a débuté à l’été 2013, mais qui est surtout marquant depuis le printemps de 2015 : la croissance des salaires au Québec est plus forte qu’ailleurs. Tant et si bien que le Québec referme progressivement son écart avec le reste du Canada, tendance que n’ont pas captée les données du recensement publié mercredi, qui porte sur l’année 2015.

Attention, il faudra attendre encore quelques trimestres pour confirmer la solidité du phénomène. Mon analyse se base sur l’Enquête sur la population active (EPA) de Statistique Canada (56 000 ménages), qui comporte une certaine marge d’erreur.

N’empêche, le net rattrapage du Québec ne date pas de 3-4 mois, mais de 24 mois.

Voyons voir. Au cours de la dernière année, le salaire moyen des Québécois ramené sur une base horaire s’est élevé à 24,71 $1. Ce salaire horaire moyen est en croissance de 2,9 % depuis un an, bien plus que la moyenne canadienne (1,4 %).

Certes, l’Alberta tire la moyenne vers le bas (hausse de seulement 0,5 %), avec la crise pétrolière. Toutefois, les 2,9 % du Québec dépassent aussi nettement l’Ontario (0,7 %) et la Colombie-Britannique (1,0 %), deux provinces qui connaissent un boom de l’emploi.

Sur trois ans, le Québec vient au 3e rang canadien (7,8 %), devançant encore l’Ontario (6,2 %) et la Colombie-Britannique (4,7 %).

Certains diront qu’ils n’ont pas vu la couleur de ces augmentations. Ils ont raison, mais il faut voir l’ensemble de la main-d’œuvre, notamment les personnes qui grimpent dans l’échelle salariale ou qui s’ajoutent au marché du travail.

Est-il possible que les derniers mois aient été anormalement élevés au Québec, ce qui biaise les comparaisons ?

Pour en avoir le cœur net, j’ai comparé l’écart des salaires du Québec avec ceux du reste du Canada depuis 1997, soit depuis que des données comparables sont publiées. Les résultats sont frappants.

À l’été 1997, le salaire horaire moyen au Québec (15,13 $) était de 27 cents plus bas que celui de la moyenne canadienne. Au fil des années, cet écart s’est agrandi, franchissant la barre des 75 cents au début de 2006, puis a atteint environ 1,75 $ au printemps 2015. Le salaire horaire au Québec était alors de 23,38 $.

À partir de l’été 2015, coup de théâtre : les écarts du Québec ont commencé à diminuer rapidement, tant avec l’Ontario, qu’avec l’Alberta et la Colombie-Britannique. Ainsi, l’écart s’est aminci avec la moyenne canadienne au cours de 9 des 10 derniers trimestres, ce qui ne s’était pas vu depuis 1997. L’écart avec la moyenne canadienne a ainsi été ramené à 1,08 $ au cours de l’été 2017, soit le même écart que 10 ans plus tôt.

Visiblement, il se passe quelque chose.

J’ai demandé à Statistique Canada s’il y avait eu des changements qui pourraient expliquer le phénomène. « Aucun changement n’a été effectué à l’Enquête sur la population active à cet égard au cours des deux dernières années », nous indique Jean-Christian Sarrazin-Latreille, l’un des responsables de la production des données.

Toutefois, précise-t-il, une deuxième enquête de Statistique Canada sur les salaires (EERH) est plus fiable, bien que les données soient moins récentes2. Cette deuxième enquête dégage des tendances similaires, ai-je constaté, mais elles sont un peu moins prononcées et ont débuté à la crise financière de 2009 (pour l’Ontario et la Colombie-Britannique) ou à la crise pétrolière de 2014 (pour l’Alberta).

Différentes raisons peuvent expliquer la tendance. En plus des deux crises, qui ont frappé moins durement le Québec, il y a le vieillissement de la population, entre autres.

Depuis 2013, le bassin des travailleurs de 15 à 64 ans a diminué de 23 000 personnes au Québec. La baisse est relativement faible (- 0,4 %), mais pendant ce temps, ce même bassin augmentait de 475 000 dans le reste du Canada (+ 2,6 %).

Conséquence : la plus grande rareté relative de travailleurs au Québec fait probablement pression à la hausse sur les salaires, question d’offre et de demande.

Cela dit, la vigueur économique du Québec y est sûrement pour quelque chose. Le taux d’emploi est à un sommet historique au Québec chez les 25-54 ans et il est le plus élevé au Canada.

En ciblant ce groupe d’âge de 25-54 ans pour les salaires, justement, le resserrement de l’écart Québec-Canada est encore plus manifeste, surtout pour les salaires médians (plutôt que moyens). De fait, cet écart chez les 25-54 ans est maintenant PLUS BAS qu’en 1997, soit 25 cents de l’heure au lieu de 49 cents. Le phénomène est similaire avec l’Ontario et la Colombie-Britannique.

Ce resserrement depuis deux ans n’est pas attribuable à un seul secteur. L’écart de salaires avec l’Ontario a baissé pour 6 des 10 secteurs économiques, tandis qu’il est resté stable pour trois autres et a augmenté dans un seul cas.

Qu’est-ce qui explique cette vigueur du Québec ? Différentes raisons. L’équilibre budgétaire redonne confiance, les nombreux mégachantiers (Turcot, Champlain, Réseau électrique métropolitain, etc.) dopent les salaires, la fin des magouilles pré-Charbonneau rétablit un équilibre économique, la mobilisation de 2014 autour des 200 projets de Je vois Mtl donne des résultats, etc.

Il faudra faire un suivi, assurément. En attendant, on peut se poser la question : est-il possible que nos décisions collectives et nos sacrifices finissent par porter leurs fruits ?

1. Il s’agit du salaire moyen entre septembre 2016 et août 2017, le mois le plus récent. Pour les fins de la comparaison, les années qui précèdent se terminent aussi toujours en août.

2. L’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH) est notamment basée sur les relevés de Revenu Canada fournis par les entreprises.

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