Consultations sur le projet de loi sur la laïcité

« On n’a pas l’air d’une société décente », dit Gérard Bouchard

Le sociologue Gérard Bouchard croit que le projet de loi sur la laïcité de l’État projette l’image d’un Québec peu sensible aux droits fondamentaux. Pourtant, les recommandations du rapport qu’il a cosigné en 2008 avec le philosophe Charles Taylor permettraient au gouvernement Legault de tourner la page sur un débat « polarisé », sans même avoir recours à la disposition de dérogation.

De passage à Québec hier dans le cadre des consultations sur le projet de loi 21 du ministre Simon Jolin-Barrette, celui qui a cosigné en 2008 le rapport Bouchard-Taylor croit que les libéraux sont en partie responsables du clivage qu’engendre ce débat en n’ayant pas agi à l’époque. 

« Si [le gouvernement Charest] avait appliqué nos principales recommandations, on ne serait pas là aujourd’hui, a dit M. Bouchard. On pourrait enfin s’occuper d’enjeux qui sont beaucoup plus importants. » 

Avec le projet de loi 21 du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ), qu’il qualifie de « radical », puisqu’il utilise la disposition de dérogation pour le préserver de contestations judiciaires, la réputation du Québec est entachée, croit M. Bouchard.

« On a l’air de gens qui ne sont pas très sensibles aux droits fondamentaux, a affirmé le sociologue. On a l’air d’une société pas très démocratique [en ayant] recours à la clause dérogatoire pour se soustraire à l’examen des tribunaux. On n’a pas l’air d’une société décente. »

Des conséquences sociales

Gérard Bouchard a aussi prévenu hier que le gouvernement Legault risquait de détériorer les relations entre la population majoritaire francophone et les communautés minoritaires du Québec. 

« Les relations entre la majorité [francophone] et les minorités ne sont pas en bon état au Québec. On a pu le voir encore cet été avec la controverse sur les appropriations culturelles. L’état de ces relations est mauvais et je pense que le projet de loi [caquiste] va les détériorer encore plus. »

— Le sociologue Gérard Bouchard 

Selon lui, si Québec excluait les enseignants et les directions d’école de son projet de loi, « [le gouvernement] aurait de bonnes chances de convaincre les tribunaux » du bien-fondé de sa démarche.

Cette position ne fait toutefois pas l’unanimité. Leila Bensalem, une enseignante de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), croit pour sa part que le voile que portent certaines musulmanes « n’est pas un modèle à transmettre [aux] élèves ». 

Mme Bensalem était accompagnée hier de Nadia El-Mabrouk, professeure d’informatique à l’Université de Montréal. Les deux femmes ont salué la volonté du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) d’interdire le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité, y compris les enseignants. 

« Est-ce qu’il y a des données sur le fait que s’habiller en homme-sandwich McDonald’s, ça fait en sorte que les gens mangent plus de hamburgers ? L’affichage, la publicité, […] ça conditionne les personnes. Si on n’[en] était pas convaincu, […] il n’y aurait pas de publicité », a affirmé Mme El-Mabrouk.

Mais Gérard Bouchard a aussi rappelé dans sa présentation qu’il n’existe aucune donnée scientifique prouvant que le port de signes religieux peut endoctriner des élèves ou les traumatiser.

« Quel est le problème ? »

La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) croit pour sa part que l’État doit légiférer lorsqu’il y a un problème. « Encore faut-il que le problème existe ! », a écrit le syndicat dans son mémoire déposé hier.

« Existe-t-il vraiment un problème de prosélytisme religieux dans le milieu de l’éducation ? Si oui, quelle est sa nature ? Quelle est son ampleur ? Autant de questions légitimes auxquelles le gouvernement Legault peine à répondre », a-t-on écrit.

« On ne recense aucun cas documenté de “prosélytisme actif” provenant d’enseignantes et d’enseignants portant des signes religieux dans une école publique », a poursuivi le syndicat.

« Comme dans bien d’autres domaines, le gouvernement Legault semble davantage être obsédé par l’imposition, coûte que coûte, de son programme électoral que par la recherche d’une voie véritablement consensuelle », a déploré la CSQ.

Legault « souhaite que Dieu existe »

Les débats entourant les consultations sur le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État apportent leur lot de questions inusitées, rarement posées aux parlementaires. Hier, la grande question fondamentale a donc été posée au premier ministre François Legault : Dieu existe-t-il ? « En vieillissant, c’est une question qu’on se pose de plus en plus », a répondu, songeur, M. Legault, qui aura 62 ans à la fin du mois. « On peut dire que Dieu existe, [ou] on peut dire que tout est un hasard. Mais c’est un hasard assez spécial qu’il y ait eu le Big Bang, la vie, des êtres humains qui pensent, a-t-il poursuivi. Personne peut confirmer par la science ni une position ni l’autre.  « Moi, je souhaite que Dieu existe, car je pense que la vie serait injuste sinon », a conclu le premier ministre, qui a été baptisé dans la foi catholique, mais qui est non pratiquant. 

— Hugo Pilon-Larose, La Presse

Projet de loi sur la laïcité

Appui majoritaire au projet de loi

Près des deux tiers des Québécois (64 %) soutiennent le projet de loi sur la laïcité, révèle un sondage de l’Institut Angus Reid publié hier et réalisé auprès de 400 répondants. Les personnes âgées de plus de 55 ans, favorables à l’idée dans une proportion de 76 %, tirent l’appui vers le haut. La manière d’appliquer la loi est toutefois loin de faire consensus. Si l’idée d’une amende convainc 54 % des répondants, celle de faire perdre leur emploi aux employés contrevenants divise la population : 43 % de l’échantillon sondé estime qu’un licenciement serait approprié, tandis que la même proportion pense le contraire – 14 % ne savent pas ou ne sont pas sûrs. L’idée d’une clause de droits acquis (une « clause grand-père »), qui exempterait les employés déjà en poste, crée elle aussi une division nette : 51 % des répondants l’appuient, 49 % la rejettent. En outre, les symboles religieux à prohiber font eux aussi l’objet de désaccord entre les répondants. Un total de 57 % estiment qu’un crucifix devrait être toléré, contre 51 % pour une étoile de David et 45 % pour une kippa. À l’autre extrémité du spectre, seulement 5 % et 7 % des Québécois croient qu’il serait acceptable pour les employés de l’État de porter la burqa et le niqab. 

La Presse

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