Trains de banlieue

Rude hiver

De Laval jusqu’au « plus loin possible »... avec un seul moteur. Une rupture publique à la Saint-Valentin entre une usagère et le Réseau métropolitain des transports. Des retards qui s’accumulent. Comment expliquer ces irrégularités répétées qui affligent les trains de banlieue ? Un dossier de Bruno Bisson

ligne saint-jérôme

L’étrange voyage vers « le plus loin qu’on pourra »

Il faisait froid sur les quais mal déneigés de la station de métro intermodale De la Concorde, à Laval, où s’arrête le train de banlieue de Saint-Jérôme. Valérie Amyot et Marie-Claude, une amie, attendaient le train de 16 h 45 pour rentrer chez elles, à Blainville. Il était en retard. Un avis diffusé par les haut-parleurs sur les quais les avait déjà prévenues qu’un train s’était immobilisé à la gare précédente, Bois-de-Boulogne, et que les passagers devaient prendre un autre train. Cela allait allonger les retards de 15 minutes.

« Quand il est finalement arrivé, vers 17 h 30, avec 45 minutes de retard, on avait peur que le train soit bondé, puisqu’il y avait des usagers des trois derniers trains qui attendaient sur la ligne, raconte Marie-Claude. Mais non, finalement, on avait des places assises. »

Le train était plus silencieux que d’habitude, dit-elle, il n’y avait pas de lumière. Les portes se sont fermées.

« Et là, le conducteur nous a dit par intercom : “On n’a pas de chauffage ni d’éclairage. On a juste un moteur. Alors, je vais vous amener aussi loin qu’on le pourra.”

« C’est là qu’on a compris qu’on était dans le train qui était immobilisé plus tôt à la gare Bois-de-Boulogne. Il n’y avait pas eu de transfert des passagers. Le train est reparti, j’imagine, et il s’est traîné jusqu’à Concorde. On est partis. Quand on s’est arrêtés à la gare suivante, Vimont, le train ne repartait plus. Le conducteur est parvenu à le remettre en marche. »

— Valérie Amyot

À la gare Sainte-Rose, le train s’est complètement arrêté. L’opérateur a informé ses passagers qu’un mécanicien allait tenter de faire repartir le train. Après une quinzaine de minutes, dit Mme Amyot, il y est parvenu.

« Par moments, ça ralentissait, poursuit Marie-Claude. Dans le train, on se regardait et on riait, même s’il faisait froid – il n’y avait pas de chauffage. On a eu peur que ça s’arrête complètement au beau milieu du pont qui passe au-dessus de la rivière des Mille-Îles entre Sainte-Rose et Rosemère, et de rester pris là. On a passé. Nous sommes arrivés à la gare de Rosemère vers 17 h 55. On était déjà presque une heure en retard. Une fois là, le conducteur nous a prévenus qu’on n’irait pas plus loin, qu’on devait tous sortir à Rosemère et attendre le prochain train. »

Quand Valérie et Marie-Claude sont finalement arrivées à Blainville, il était près de 18 h 30. Presque 75 minutes plus tard que prévu.

Plus de 900 retards

« Le plus irritant avec ce genre d’histoires, affirme Mme Amyot, ce n’est pas qu’elles arrivent. C’est que ça arrive de plus en plus souvent », et ce, depuis des mois. Selon elle, ces incidents, les retards, les pannes en série qui frappent tous les trains du réseau, coïncident avec l’arrivée du nouvel opérateur qui est responsable des trains de banlieue, le Réseau de transport métropolitain (RTM).

« Je ne sais pas s’il y a un rapport, mais depuis que le RTM est arrivé dans le décor, dit-elle, c’est pathétique. »

« Un train avec juste un moteur, pas de lumières, pas de chauffage, qui ne repart plus quand il s’arrête aux gares, et qui m’amène “aussi loin que possible”. Est-ce que c’est pour ça que je paie 200 $ par mois ? » 

— Marie-Claude

Elle n’est pas la seule à se poser la question. En sept semaines à peine depuis le début de 2018, plus de 900 départs sur l’ensemble du réseau ont accusé un retard, sur un total de 5302 trains, pour un taux de ponctualité médiocre de 82,9 %, selon des données détaillées obtenues par La Presse.

En nombres absolus, le RTM a ainsi enregistré, en un mois et demi, presque la moitié du nombre de retards accumulés sur toute l’année 2017. Et presque la moitié de ces retards depuis le début de 2018 sont survenus sur la plus importante ligne de train du réseau, celle de Deux-Montagnes, qui accuse un taux de performance d’à peine 75 % depuis le 1er janvier dernier.

