Il faisait froid sur les quais mal déneigés de la station de métro intermodale De la Concorde, à Laval, où s’arrête le train de banlieue de Saint-Jérôme. Valérie Amyot et Marie-Claude, une amie, attendaient le train de 16 h 45 pour rentrer chez elles, à Blainville. Il était en retard. Un avis diffusé par les haut-parleurs sur les quais les avait déjà prévenues qu’un train s’était immobilisé à la gare précédente, Bois-de-Boulogne, et que les passagers devaient prendre un autre train. Cela allait allonger les retards de 15 minutes.
« Quand il est finalement arrivé, vers 17 h 30, avec 45 minutes de retard, on avait peur que le train soit bondé, puisqu’il y avait des usagers des trois derniers trains qui attendaient sur la ligne, raconte Marie-Claude. Mais non, finalement, on avait des places assises. »
Le train était plus silencieux que d’habitude, dit-elle, il n’y avait pas de lumière. Les portes se sont fermées.
« Et là, le conducteur nous a dit par intercom : “On n’a pas de chauffage ni d’éclairage. On a juste un moteur. Alors, je vais vous amener aussi loin qu’on le pourra.”
« C’est là qu’on a compris qu’on était dans le train qui était immobilisé plus tôt à la gare Bois-de-Boulogne. Il n’y avait pas eu de transfert des passagers. Le train est reparti, j’imagine, et il s’est traîné jusqu’à Concorde. On est partis. Quand on s’est arrêtés à la gare suivante, Vimont, le train ne repartait plus. Le conducteur est parvenu à le remettre en marche. »
— Valérie Amyot
À la gare Sainte-Rose, le train s’est complètement arrêté. L’opérateur a informé ses passagers qu’un mécanicien allait tenter de faire repartir le train. Après une quinzaine de minutes, dit Mme Amyot, il y est parvenu.
« Par moments, ça ralentissait, poursuit Marie-Claude. Dans le train, on se regardait et on riait, même s’il faisait froid – il n’y avait pas de chauffage. On a eu peur que ça s’arrête complètement au beau milieu du pont qui passe au-dessus de la rivière des Mille-Îles entre Sainte-Rose et Rosemère, et de rester pris là. On a passé. Nous sommes arrivés à la gare de Rosemère vers 17 h 55. On était déjà presque une heure en retard. Une fois là, le conducteur nous a prévenus qu’on n’irait pas plus loin, qu’on devait tous sortir à Rosemère et attendre le prochain train. »
Quand Valérie et Marie-Claude sont finalement arrivées à Blainville, il était près de 18 h 30. Presque 75 minutes plus tard que prévu.
Plus de 900 retards
« Le plus irritant avec ce genre d’histoires, affirme Mme Amyot, ce n’est pas qu’elles arrivent. C’est que ça arrive de plus en plus souvent », et ce, depuis des mois. Selon elle, ces incidents, les retards, les pannes en série qui frappent tous les trains du réseau, coïncident avec l’arrivée du nouvel opérateur qui est responsable des trains de banlieue, le Réseau de transport métropolitain (RTM).
« Je ne sais pas s’il y a un rapport, mais depuis que le RTM est arrivé dans le décor, dit-elle, c’est pathétique. »
« Un train avec juste un moteur, pas de lumières, pas de chauffage, qui ne repart plus quand il s’arrête aux gares, et qui m’amène “aussi loin que possible”. Est-ce que c’est pour ça que je paie 200 $ par mois ? »
— Marie-Claude
Elle n’est pas la seule à se poser la question. En sept semaines à peine depuis le début de 2018, plus de 900 départs sur l’ensemble du réseau ont accusé un retard, sur un total de 5302 trains, pour un taux de ponctualité médiocre de 82,9 %, selon des données détaillées obtenues par La Presse.
En nombres absolus, le RTM a ainsi enregistré, en un mois et demi, presque la moitié du nombre de retards accumulés sur toute l’année 2017. Et presque la moitié de ces retards depuis le début de 2018 sont survenus sur la plus importante ligne de train du réseau, celle de Deux-Montagnes, qui accuse un taux de performance d’à peine 75 % depuis le 1er janvier dernier.
Nombre de retards
2015 : 1718
2016 : 1553
2017 : 1868
2018 : 908*
* Du 1er janvier au 15 février seulement
Objectif 95 %
Dans un passé récent, la défunte Agence métropolitaine de transport (AMT), qui a construit ce réseau, brandissait haut et fort un taux de ponctualité annuel global de ses trains de plus de 95 %, qui en faisait le réseau ferroviaire de passagers le plus fiable dans toute l’Amérique du Nord.
En 2017, malgré une hausse marquée de plus de 300 retards par rapport à 2016, les six lignes de trains du RTM ont obtenu un taux global de ponctualité de 95,5 % pour l’année complète.
En 2018, le réseau a approché – pas atteint – un tel niveau de ponctualité durant une seule semaine.
Et à au moins quatre reprises, le taux de ponctualité hebdomadaire de l’ensemble du réseau n’a même pas atteint 80 %.
Taux de ponctualité global
2015 : 95,8 %
2016 : 96,3 %
2017 : 95,5 %
2018 : 82,9 %*
* Du 1er janvier au 15 février seulement
Un redressement ?
Le 8 février dernier, quand Valérie et Marie-Claude ont fait leur étrange traversée de Laval vers « le plus loin qu’on pourra », les trains de Saint-Jérôme, Vaudreuil-Hudson et Deux-Montagnes ont tous connu des pépins majeurs. Dans cette seule journée, le RTM a enregistré des retards sur 37 de ses 150 départs, dont 11 sur la ligne de Saint-Jérôme.
Le taux de ponctualité de la ligne est tombé à seulement 57,7 %, ce jour-là, et quatre des trains du RTM ont accusé plus d’une heure de retard, dont celui de ces deux résidantes de Blainville. C’était le point culminant de toute une semaine de service chaotique sur cette ligne.
Depuis, la situation semble s’être stabilisée. La semaine dernière, on ne comptait qu’un seul retard en cinq jours d’exploitation sur la ligne de Saint-Jérôme.
Sur la ligne de train de Candiac, on enregistre un score presque parfait depuis la mi-janvier, et des taux de performance de plus en plus encourageants sont notés sur les trains de Mont-Saint-Hilaire. Jadis la ligne la plus ponctuelle du réseau, sa fiabilité décline depuis juillet dernier, selon les données du RTM.
Comment s’expliquent ces irrégularités de service répétées sur les trains du RTM ? L’hiver n’explique pas tout. Les températures ne sont pas polaires depuis le début de février, mais les pannes et retards se multiplient quand même sur plusieurs lignes de train.
Le RTM a décliné une demande d’entrevue de La Presse, la semaine dernière.