TEST NUCLÉAIRE NORD-CORÉEN

Branle-bas à... Dorval

Pendant que la Corée du Nord se targuait hier d’avoir testé une puissante bombe à hydrogène, un bureau situé à Dorval était au cœur d’une enquête mondiale pour trouver des émanations radioactives incriminantes. De son côté, Washington s’est dit prêt à recourir à l’arme nucléaire.

Sur la trace des essais nucléaires

Peu avant minuit samedi, dès les premiers instants où une centaine de capteurs sismiques de partout dans le monde ont détecté l’essai nucléaire réalisé par la Corée du Nord, un branle-bas s’est déclenché à Dorval, dans les bureaux du Centre météorologique canadien. La mission : déterminer le lieu précis du site d’essais nucléaires de Pyongyang.

La démarche, à laquelle participe une équipe de 12 personnes demeurant sur appel 24 heures sur 24 dans le cadre des plans d’urgence canadiens, implique un gigantesque réseau de capteurs installés dans des dizaines de pays membres de l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (OTICE).

« Le bureau de Dorval a une capacité unique au Canada qui a été développée après l’accident nucléaire de Tchernobyl, explique Yves Pelletier, chef des opérations du Centre météorologique canadien. Quand le protocole s’enclenche, notre rôle est de mettre en œuvre des modèles de dispersion atmosphérique qui permettent de prédire où se déplaceront les rejets radioactifs. »

« On fait notre part dans un gros incident géopolitique international. Ça nécessite une grande rigueur », ajoute le météorologue de carrière.

Situé aux abords de l’autoroute Métropolitaine, le gros bloc de béton gris de cinq étages où se font les calculs, construit dans le style « bunker » du début des années 70, est coiffé d’une demi-douzaine d’antennes satellites qui trahissent sa fonction ultramoderne. Ses analystes ne sont pas en mesure de détecter les émanations radioactives, mais ils peuvent aider, grâce à des modèles météo complexes, à prédire où elles se trouveront dans quelques jours.

Détection sous peu en Russie ?

On ne parle pas ici d’un large panache radioactif dangereux pour la santé humaine, mais bien de minuscules émanations de xénon 133, un isotope produit par la fission de l’uranium.

« Comme le site d’essais nucléaires nord-coréen est vraisemblablement situé sous une montagne, la communauté internationale cherche des traces qui pourraient s’échapper par des fissures provoquées dans le roc par la puissance de l’explosion. Mais ça peut prendre du temps avant que les émanations sortent. On cherche donc un nuage hypothétique », insiste M. Pelletier.

Si les prévisions fournies tôt hier matin par le Centre météorologique canadien sont justes et que des émanations s’échappent effectivement du lieu présumé de la détonation, « un pic de détection devrait être enregistré [aujourd’hui ou demain] » par un capteur de radionucléides situé en Russie.

La découverte de Yellowknife

Le mécanisme de surveillance, qui permet de déterminer le lieu où se trouve un site d’essai nucléaire, a déjà permis à l’OTICE de prouver hors de tout doute l’authenticité d’un autre test nucléaire fait par Pyongyang, le 9 octobre 2006.

Ce jour-là, 22 stations sismiques et hydroacoustiques situées un peu partout dans le monde avaient détecté un événement inhabituel provenant de la péninsule coréenne. Des calculs de triangulation ont permis aux sismologues d’établir presque immédiatement le lieu probable d’un site d’essais nucléaires en Corée du Nord, avec un niveau de certitude de 2500 km2. Deux heures plus tard, les données d’une centaine d’autres capteurs fournies par les pays membres de l’OTICE ont permis de ramener le niveau de certitude à 1000 km2 (deux fois la superficie de l’île de Montréal).

Mais ce n’est qu’une semaine plus tard, lorsque des émanations de xénon 133 ont été détectées par un capteur de particules radioactives situé à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, que les chercheurs ont eu la preuve indubitable du délit. L’arrivée du panache radioactif avait été prédite par différents modèles météorologiques de dispersion, dont celui fourni par le Centre météorologique canadien. Grâce à cette prédiction de dispersion exacte, la localisation du site faite par les sismologues était confirmée hors de tout doute.