Nombre de retards

2015 : 1718

2016 : 1553

2017 : 1868

2018 :  908*

* Du 1er janvier au 15 février seulement

Objectif 95 %

Dans un passé récent, la défunte Agence métropolitaine de transport (AMT), qui a construit ce réseau, brandissait haut et fort un taux de ponctualité annuel global de ses trains de plus de 95 %, qui en faisait le réseau ferroviaire de passagers le plus fiable dans toute l’Amérique du Nord.

En 2017, malgré une hausse marquée de plus de 300 retards par rapport à 2016, les six lignes de trains du RTM ont obtenu un taux global de ponctualité de 95,5 % pour l’année complète.

En 2018, le réseau a approché – pas atteint – un tel niveau de ponctualité durant une seule semaine.

Et à au moins quatre reprises, le taux de ponctualité hebdomadaire de l’ensemble du réseau n’a même pas atteint 80 %.

Taux de ponctualité global

2015 : 95,8 %

2016 : 96,3 %

2017 : 95,5 %

2018 : 82,9 %*

* Du 1er janvier au 15 février seulement

Un redressement ?

Le 8 février dernier, quand Valérie et Marie-Claude ont fait leur étrange traversée de Laval vers « le plus loin qu’on pourra », les trains de Saint-Jérôme, Vaudreuil-Hudson et Deux-Montagnes ont tous connu des pépins majeurs. Dans cette seule journée, le RTM a enregistré des retards sur 37 de ses 150 départs, dont 11 sur la ligne de Saint-Jérôme.

Le taux de ponctualité de la ligne est tombé à seulement 57,7 %, ce jour-là, et quatre des trains du RTM ont accusé plus d’une heure de retard, dont celui de ces deux résidantes de Blainville. C’était le point culminant de toute une semaine de service chaotique sur cette ligne.

Depuis, la situation semble s’être stabilisée. La semaine dernière, on ne comptait qu’un seul retard en cinq jours d’exploitation sur la ligne de Saint-Jérôme.

Sur la ligne de train de Candiac, on enregistre un score presque parfait depuis la mi-janvier, et des taux de performance de plus en plus encourageants sont notés sur les trains de Mont-Saint-Hilaire. Jadis la ligne la plus ponctuelle du réseau, sa fiabilité décline depuis juillet dernier, selon les données du RTM.

Comment s’expliquent ces irrégularités de service répétées sur les trains du RTM ? L’hiver n’explique pas tout. Les températures ne sont pas polaires depuis le début de février, mais les pannes et retards se multiplient quand même sur plusieurs lignes de train.

Le RTM a décliné une demande d’entrevue de La Presse, la semaine dernière.

Trains de banlieue

Les amours trahies du train de Deux-Montagnes

Ça va mal sur la ligne de train de banlieue de Deux-Montagnes. Le vaisseau amiral des trains de banlieue de Montréal, ce « vieux beau », ponctuel et confortable, qui aura bientôt 100 ans, a « changé ». Il n’est plus lui-même depuis le début de 2018. Et celles et ceux qui l’aiment commencent même à en avoir ras le pompon. Le jour de la Saint-Valentin, mercredi dernier, tout a pété. Littéralement.

Ce matin-là, après avoir passé « 18 ans sur la même track » avec sur cette ligne qui l’amène au travail, chaque matin, Anne-Marie Lemay a écrit une lettre sur Facebook à l’attention du Réseau de transport métropolitain (RTM), responsable des trains de banlieue. En majuscules, en haut du texte, elle annonce : « C’EST FINI ENTRE NOUS ».

« Tes retards sont quotidiens, écrit-elle. Tu nous poses des lapins tous les jours. Si au moins tu prenais la responsabilité, mais non. Tu me donnes des excuses. C’est le froid, tes portes bloquées, tes aiguillages gèlent, tes passages à niveau ne fonctionnent plus. Tu vas jusqu’à mettre ça sur notre dos parce qu’on n’embarque pas assez vite alors qu’on attend au froid et à la pluie verglaçante. »

Coller-coller

Ce même matin de la Saint-Valentin, sur le quai de la gare Sainte-Dorothée de Laval, à 7 h 43, Arianna Farinola attendait aussi son vieux compagnon, le 928, avec qui elle roule depuis cinq ans jusqu’au travail, cinq jours par semaine. Il était en retard. Pas nouveau. Le quai se remplissait d’usagers, plus que d’habitude. Quand le train est finalement arrivé et que les portes se sont ouvertes, il y avait un mur de passagers devant elle. Ça non plus, ce n’est pas nouveau sur la ligne Deux-Montagnes.

