Les Québécois qui ont l’impression de rouler plus souvent que d’habitude sur des bouts de route en mauvais état n’ont pas la berlue ; l’état des routes s’est dégradé au Québec depuis cinq ans, et la tendance n’est pas près de s’inverser.
Selon les données du plus récent rapport annuel de gestion du ministère des Transports du Québec (MTQ) pour 2017-2018, la proportion des chaussées du réseau routier provincial qui sont en bon état est en baisse constante depuis 2014, malgré des dépenses annuelles de plus de 2 milliards consacrées à l’entretien et à l’amélioration des routes.
Ces chiffres confirment les craintes déjà exprimées par trois experts indépendants dans un avis présenté au ministre des Transports du Québec au printemps 2018. Selon eux, au rythme des investissements actuels, le MTQ n’atteindra pas ses objectifs de performance d’ici 2020 et ne sera même pas en mesure de maintenir les progrès réalisés entre 2008 et 2013, à grands renforts de milliards, pour améliorer l’état du réseau routier québécois.
Pire encore, affirment ces experts, « il y aura détérioration au cours des prochaines années, selon les prévisions du Ministère ».
Déficiences
Les données du rapport de gestion du MTQ sur l’état des chaussées démontrent que l’augmentation des déficiences majeures et mineures sur le réseau est observable sur toutes les classes de routes, des plus modestes collectrices en milieu rural jusqu’aux grandes autoroutes de la province.
C’est d’ailleurs dans les grands axes du « réseau stratégique en soutien au commerce extérieur », qui rassemble toutes les plus importantes voies de circulation du Québec, que la lente glissade de l’indice de confort de roulement utilisé par le MTQ est la plus évidente.
La proportion des chaussées de ce réseau qui sont considérées comme en bon état a chuté de son sommet de 88,3 % en 2014 à 86,7 % à la fin de 2017. Ce pourcentage est le plus faible enregistré depuis 2011 sur le réseau stratégique en soutien au commerce extérieur.
Une baisse de 1,6 % peut paraître insignifiante. Vu la longueur du réseau stratégique, qui s’étend sur plus de 8000 kilomètres, ça signifie que les segments routiers considérés en mauvais état se sont allongés de plus de 125 kilomètres en seulement quatre ans, et ce, sur le sous-réseau considéré comme le plus vital pour la circulation des personnes et des biens, au Québec.
Le pourcentage de chaussées en bon état pour l’ensemble du réseau routier relevant du ministère des Transports du Québec, toutes catégories confondues, s’élevait quant à lui à 78,9 % à la fin de 2017.
Là encore, il s’agit du plus faible résultat mesuré par le MTQ depuis 2012. La cible du Ministère pour 2017 était de 79,8 %.
Investissements records
Le 30 septembre 2006, l’effondrement du viaduc de la Concorde sur l’autoroute 19, à Laval, a mis cruellement en lumière l’état de dégradation de l’ensemble des infrastructures routières du Québec. Cette tragédie, qui a fait cinq morts et six blessés graves, a provoqué le lancement d’un plan de redressement du réseau routier qui s’est traduit pendant plusieurs années par des investissements routiers annuels de plus de 3 milliards.
Entre 2008 et 2012, le MTQ a ainsi investi entre 600 et 700 millions pour reconstruire, réhabiliter ou simplement repaver entre 2500 et 3000 kilomètres de routes, et ce, chaque année. En 2008, le pourcentage des chaussées en bon état pour l’ensemble du réseau routier supérieur s’élevait à moins de 68 %. Six ans plus tard, il frôlait les 80 %.
À partir de 2013, le total des investissements annuels du MTQ a toutefois commencé à diminuer, d’une année à l’autre.
En 2017, selon le rapport annuel de gestion du MTQ, malgré des investissements de 482,5 millions, la proportion des chaussées en bon état est passée de 79,4 % à seulement 78,9 % par rapport à l’année précédente. Ce demi-point de pourcentage représente environ 150 kilomètres de chaussées déficientes de plus qu’en 2016.
« La longueur des travaux de réfection réalisés sur des chaussées déficientes n’a pas été suffisante pour contrer la dégradation naturelle du réseau, et donc, pour maintenir notre proportion de chaussées en bon état », indique clairement le rapport du Ministère.
Des progrès en péril
La conclusion du MTQ confirme les appréhensions exprimées par trois experts dans un avis au ministre, dont La Presse avait révélé le contenu en octobre dernier. Ces experts avaient été mandatés pour étudier la programmation biannuelle des travaux du MTQ pour 2018-2020. Dans leur avis, ils estimaient que « même si tous les travaux programmés étaient pleinement réalisés, le résultat ne permettrait pas d’atteindre les cibles du plan stratégique 2017-2020 à l’égard des pourcentages de structures et de chaussées en bon état ».
Pour le comité d’experts, les progrès réalisés entre 2008 et 2013 sont aussi menacés de s’effriter, d’année en année, faute de réaliser un plus grand volume de travaux. Le comité a « constaté que le volume des travaux réalisés ces dernières années est insuffisant pour maintenir les progrès observés au cours de la dernière décennie – progrès qui résultent des actions prises notamment en réponse à l’effondrement du viaduc de la Concorde ».
Une augmentation des budgets routiers annuels et « de la capacité opérationnelle » du MTQ étaient les principales recommandations adressées au ministre des Transports par ces trois experts indépendants.