« Il y a un aspect “course contre la montre” dans tout ça. On doit faire plusieurs hypothèses, notamment sur le moment où l’émanation radioactive se faufilera à travers les fissures du roc. »

— Yves Pelletier, chef des opérations du Centre météorologique canadien

« Mais c’est une urgence un peu relative, puisque le nuage n’est pas véritablement une menace pour le Canada. Les émanations radioactives sont très contenues. Le niveau de risque n’a rien à voir avec un accident nucléaire comme celui de Fukushima », précise M. Pelletier.

N’empêche, la démarche est d’une grande utilité pour la communauté internationale. Le rapport d’analyse que produira l’OTICE sur la base de l’ensemble des données scientifiques récoltées à la suite de l’essai nucléaire de samedi (heure de Montréal) pourrait servir de preuve aux pays membres pour décider de sanctions à imposer au régime de Kim Jong-un.

« C’est un peu intense quand le protocole s’enclenche et qu’on sait l’importance que ça a, admet Yves Pelletier. Mais on est des professionnels, et en plus, ça n’arrive pas tous les jours. »

Une bombe beaucoup plus puissante

La bombe A, communément appelée bombe atomique, et la bombe H, la bombe à hydrogène, sont toutes deux des bombes nucléaires. Mais la seconde, qui a été testée hier par Pyongyang, est beaucoup plus puissante que la première. Qu’est-ce qui différencie ces deux armes redoutables ? Explications.

Bombe A

La bombe A est une arme à fission, c’est-à-dire que l’explosion se produit lorsque les atomes provenant d’une matière instable se divisent en deux. L’uranium 235 ou le plutonium 239 éclatent et libèrent une énergie explosive.

Bombe H 

La bombe H, aussi appelée bombe thermonucléaire, est une arme à fusion, plus puissante que toute autre arme nucléaire. La bombe H combine l’effet de fission (comme la bombe A) et l’effet de fusion, dans une réaction en chaîne. La bombe A est en quelque sorte l’étincelle qui allume la bombe H. L’explosion se produit lorsque des atomes plus légers, habituellement des atomes d’hydrogène, fusionnent pour créer des éléments plus lourds, libérant une énergie beaucoup plus puissante que celle de la bombe atomique. La bombe H est plus puissante, plus petite, moins lourde et donc plus facile à transporter. C’est ce type de bombe que Pyongyang a testé hier.

100 kilotonnes

Les spécialistes du US Geological Survey ont évalué que la bombe ayant explosé hier aurait eu une puissance de 100 kilotonnes, soit 10 fois plus que celle des essais antérieurs effectués par la Corée du Nord, y compris celui de janvier 2016, alors que l’État communiste avait déclaré avoir procédé à l’essai concluant d’une bombe à hydrogène.

Puissance comparée de quelques bombes nucléaires

Bombardement d’Hiroshima par les États-Unis - 1945 bombe A – 15 kilotonnes

Bombardement de Nagasaki par les États-Unis - 1945 bombe A – 17 kilotonnes

Tsar Bomba, ex-URSS - 1961 bombe H – 57 000 kilotonnes

4e essai de la Corée du Nord - 2016 bombe H (non prouvé) – 10 kilotonnes

6e essai de la Corée du Nord - 2017 bombe H – 100 kilotonnes (1 mégatonne)

6,3

La puissance des vibrations causées par l’essai nucléaire s’apparentait à celles d’un séisme de magnitude 6,3, selon le tout dernier US Geological Survey. Des vibrations ont été ressenties jusqu’en Argentine, 20 minutes et 9 secondes après la détonation, selon l’Incorporated Research Institutions for Seismology. En janvier 2016, l’explosion s’était apparentée à un séisme de magnitude 5,1.

Les États-Unis se disent prêts à riposter

Les États-Unis sont prêts à utiliser leurs capacités nucléaires au cas où la Corée du Nord continuerait à les menacer ou à menacer leurs alliés, a déclaré hier la Maison-Blanche.