« Mais à partir de la station Sunnybrooke [à sept arrêts de la Gare Centrale de Montréal], le conducteur nous a demandé de nous entasser un peu plus pour permettre au plus grand nombre de personnes possible d’entrer dans le train. À ce moment-là, je ne sais pas si c’est la chaleur, l’humidité ou parce qu’on porte nos manteaux, mais quand les gens sont montés, pendant qu’on nous demandait de nous coller et de nous coller, ç’a été l’enfer. J’ai failli m’évanouir. On a continué comme ça en s’arrêtant à plusieurs gares, ça poussait et ça collait. Et un peu avant la Gare Centrale, le chef de train nous a demandé de débarquer le plus vite possible, à l’arrivée, parce qu’il y avait une urgence médicale à traiter. »

Le trajet de Mme Farinola, ce matin-là, a pris plus d’une heure. « Normalement, c’est 35 minutes entre Sainte-Dorothée et la Gare Centrale », dit-elle.

Et tout ça, c’était seulement à l’heure de pointe du matin.

À l’heure de pointe du soir, aucun des trains en direction de Deux-Montagnes, entre 15 h et 19 h, n’est parti, ou arrivé, à l’heure prévue. La cause : des problèmes mécaniques. Ceux-ci se sont multipliés, d’un train à l’autre. Et si un train arrivait à partir, il devait s’immobiliser en chemin parce qu’un autre train était en panne sur la voie. Comme si tout le système avait flanché.

Une journée à oublier

Au final, cette Saint-Valentin a été une journée horrible sur la ligne Deux-Montagnes. Les amoureux fidèles trahis par ses ratés se comptent par milliers. Pas moins de 22 trains sont arrivés en retard, ce jour-là, soit presque la moitié des 49 départs quotidiens de la ligne Deux-Montagnes.

Dans 12 cas, le retard s’est étiré de 10 à 30 minutes, selon des données fournies par le RTM. Dans trois cas, il a dépassé une heure.

448

Nombre de retards depuis le 1er janvier 2018 sur la ligne Deux-Montagnes

Et cette Saint-Valentin n’était même pas la pire journée de la ligne Deux-Montagnes, ce mois-ci. Une semaine plus tôt, le 7 février, on a enregistré un taux de ponctualité abyssal d’à peine 30 % dans la journée. Sur les 49 départs du jour, toutes directions confondues, 34 trains sont arrivés à destination en retard, dont sept avec plus de 30 minutes.

« Il y a une semaine, je suis arrivée en retard au travail tous les matins, se rappelle Corinne Aubry, une usagère de Saint-Joseph-du-Lac, en banlieue nord, qui prend le train de Deux-Montagnes depuis dix ans. Les pannes sont récurrentes et les raisons ont l’air farfelues. Des fois c’est la neige, des fois c’est le verglas. »

Elle se souvient de la crise de janvier 2009, où l’ancienne Agence métropolitaine de transport avait perdu le contrôle sur un réseau qui pétait de partout. C’est pire depuis la mi-décembre, estime-t-elle.

« À cette époque-là, c’était aussi le chaos. À leur défense, il faisait extrêmement froid. Et la crise a duré quatre ou cinq semaines. Pas deux mois, comme en ce moment. »

Il faut qu’on se parle

Malgré les retards, la désorganisation générale qui semble caractériser le service et ces moments de flottement sur les quais de la Gare Centrale, en fin de journée, quand c’est plein de monde, que tout est fermé, que personne ne sait rien et qu’on ne sait plus sur quel quai il faut prendre le train… Malgré tout ça, Mme Aubry va rester fidèle à la ligne de Deux-Montagnes.

« Ce n’est pas vraiment un choix que j’ai. En automobile, j’arriverais encore plus en retard à cause du trafic aux heures de pointe. Ça fait qu’on est plusieurs, dans le train, à se dire que dans le fond, on est un peu pris en otages. »

— Corinne Aubry

Anne-Marie Lemay, qui a rompu publiquement avec la ligne Deux-Montagnes, à la Saint-Valentin, va aussi continuer de le prendre. La rupture annoncée sur Facebook, c’était pour provoquer une réaction, une vague chez les 30 000 usagers quotidiens du train. Ça a réussi. Même la télévision a parlé d’elle.

« C’était juste une façon de dire au RTM :  “Si tu ne changes pas, je m’en vais.” Mais je ne vais pas redevenir une automobiliste. Je veux retomber en amour avec mon train de banlieue. »

Et pour cela, il faut que le RTM parle. Il faut qu’il ait un plan. La clientèle, croit Mme Lemay, a « besoin d’être rassurée, de savoir que ça ne va pas durer comme ça tout le temps. Des gens commencent à dire qu’ils vont reprendre leur voiture. Il ne faut pas que ça arrive ».

