Documentaire 

Sucre et tabac, même combat ?

Dans son documentaire Sugar Coated, la réalisatrice canadienne Michèle Hozer relate l’efficace campagne de relations publiques menée par l’industrie du sucre dans les années 70 dans le but de dissiper les inquiétudes suscitées par le sucre. Entrevue avec Mme Hozer, qui sera à l’Université Laval ce soir pour présenter la première au Québec de Sugar Coated.

Le sucre a mauvaise presse depuis quelques années. Un nombre croissant d’experts l’associe à la hausse des cas de diabète, de maladies cardiovasculaires et d’obésité. Est-ce que l’histoire se répète ?

Exactement ! Il y a trois ans, j’étais dans une conférence sur l’alzheimer dans laquelle on discutait des liens entre l’alimentation et cette maladie du cerveau. J’ai commencé à m’intéresser au sucre, et en parcourant des documents d’époque, j’ai eu une révélation : ce que nous vivons aujourd’hui, nous l’avons vécu avant. Dans les années 60, des scientifiques savaient que le sucre contribue aux maladies cardiaques, au diabète et à l’obésité. On songeait même à apposer des étiquettes d’avertissement sur les aliments sucrés, comme celles que l’on trouve aujourd’hui sur le tabac. Tout d’un coup, le débat a disparu. J’ai voulu savoir ce qui s’est passé.

En 1976, l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) a statué que la consommation de sucre n’est pas liée au développement du diabète et de problèmes cardiovasculaires. Le gras a été accusé d’en être le grand responsable. Comment l’industrie du sucre a-t-elle influencé cette décision ?

L’objectif principal de l’industrie était de semer le doute sur toutes les preuves scientifiques affirmant que le sucre provoque des maladies. (Donc, si un scientifique publiait un article disant que le sucre provoque des maladies cardiaques, l’industrie en publierait un autre affirmant le contraire.) L’industrie a (également) publié le document d’un comité de chercheurs qui montraient plutôt du doigt la graisse et le cholestérol pour expliquer les problèmes de santé. L’industrie a ensuite soumis ce document au comité d’examen de la FDA. De plus, le président du conseil consultatif scientifique pour l’industrie du sucre, George Irving, est devenu le président du comité d’évaluation de la FDA, qui devait statuer sur la corrélation entre le sucre et les maladies. Tout un conflit d’intérêts.

Dans votre film, des scientifiques établissent souvent un parallèle entre l’industrie du sucre et celle du tabac. Qu’ont en commun ces deux industries ? Le sucre est tout de même moins nocif que le tabac…

Je regarde les tactiques de l’industrie, et ce sont les mêmes. C’est important que le public sache qu’une campagne de relations publiques menées dans les années 60 et 70 a essayé de nous faire oublier la question suivante : le sucre est-il mauvais pour nous ? Cette campagne a été tellement efficace que l’Association du sucre a gagné en 1976 le Silver Anvil Award, l’équivalent des Oscars dans le domaine des relations publiques.

Quel a été l’impact du rapport de la FDA ?

La première chose que l’industrie a faite, c’est de publier une annonce dans le journal pour dire que le sucre ne contribue pas à l’obésité, aux maladies de cœur ou au diabète. L’industrie du sucre a aussi fait valoir le rapport de la FDA devant le comité responsable du guide alimentaire américain. À l’époque, on parlait d’établir une valeur quotidienne pour le sucre, mais ça n’a pas été fait. Encore aujourd’hui, aux États-Unis et même ici, au Canada, il n’y a pas de valeur quotidienne pour le sucre sur le tableau de valeur nutritive des produits, contrairement au gras et au sel. Par ailleurs, comme il y avait consensus que les problèmes des maladies cardiaques et de diabète étaient liés au gras, l’industrie alimentaire a misé sur les produits faibles en gras (mais à teneur élevée en sucre !). Aux États-Unis, les taux de diabète sont passés de 1 sur 41 en 1976 à 1 sur 11 aujourd’hui.

En 2008, le Japon a voté une loi pour établir un tour de taille maximum. Vous y êtes allée dans le cadre de votre documentaire. N’est-ce pas une mesure intrusive ?

Oui, c’est intrusif, mais le Japon a adopté des mesures semblables pour le sel et le taux d’accidents vasculaires cérébraux a baissé. Si j’ai abordé le cas du Japon, c’est pour ouvrir la discussion. Au Canada, notre système universel de santé sera-t-il capable de faire face à ces taux élevés de maladies chroniques ?

Que pouvons-nous faire pour diminuer la consommation de sucre ?

Je peux vous donner l’exemple de ma famille : aujourd’hui, on ne boit plus de jus à table, on boit de l’eau. Et ça fait une grosse différence. Par exemple, un verre de jus de raisin contient l’équivalent de 9,5 cuillères à thé de sucre. Pour avoir le même taux de sucre, il faudrait manger à peu près 100 raisins.

Sugar Coated sera présenté à 18 h 30 ce soir au Théâtre de la Cité universitaire de l’Université Laval.

À Montréal, il sera présenté le 10 août, à 18 h 30, au Cinéma du Parc.

Une appli pour calculer le sucre

L’équipe de Sugar Coated a développé une application pour connaître le taux de sucre dans les produits vendus en épicerie. 

19,5

En Amérique du Nord, on consomme en moyenne 19,5 cuillères à thé de sucre ajouté par jour. L’OMS conseille de limiter cette consommation à 6 à 12 cuillères à thé.

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