Fausses couches

Une formation pour mieux accompagner les femmes

Jusqu’à l’an dernier, Serge Gauvreau recevait en moyenne deux ou trois plaintes par mois concernant des fausses couches prises en charge dans l’une des huit urgences qu’il supervise dans l’Outaouais. Depuis un an, il n’y en a eu aucune.

La clé de ce changement : une formation sur les fausses couches donnée par des psychologues de l’Université du Québec en Outaouais.

« J’ai vu leur présentation sur l’accompagnement des fausses couches à un congrès, et j’avais l’impression de relire des plaintes », dit M. Gauvreau, infirmier et coordonnateur clinico-administratif des urgences du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais. « J’ai été la voir et j’ai dit que je voulais changer le portrait à l’hôpital avec une formation sur mesure par mes infirmières. »

Près d’une centaine d’infirmières ont suivi la formation de quatre heures, qui portait notamment sur la nécessité de tenir compte du conjoint ou de la personne qui accompagne la femme ayant fait une fausse couche, de leur fournir si possible un local ou un coin où leur intimité sera respectée, ainsi que de diriger la patiente vers une toilette n’ayant pas de chasse d’eau automatique. 

« Avec les nouvelles toilettes automatiques, la patiente ne peut pas voir si elle expulse un caillot ou le bébé dans ce caillot, et l’infirmière ne peut pas évaluer si la fausse couche est complète ou s’il y a encore une chance que la patiente soit enceinte. »

— Francine de Montigny, de l’UQO, l’une des auteures de la formation

La formation s’attarde aux « microdétails ». « Il n’y a pas magiquement plus de temps, dit Mme de Montigny. On veut mieux utiliser le trois à cinq minutes de contact avec les clientes à l’admission. On la regarde au lieu de seulement taper le code 04 de la fausse couche, on lui dit que ça ne doit pas être facile. Elle est en état de choc, elle ne se souviendra peut-être pas de ce qu’on lui dit, alors il est important de vérifier si son conjoint, sa mère ou sa sœur est là. On reste réaliste, le triage n’est pas une thérapie de 30 minutes, on essaie de mieux faire des petites choses importantes. »

Un infarctus de l’âme

La psychologue de Gatineau s’est penchée sur la question dans le cadre de recherches sur le deuil périnatal. Elle a touché un point assez sensible pour inverser l’ordre habituel des choses dans ce type d’intervention. « D’habitude, on publie une étude sur un projet-pilote, puis on propose des interventions. On a fait l’inverse, cette fois-ci. Notre étude sur les changements dans les pratiques aux urgences de l’Outaouais vient d’être acceptée pour publication. Mais on sait par d’autres études que les femmes qui sont satisfaites de la manière dont leur fausse couche a été prise en charge ont moins d’anxiété et moins de dépression deux ans plus tard. Comme il y a moins de plaintes, ça devrait avoir cet effet. C’est comme si on aidait un infarctus de l’âme. En enlevant la banalisation autour de cet événement, on diminue son impact à long terme. »

M. Gauvreau avait demandé au départ quatre séances de formation et il en a finalement eu neuf. « On pouvait voir dans nos plaintes que la situation était banalisée par certaines infirmières, dit M. Gauvreau. Certaines me disent qu’elles ont fait le choix des urgences pour s’occuper de problèmes cardiaques, d’accidentés, de patients en neuro, pas pour s’occuper des personnes âgées, des fausses couches et de la santé mentale. Mais la clientèle a changé depuis cinq ans. Il faut revenir à ce que nos grands-mères appelaient la vocation, l’idée qu’être infirmière, à la base, c’est du caring. Si quelqu’un vient aux urgences en sachant qu’il attendra peut-être des heures, il doit avoir pris la décision qu’il avait besoin d’y aller. Il mérite d’être pris en charge et évalué adéquatement, pas qu’on mette en doute ce qu’il nous dit. Quand le mari de Céline Dion était mourant, elle donnait son spectacle. La formation a permis de raviver la flamme des infirmières. »

À la mi-mai, il a témoigné de son expérience au colloque de l’Association des gestionnaires infirmiers d’urgence, à Sherbrooke. « Plusieurs personnes m’ont dit que c’était exactement comme chez eux, ils veulent avoir la formation. » Mme de Montigny, de son côté, a reçu une invitation d’Agrément Canada, ONG qui publie des guides de meilleures pratiques hospitalières, à rédiger une version écrite décrivant son approche. La formation a reçu le prix régional d’innovation clinique de la Banque Nationale, décerné en collaboration avec l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec.

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