Comme elle l’écrivait dans sa lettre de la Saint-Valentin, « on veut que ça redevienne comme avant ».

Trains de banlieue

Une décision « en révision » pour les voitures du train de Deux-Montagnes

Le Réseau de transport métropolitain (RTM), responsable des trains de banlieue, a décidé de « réviser » la décision d’annuler un programme de réhabilitation complète des voitures automotrices de la ligne de train de banlieue de Deux-Montagnes, en raison des multiples problèmes mécaniques qui touchent quotidiennement des milliers d’usagers des transports collectifs.

Dans un courriel à La Presse, le RTM affirme que ce programme de 40 millions, planifié depuis cinq ans, a été « mis de côté par la précédente administration de l’Agence métropolitaine de transport (AMT) et par le gouvernement » après que la Caisse de dépôt et placement a proposé de remplacer le train de Deux-Montagnes par une antenne de train léger du futur Réseau express métropolitain (REM).

« Avec l’annonce de l’arrivée du REM, des programmes de reconditionnement et de remplacement des voitures MR-90 n’ont pas tous été complétés, et dans certains cas, ont été mis de côté par l’ex-AMT et le gouvernement du Québec. D’autres programmes de révision des infrastructures sur la ligne Deux-Montagnes ont été abandonnés pour la même raison », affirme le RTM dans un courriel reçu vendredi.

« Considérant les problèmes que nous avons connus récemment, poursuit-on, nous prévoyons réviser cette décision afin de pouvoir investir sur les voitures et apporter des améliorations qui permettront d’éviter que de nouveaux problèmes ne se manifestent lors des prochains hivers. »

Des voitures de 22 ans

Le train de banlieue de Deux-Montagnes fêtera cette année son 100e anniversaire. Il a toujours été électrifié. Il a d’ailleurs été un des premiers – sinon le premier – trains électriques voués au transport des passagers en Amérique du Nord. La ligne de 30 kilomètres a été entièrement reconstruite au début des années 90 au coût de 300 millions. Cette somme comprenait un matériel roulant composé de 58 voitures automotrices électriques appelées MR-90 fournies par Bombardier.

Mises en service en 1995, ces 58 voitures, qui ont connu bien des problèmes au fil du temps, ont aujourd’hui dépassé de deux ans leur période de « mi-vie ». 

Dès 2011, la défunte Agence métropolitaine de transport avait lancé les études d’ingénierie pour mettre en place un programme de reconditionnement complet visant à « assurer la pérennité des voitures et le confort des usagers qui les empruntent ».

Le programme de 40 millions était sur le point d’être approuvé par Québec quand la Caisse de dépôt et placement du Québec a proposé, le 22 avril 2016, la création d’un réseau de train électrique de 67 kilomètres. Le projet du REM prévoit en effet que la ligne de Deux-Montagnes devienne une des principales antennes de ce futur réseau de 6,4 milliards, qui comptera 26 stations à Montréal, en banlieue et à l’aéroport international de Dorval.

À l’origine, la Caisse de dépôt promettait une mise en service complète de son réseau à la fin de 2020. On sait maintenant que la mise en service des différentes antennes du REM se fera graduellement, sur environ un an, à compter de l’été de 2021.

Encore trois hivers

En conséquence, les 58 voitures automotrices MR-90 devront donc traverser encore trois, sinon quatre hivers, d’ici à leur remplacement complet par le REM et leur mise à la retraite. Au rythme où vont les bris, les pannes et les retards sur cette ligne de train depuis le début de cet hiver, il est difficile de croire qu’elles seront en mesure de passer au travers.

« Il est clair pour la direction générale du RTM que des investissements sont nécessaires à court et moyen terme pour éviter que les problèmes se répètent, affirme le RTM dans un courriel. C’est la raison pour laquelle nous procédons présentement à une série de réparations et d’améliorations sur les MR-90. Nos équipes sont en train de mettre en place un programme d’amélioration à plus long terme. »

Certaines voitures – le RTM n’indique pas combien – ont déjà été retirées du service. « Nous procédons à différentes réparations mécaniques et électriques : des remplacements de valves, remplacement des boîtiers des systèmes de propulsion pour en améliorer l’étanchéité, le remplacement des sécheurs d’air pour éliminer l’humidité qui s’y accumule et qui empêche que les valves ne gèlent. Au total, nous procédons à une trentaine d’actions de mises à niveau et de réparation sur les voitures. »

Depuis le début de 2018, le taux de ponctualité des trains de banlieue sur la ligne de Deux-Montagnes est d’à peine 75 %. L’objectif de performance du RTM est, historiquement, de 95 %.

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