Qu’est-ce qui arrêtera Dollarama ?

Contrairement aux gens qui suivent la Bourse, je ne suis pas une fan de Dollarama. Ce n’est pas facile à dire sans avoir l’air snob, mais ces boutiques me dépriment. Les quelques fois où j’y ai acheté des objets, ils se sont brisés en quelques jours ou hantent mes placards, inutiles et moches. C’est du pas beau pas bon pas cher. Et ça m’énerve.

Et je ne dis pas ça parce que je suis une apôtre puriste de la consommation durable. J’adore Target, Muji, Lagerhaus, Flying Tiger, d’autres chaînes qui vendent aussi, ici et ailleurs, du pas cher « fait en Chine ». Et si Miniso, la chaîne bon marché sino-japonaise qui s’apprête à s’installer au Canada arrive à Montréal, il est certain que je vais aller y jeter un coup d’œil. Le site web est souriant.

Ce qui m’énerve avec Dollarama, c’est plutôt l’impression d’être dans le dernier sous-sol du consumérisme. Là où les efforts d’originalité et de design des autres chaînes ne se rendent même pas. Là où les questions sur la consommation durable ne sont même pas prononcées. Là où on a abandonné les consommateurs sans beaucoup de moyens en se disant qu’on peut leur vendre n’importe quoi. Peu importe si c’est sans gueule, fait sans soin.

Savoir que Dollarama est un bon placement boursier ne me fera pas changer d’avis.

Mais suis-je toutefois seule à penser ça, si cette chaîne va si bien, si les investisseurs l’aiment tant ?

Appel à Benoît Cherré, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, spécialiste en éthique des affaires, pour discuter du cas DOL. Qui aime ça ? Pourquoi ça marche tant ?

« Dollarama est un archétype », répond-il d’entrée de jeu. L’aboutissement d’une vision de la consommation dans le système actuel. L’ultime modèle d’affaire utilitariste. On a trouvé une façon de produire et de vendre et de faire des profits.

Et les autres questions connexes sur le reste du monde, les conséquences sociales ou environnementales, ne se posent pas.

Est-ce que cette entreprise pose des questions éthiques ? Oui. Les produits ne sont souvent pas très solides, il faut en acheter d’autres constamment, donc ce n’est pas une forme d’achat financièrement et écologiquement logique à long terme. Et comme ce n’est vraiment pas cher, on peut se poser des questions au sujet des normes du travail ou environnementales qui existent dans les usines où tout ça est fabriqué.

« Mais une fois cela dit, une chose est claire, poursuit le professeur Cherré. Ils répondent à un besoin. »

À la question « Qu’est-ce qui arrêtera Dollarama ? », le professeur répond donc : « Ce qui les arrêtera, ce sera une véritable alternative. »

Actuellement, les gens qui n’ont pas les moyens financiers d’aller ailleurs n’ont juste pas d’autre choix. « C’est une population de consommateurs captive. »

Fabien Durif, le directeur de l’Observatoire de la consommation responsable, admet qu’on connaît actuellement très peu de choses sur ces clients qui fréquentent ces boutiques et vont ainsi à l’encontre de toutes les tendances actuelles lourdes dans l’univers de la consommation, soit choisir le local, le bio, le naturel, le durable. Actuellement, même les grandes chaînes de type H&M ou Walmart répondent à cette demande et offrent à leur public de recycler leurs vêtements ou proposent des aliments bios ou des produits nettoyants sans cancérigènes. C’est partout. Donc on ne parle pas de lubies de quelques hipsters ou de bourgeois soûlés par leurs propres beaux principes.

Mais en marge de toute cette lame de fond, Dollarama vend et vend et vend encore et ouvre des magasins et fait des affaires d’or.

Qui va là ? Pourquoi ?

« J’aimerais en savoir plus », dit M. Durif, qui pense que les besoins de consommation comblés sont sûrement plus complexes que l’on peut imaginer. Comme si Dollarama réunissait des créneaux spécifiques sous un même toit. Ce ne sont pas uniquement des acheteurs aux budgets serrés qui vont là. Et pourquoi vont-ils là au lieu des marchés aux puces ou du Village des valeurs ?

M. Cherré, lui, se demande si ce n’est pas parce que tout le reste devient trop cher, même les adresses autrefois considérées comme populaires.

Les questions sont nombreuses, même pour les chercheurs.

Moi aussi, j’aimerais en savoir plus sur cet écart grandissant dans la consommation à deux vitesses qui dope le bon marché total.

J’aimerais aussi en savoir plus sur les usines de Dollarama. Car là encore, et M. Durif et M. Cherré constatent que les données se font rares, pour ne pas dire inexistantes.

Le succès de Dollarama se passe un peu sous les radars.

Et si on ne comprend pas ce qui amène les gens à acheter là, comment peut-on chercher des solutions éthiques aux besoins que comble cette chaîne ? Comment peut-on trouver une option de rechange ?

Tant qu’on ne le saura pas, elle continuera sur sa lancée.

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