Après le nouvel essai nucléaire effectué par la Corée du Nord, le président Donald Trump s’est entretenu au téléphone avec le premier ministre japonais Shinzo Abe, a indiqué la Maison-Blanche dans un communiqué.

« Les deux dirigeants ont condamné la poursuite des actions de déstabilisation et de provocation de la Corée du Nord, ont confirmé les inébranlables engagements mutuels des deux pays en matière de défense et se sont engagés à continuer à coopérer étroitement », déclare le communiqué.

« Le président Trump a réaffirmé l’engagement des États-Unis à défendre notre patrie, nos territoires et nos alliés en utilisant la gamme complète des capacités diplomatiques, conventionnelles et nucléaires dont nous disposons. »

— Extrait du communiqué de la Maison-Blanche

Quelques heures plus tôt, les États-Unis ont prévenu la Corée du Nord qu’ils pourraient déclencher « une réponse militaire massive » si elle menaçait leur territoire ou celui de leurs alliés.

L’avertissement a été formulé par le secrétaire à la Défense Jim Mattis à la suite d’une réunion d’urgence convoquée par M. Trump de ses conseillers dans le domaine de la sécurité nationale.

La réunion avait pour but d’examiner les conséquences du sixième essai nucléaire nord-coréen, qui était selon Pyongyang celui d’une bombe à hydrogène.

Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunira aujourd’hui pour discuter de la réponse à apporter au test nucléaire de la Corée du Nord

Manœuvres impliquant des missiles à Séoul

La Corée du Sud a effectué ce matin des manœuvres impliquant des missiles balistiques en réponse à l’essai nucléaire de la Corée du Nord, a rapporté l’agence officielle sud-coréenne Yonhap.

L’armée sud-coréenne a conduit un exercice à munitions réelles simulant une attaque sur le polygone de tir nucléaire nord-coréen, touchant « des cibles choisies dans la mer du Japon », a écrit Yonhap en citant l’état-major interarmées.

L’armée sud-coréenne a précisé que les cibles choisies étaient à une distance équivalente à celle du polygone de tir nucléaire nord-coréen de Punggye-ri, dans le nord-est du pays.

Ils ont dit...

« Toute menace visant les États-Unis ou ses territoires, y compris Guam [dans le Pacifique], ou ses alliés fera l’objet d’une réponse militaire massive. »

— Le général Jim Mattis, secrétaire à la Défense des États-Unis, à la sortie d’une réunion avec Donald Trump et son équipe de sécurité nationale

« Cet acte constitue une violation supplémentaire des obligations internationales de la Corée du Nord et sape les efforts internationaux de désarmement et de non-prolifération. Cet acte est aussi profondément déstabilisant pour la sécurité régionale. »

— António Guterres, secrétaire général de l’ONU

« La communauté internationale doit traiter cette nouvelle provocation avec la plus grande fermeté, afin d’amener la Corée du Nord à reprendre sans condition la voie du dialogue et à procéder au démantèlement complet, vérifiable et irréversible de ses programmes nucléaires et balistiques. »

— Emmanuel Macron, président de France, dans un communiqué

« Je ne vois pas de solution militaire à ce conflit. L’Allemagne va participer de manière intensive aux possibilités de résolutions non militaires, mais je considère l’escalade verbale comme une mauvaise réponse. »

— Angela Merkel, chancelière de l’Allemagne, appelée à commenter un tweet de Donald Trump annonçant que les options militaires américaines étaient « en place » et « prêtes à l’emploi »

« La Corée du Sud s’aperçoit, comme je le lui ai dit, que son discours d’apaisement avec la Corée du Nord ne fonctionnera pas, elle ne comprend qu’une chose ! »

— Le président Donald Trump, sur Twitter, à l’intention de son homologue sud-coréen Moon Jae-in, partisan d’un dialogue avec le régime de Kim Jong-un

« Tous les composants de cette bombe H ont été fabriqués à 100 % nationalement. »

— Kim Jong-un, leader de Corée du Nord, selon l’agence de presse officielle KCNA

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