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Le difficile respect des personnes non binaires

Un récent article du journaliste Philippe Teisceira-Lessard a suscité bien des réactions avec son titre (« Iels sont nombreuxes et heureuxes ») ainsi que sa référence au français neutre, ou non binaire. Mais qu’est-ce que la non-binarité ? C’est une question qui est peu discutée dans les médias québécois et qui demeure nébuleuse pour l’ensemble de la population.

Je suis non binaire, c’est-à-dire que je ne suis ni homme ni femme. Non binaire est une catégorie qui compte des personnes bien différentes. Dans mon cas, j’ai été assignée garçon à la naissance. Aujourd’hui, dans la vie de tous les jours, je suis perçue comme une femme cisgenre, c’est-à-dire qui n’est pas transgenre. Toutefois, je ne me reconnais pas dans l’étiquette femme, contrairement à mes amies qui sont des femmes trans. Lorsque j’écris des biographies pour des conférences ou publications, j’écris avec le pronom « ille ». Si je n’utilise pas des termes neutres comme « heureuxe », plusieurs autres personnes non binaires les utilisent.

C’est une question de respect. Se faire référer par des termes qui ne représentent pas notre genre, de façon répétée, c’est lourd. Imaginez si on vous appelait par les mauvais pronoms et accords : les quelques premières fois, ça serait probablement amusant, mais éventuellement, ça mènerait à une détresse importante.

Les termes comme « iel », « nombreuxe », « cellui » ont été créés pour respecter les personnes qui ne se reconnaissent pas dans les options masculines et féminines de notre belle langue, trop fortement associées aux genres homme et femme.

Encore qu’il faudra éventuellement penser à enseigner ce français neutre. L’Office québécois de la langue française a déjà quelques ressources sur les formulations neutres et la rédaction épicène. Les ateliers sur l’écriture inclusive se font de plus en plus communs au Québec et l’engouement pour la Grammaire non sexiste de la langue française de Suzanne Zaccour et Michaël Lessard démontre une ouverture lente, mais grandissante par rapport à la rédaction neutre. Si la Fédération des professionnèles (CSN) peut rendre son titre neutre, vous le pouvez aussi !

Des enjeux centraux

Le langage neutre n’est pas le seul enjeu pour les personnes non binaires. L’accès aux documents et aux espaces sexo-spécifiques est aussi un enjeu central, en plus de tous les autres enjeux communs aux personnes trans comme l’accès aux soins de santé, le harcèlement, la discrimination et la violence. Les personnes non binaires migrantes ne peuvent pas changer leur nom sans la citoyenneté, à la honte de notre province qui est la seule à demander la citoyenneté pour le changement de nom.

Aucune option n’existe au Québec en dehors d’homme et femme sur les documents d’identité. Si nos pratiques verbales peuvent manquer de respecter les personnes non binaires, les documents d’identité ne concordant pas avec notre genre empirent les choses.

Alors que le gouvernement fédéral et plusieurs provinces dont l’Ontario et la Colombie-Britannique voient des avancées considérables sur le sujet, la situation est statique au Québec.

L’accès aux espaces sexo-spécifiques est aussi difficile. Il est acquis que les femmes trans ont droit d’aller dans les toilettes des femmes et que les hommes trans ont droit d’aller dans les toilettes des hommes. Les tribunaux le reconnaissent depuis 1999. Mais les personnes non binaires ? On va où ? Il y a trop peu de toilettes unisexes. Ai-je ma place dans les toilettes pour femmes – où je vais depuis des années sans aucun accroc ? Et les prisons et centres de détention, qui n’ont aucune option autre qu’homme et femme ?

Notre manque d’attention à ces questions a un impact grave sur la qualité de vie des personnes non binaires, qui vivent des taux alarmants d’anxiété, de dépression, de harcèlement, de discrimination et de violence. Il est bien temps qu’on s’attaque à la question et qu’enfin nous reconnaissions la place des personnes non binaires dans notre société.

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