Un bébé, trois parents biologiques

Une maman, c’est bien. Deux, est-ce mieux ? C’est la question qui se pose depuis que le magazine New Scientist a révélé hier l’existence d’un garçon de 5 mois à l’arbre généalogique peu banal : il a trois parents biologiques. Sa conception représente un exploit scientifique, mais soulève une myriade de questions éthiques. Explications.

UN COUPLE EN DEUIL

Le couple, des Jordaniens, voulait fonder une famille. Après quatre fausses couches, une fille est née. Malheureusement, elle était atteinte du syndrome de Leigh, une maladie rare qui perturbe le développement du système nerveux. La petite est morte à l’âge de 6 ans. Un deuxième enfant atteint du même trouble n’a vécu que 8 mois. Le problème venait de la mère : ses mitochondries, les centrales énergétiques des cellules, contenaient de l’ADN défectueux qui se transmettait aux enfants. Le couple était anéanti.

CORRIGER L’ADN

Puis les Jordaniens se sont tournés vers le docteur John Zhang, du bien nommé centre de fertilité New Hope, à New York. Il leur a proposé une solution encore jamais tentée : fabriquer un bébé en corrigeant l’ADN de la mère avec celui… d’une autre mère. Pour ça, le DZhang a pris deux ovules : l’un provenant de la mère, l’autre d’une donneuse. Il a retiré les noyaux de chaque ovule. Puis il a transféré le noyau de l’ovule de la « vraie » maman dans celui de la donneuse. Le résultat est un ovule qui contient le matériel génétique de la mère, mais avec les mitochondries saines de la donneuse. L’équipe du DZhang a ensuite fécondé cet ovule hybride avec les spermatozoïdes du père. Cinq embryons ont ainsi été créés, dont un qui s’est développé normalement. Neuf mois plus tard naissait un petit garçon, dont le nom n’a pas été dévoilé. Il a aujourd’hui 5 mois et semble en parfaite santé. C’est le New Scientist qui a révélé hier l’étonnante histoire. Quelques dizaines de bébés à trois parents avaient été créés dans les années 90, mais avec des techniques différentes.

ÉVITER LA LOI

L’idée de mélanger l’ADN de trois parents a permis à la famille jordanienne de réaliser son rêve d’avoir un enfant en santé, mais elle soulève toute une série d’enjeux éthiques. « Ce cas est troublant pour plusieurs raisons », estime Marie-Hélène Parizeau, professeure de bioéthique à l’Université Laval. Il faut d’abord savoir qu’une telle manipulation aurait été illégale aux États-Unis, tout comme au Canada. Le DZhang, qui pratique à New York, l’a donc faite au Mexique, où « il n’y a pas de règles », a-t-il expliqué au New Scientist. « En l’absence de convention internationale, de plus en plus de scientifiques vont faire leurs recherches dans des pays comme l’Inde, la Chine ou le Mexique, où les lois sont plus laxistes. Pour ces pays, ce sont des niches économiques. C’est l’un des grands enjeux éthiques actuels », dit la professeure Parizeau, qui dénonce cette tendance à « court-circuiter » les réglementations nationales. L’an dernier, la Grande-Bretagne a été le premier pays occidental à autoriser la conception d’enfants à trois parents dans les cas où la mère risque de transmettre des maladies génétiques graves à ses enfants par ses mitochondries.

DES QUESTIONS SANS RÉPONSES

La naissance du petit garçon est certes réjouissante, mais Marie-Hélène Parizeau souligne qu’on en sait très peu sur sa création. « Combien le couple a-t-il payé pour avoir cet enfant ? D’où venait l’ovule de la donneuse ? Combien de tentatives ont-elles été nécessaires ? Quel poids les traitements ont-ils fait peser sur la mère ? Tout cela, on ne le sait pas », souligne-t-elle. La clinique New Hope a refusé hier de répondre aux questions de La Presse, affirmant qu’elle dévoilerait certains détails lors d’un congrès scientifique en octobre. La question la plus importante demeure cependant la santé de l’enfant. Au magazine New Scientist, le Dr Zhang a assuré que le poupon est en parfaite forme, et que ses mitochondries sont normales – moins de 1 % d’entre elles présenteraient les mutations problématiques héritées de la « vraie mère », ce qui serait beaucoup trop faible pour entraîner à des problèmes. Il reste qu’on en connaît très peu sur les effets à long terme des manipulations pratiquées et que le petit garçon devra être suivi de près. Plusieurs bébés à trois parents créés dans les années 90 grâce à une technique appelée « transfert cytoplasmique » avaient fini par connaître des troubles de développement et des problèmes cognitifs.

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