Le torpillage politique de l’UPAC

Le Québec s’est doté d’une unité policière exceptionnelle pour lutter contre la corruption. Mais tout passe, tout lasse. Alors après un des plus gros coups de filet de l’histoire de l’UPAC, les médias et un peu tout le monde regardent ça et disent : ah bon ? Bof.

Ceux-là mêmes qui ont dénoncé avec vigueur (et avec raison) la corruption politique semblent même y trouver non pas un motif de félicitations, mais une nouvelle occasion de torpiller l’UPAC.

C’est un jeu politique vicieux et dangereux qui se joue avec une légèreté proprement scandaleuse.

Hier, l’Unité permanente anticorruption a arrêté Frank Zampino (encore lui), ex-numéro deux de la Ville de Montréal, et plusieurs dirigeants de firmes de génie-conseil. Ils font face à la justice criminelle pour des crimes graves de fraude et de corruption.

Pas Jos Bleau Asphalte. Des gens comme Bernard Poulin, PDG de Groupe SM, une firme de plus de 1000 employés qui a des contrats dans le monde entier.

Réaction de Gabriel Nadeau-Dubois et de Québec solidaire ? « Pourquoi l’UPAC obtient des résultats quand il est question du municipal et que ça bloque quand il s’agit du provincial ? »

La même journée, on apprenait la nouvelle date du procès de Nathalie Normandeau et de Marc-Yvan Côté dans une affaire de corruption. Mme Normandeau était vice-première ministre du Québec sous Jean Charest, M. Côté, ex-ministre influent et collecteur de fonds illégaux pour tous les partis libéraux.

C’est signe qu’au moins ce dossier-là, mené par l’UPAC, n’a pas été « bloqué »…

Pas grave, c’est politiquement rentable de miner la crédibilité de l’UPAC et d’en faire une victime collatérale du procès qu’on veut faire au gouvernement Couillard.

Et remarquez bien, si quelqu’un peut vraiment nous démontrer que quelqu’un quelque part « bloque » des enquêtes visant les élus à Québec, il va faire une tournée triomphale des médias.

Mais jusqu’à preuve du contraire, donc, je réfute l’idée selon laquelle les enquêtes policières sont « bloquées » quand il est question de politiciens provinciaux.

C’est une accusation fausse, gratuite, extrêmement grave. Ça suppose une complicité criminelle de plusieurs acteurs du système, policiers et procureurs, tout cela basé sur du vent.

C’est d’autant moins acceptable quand on est un membre de l’Assemblée nationale et qu’on travaille à défendre les institutions démocratiques.

Malheureusement, c’est ce que font également Jean-François Lisée et François Legault, de toutes sortes de façons, en accréditant cette thèse et en donnant un semblant de crédibilité aux insinuations de gens aussi peu crédibles que Yves Francoeur. C’est peut-être un excellent syndicaliste policier, mais il a montré à maintes reprises qu’il est brouillon et imprudent dans ses commentaires publics.

Le gouvernement libéral, au centre de toutes les attaques, n’est pas mieux placé pour défendre l’UPAC, c’en est presque contre productif, ça permet de dire à tout le monde : on sait ben !

Alors l’UPAC est un peu pognée pour se défendre seule… en silence.

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Depuis sa fondation en 2011, l’UPAC a procédé à près de 200 arrestations (171 au 31 décembre 2016) ; ces enquêtes ont donné lieu à plus de 60 condamnations, dont celle du maire de Laval Gilles Vaillancourt et du bref maire de Montréal Michael Applebaum. Des grands noms du financement des partis politiques, et en particulier du PLQ, font face à la justice. 

Une enquête qui vise Jean Charest et le collecteur de fonds Marc Bibeau est en cours, enquête sans doute fragilisée par toutes sortes de tentatives de déstabilisation.

Ce n’est pas une mince affaire quand on sait d’où l’on partait. C’est-à-dire d’un État où à peu près personne n’était même l’objet d’une enquête dans le monde politique – disons simplement « Gilles Vaillancourt »…

C’est colossal, en fait.

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Pourquoi y a-t-il plus d’accusations dans le monde municipal que dans la politique provinciale ?

Surtout… parce qu’il y a dans les villes plus de corruption, qu’elle y a été joufflue, vulgaire et presque transparente (Laval !! Montréal !!!), que les contrepoids politiques et médiatiques y sont souvent faibles.

La corruption alléguée au niveau de l’Assemblée nationale implique des dossiers plus complexes. Ce n’est pas comme Gilles Vaillancourt qui offre 10 000 $ « cash » en personne à Serge Ménard. Ça ne veut pas dire qu’elle n’existe pas. Ça veut dire, en toute probabilité, que quand elle existe, elle est plus sophistiquée et nécessite des enquêtes plus longues.

Il est injuste de présumer que l’absence de nouveaux dossiers de Québec, ou dans n’importe quel autre lieu, permet de présumer qu’il y a un « blocage ».

Je suis bien d’accord pour que le commissaire de l’UPAC soit nommé par l’Assemblée nationale. Tout comme la Directrice des poursuites criminelles et pénales.

Mais le job de l’opposition, ce n’est pas de détruire sans preuve et par insinuations la crédibilité d’institutions par définition fragiles. C’est d’œuvrer à leur renforcement.

L’interférence politique, jusqu’ici, elle vient de ceux qui accusent l’UPAC à tort et à travers, ceux qui s’impatientent politiquement, qui ne connaissent rien aux dossiers, aux enquêtes, bref, à la façon de faire arrêter et condamner un politicien corrompu. Non seulement nuisent-ils à ces institutions, mais en plus ils mettent en danger des enquêtes et donnent des outils à la défense dans de futurs dossiers, par nature « politiques ».

Ni l’UPAC, qui a fait un travail plutôt exemplaire, ni le DPCP ne méritent ce traitement, et on attend encore la première pièce au dossier politique contre eux.

Je veux dire, autre chose que : c’est donc ben long, ces enquêtes-là, ça doit cacher quelque chose…

C’est à ce niveau-là que sont les critiques jusqu’ici.

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