EXTRAIT

Arias pour Claude Vivier, de Louise Bail

« Son obsession de la musique – c’était de cela dont je voulais qu’il me parle plus précisément – devait provenir d’un temps dont il ne pouvait se souvenir. Cela se produisait le plus souvent la nuit quand on l’obligeait à dormir dans le noir. Il voyait alors se détacher de l’ombre de petites flammes comme des yeux maléfiques qui dansaient autour de son lit et le narguaient. Il ne pouvait dire si c’était méchamment. Mais il avait peur. Et s’il fermait les yeux, elles le titillaient autrement. Elles étaient de petites morsures, de brèves étincelles de feu qui venaient mourir sur sa peau. »

BIOGRAPHIE LOUISE BAIL

Le destin tragique de Claude Vivier

Arias pour Claude Vivier

Louise Bail

Fides, 117 pages

Claude Vivier a marqué l’histoire de la musique québécoise. Sauvagement assassiné à Paris dans des circonstances incroyables alors qu’il n’avait pas 35 ans, le compositeur nous a laissé une œuvre profondément originale et personnelle. La musicologue Louise Bail s’est inspirée de ses rencontres avec lui pour écrire une fiction biographique singulière par sa forme et par sa teneur plus littéraire et poétique que factuelle.

L’auteure a rencontré Claude Vivier à plusieurs reprises entre 1978 et 1982 pour l’émission de radio Musique de Canadiens, diffusée à Radio-Canada. Des années plus tard, elle a fait un doctorat à l’UQAM sur Claude Vivier en mettant l’accent sur son opéra Kopernikus. Cet opéra de Vivier a été donné pour la première fois à Montréal au Monument-National en 1980.

« Claude Vivier, quand il expliquait ses œuvres, revenait toujours aux rêves et à l’imaginaire, dit Louise Bail. C’est pour rejoindre cet imaginaire que j’ai choisi cette forme d’écriture. Je voulais créer une œuvre littéraire qui allait, à sa façon, pasticher sa musique en suivant le déroulement de l’opéra. »

« L’imaginaire de Claude Vivier tournait autour d’un retour à l’âge d’or, une époque, dans la mythologie, située avant l’histoire. Il ne faut pas oublier qu’il était de l’époque des hippies. Cette idée d’un paradis infini tournant sur lui-même assez nouvel âge était dans l’air du temps. »

L’ENFANT SOLITAIRE

Orphelin confié à la crèche, Claude Vivier a été adopté par une famille modeste du Mile End. Vers l’âge de 8 ans, il a été agressé sexuellement par un oncle pédophile qui s’en est tiré impunément. Dès sa plus tendre enfance, le petit Claude était obsédé par la musique. Il a tenté de créer instinctivement une œuvre musicale pour la première fois vers 6 ou 7 ans, avec des syllabes imaginaires et des dessins. Enfant intelligent, solitaire et incompris par sa famille, le petit Claude avait très peur dans le noir.

C’est probablement ce qui lui inspirerait plus tard Lonely Child (1980), une œuvre bouleversante écrite sous l’influence du courant de la musique dite « spectrale » pour soprano et orchestre de chambre. Les premières paroles de Lonely Child se veulent rassurantes pour l’enfant : « Bel enfant de la lumière, dors, dors, dors, toujours dors. Les rêves viendront, les douces fées viendront danser avec toi. »

À l’adolescence, Claude Vivier est pensionnaire chez les frères maristes, où il apprend la musique et envisage la prêtrise. Ce n’est évidemment pas pour lui. C’est l’artiste qui prend le dessus sur le religieux. À 18 ans, il s’inscrit au Conservatoire de musique de Montréal et étudie la composition avec Gilles Tremblay. Il aura de son vivant un succès notable comme compositeur, obtenant des prix et recevant plusieurs commandes d’œuvres.

« Il cherchait, dans le prolongement de l’univers catholique où il avait vécu, un univers qui le mettrait davantage du côté de la sagesse que des rituels religieux dont il s’est départi, dit Louise Bail. Il faisait d’ailleurs de la méditation transcendantale quotidiennement. »

En 1982, il s’est rendu à Paris où il comptait écrire un opéra sur Tchaïkovski. Sa fin violente aux accents prémonitoires témoigne de l’adage populaire : la réalité dépasse la fiction. Après avoir invité chez lui un jeune prostitué, il a été poignardé 45 fois par ce dernier. On allait retrouver dans sa chambre le manuscrit taché de sang de sa dernière œuvre, Glaubst du an die Unsterblichkeit der Seele ? (Crois-tu en l’immortalité de l’âme ?), dont voici un extrait :

« Le jeune homme vint s’asseoir près de moi et dit : “My name is Harry.” Je lui répondis que mon nom était Claude. Alors, sans autre forme de présentation, il sortit de son veston noir foncé acheté probablement à Paris, un poignard et me l’enfonça en plein cœur. »

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