Chronique

Les organisations québécoises en déficit de QI

Depuis au moins quatre ans, il est beaucoup question de pénurie de main-d’œuvre et cet enjeu crucial va demeurer une préoccupation majeure, tellement il se pose en frein au développement et à la croissance de nombreuses entreprises québécoises. Une partie du problème pourrait toutefois se régler d’elle-même si les organisations s’occupaient mieux de leurs effectifs existants.

Une quantité grandissante d’entreprises investissent énormément de leur énergie et de leur argent pour tenter de combler leurs besoins de main-d’œuvre. Dans certains cas, c’est leur propre survie qui est en jeu.

Elles participent à des campagnes de recrutement à l’étranger, elles multiplient les initiatives pour mieux se faire connaître, elles réduisent leur nombre d’échelons salariaux ou offrent des bonifications de toutes sortes pour attirer de nouveaux travailleurs.

On le sait, cette réalité n’est pas près de s’estomper au Québec en raison de notre fort déficit démographique, et c’est pourquoi il importe que les entreprises arrivent au moins à tirer le plein potentiel de leur main-d’œuvre existante.

Ce qui n’est visiblement pas le cas, selon une recherche que vient de réaliser la firme-conseil Coefficience qui, de concert avec la maison de sondage SOM, vient de mettre sur pied un indice pour mesurer le quotient d’implication (QI) organisationnel des entreprises.

Sous la supervision de la spécialiste en sondages June Marchand, de l’Université Laval, le consultant en communication managériale Yves Chapleau a cherché à déterminer l’implication des travailleurs face à leur organisation selon trois critères spécifiques.

De façon verticale en évaluant leur implication face à leur encadrement dans l’entreprise, de façon horizontale en mesurant leur implication face à leurs collègues et aux différents services de l’entreprise et, enfin, de façon externe en déterminant leur implication face aux attentes de la clientèle.

Le sondage a été conçu et réalisé par la firme SOM auprès de 1021 travailleurs issus de la petite, moyenne et grande entreprise ainsi que du secteur public.

« On constate de façon générale que les organisations québécoises ne tirent pas le plein potentiel de leur main-d’œuvre. Le QI organisationnel n’est que de 52 sur une échelle de 100. »

— Yves Chapleau

« On a observé que les employés sont davantage impliqués lorsqu’il est question de bien servir leur clientèle, avec un QI de 58, soit plus que ne l’est leur implication par rapport à leur organisation, qui obtient un score de 54 », observe M. Chapleau.

L’étude nous apprend également que c’est au chapitre des relations à l’intérieur de l’entreprise que l’implication des employés est la plus faible. Sur une échelle de 100, la collaboration intraéquipe obtient un quotient d’implication de seulement 50 et lorsqu’on évalue l’engagement inter-équipes d’une même entreprise, le QI tombe à un très faible résultat de 38.

Selon Yves Chapleau, les organisations québécoises travaillent encore beaucoup trop en silo, ce qui empêche la bonne circulation de l’information et peut même générer des tensions au sein des entreprises.

Et même à l’intérieur des silos, beaucoup d’employés travaillent en solo sans trop se soucier des attentes de leurs collègues.

Un indice de référence

Cette première étude sur le quotient d’implication des organisations démontre l’importance pour les entreprises de mieux valoriser les emplois, selon ses auteurs.

« La pénurie de main-d’œuvre, c’est un phénomène qui va durer. En augmentant l’implication des employés, une entreprise améliore son pouvoir de rétention. Des employés impliqués, ce sont aussi des employés beaucoup plus productifs », souligne Yves Chapleau.

Il faut, selon lui, développer l’intelligence collective des entreprises. Il cite les recherches du Center for Collective Intelligence du Massachusetts Institute of Technology qui ont démontré que les entreprises qui ont un quotient d’implication organisationnel fort affichent un niveau d’exécution stratégique supérieur à la moyenne.

Julie Fortin, coprésidente de SOM, estime pour sa part que l’étude révèle que les organisations québécoises doivent mieux communiquer leurs objectifs, mieux expliquer leur alignement stratégique, elles doivent être plus collaboratives.

« Avec cette première étude, on vient de créer un indice de référence avec lequel les entreprises pourront se comparer et s’évaluer. Il n’y a pas de quotient d’implication idéal, mais notre outil permet d’identifier ce qu’il faut améliorer.

« C’est un point de départ qui nous a appris que les gens se parlent peut-être dans leur entreprise, mais qu’ils souffrent aussi d’un grand manque d’écoute », observe Julie Fortin.

À cet égard, le fait que les employés affichent une plus grande implication envers la clientèle que celle qu’ils cultivent pour leur propre entreprise m’apparaît quand même symptomatique.

Ils sont plus motivés à bien répondre aux attentes de la clientèle qu’à participer à la réalisation des objectifs de leur entreprise. Une situation que l’on observe de façon courante dans le secteur de la santé où les employés – techniciens, infirmières et préposés – ont bien plus à cœur le sort de leurs patients que celui de leur organisation.

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