Sécurité routière

Nourrir le chevreuil l’hiver, une pratique dangereuse

Le Québec a établi un record d’accidents de la route impliquant un chevreuil, en 2016. Voilà une des raisons qui incitent le gouvernement à vouloir interdire le nourrissage du cervidé en hiver. Cette pratique est d’ailleurs nocive pour la santé de l’animal, voire mortelle, en plus d’être un vecteur de maladies. Explications.

Des milliers d’accidents de la route

En dépit des nombreuses campagnes du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs pour dissuader le public de nourrir le cerf de Virginie en hiver, cette activité reste une pratique très répandue dans certaines régions. À tel point que Québec veut y mettre un terme. Paradoxalement, explique le biologiste François Lebel, coordonnateur de la gestion du cerf de Virginie au Québec, le nourrissage hivernal nuit même à la survie de l’animal. Et avec l’augmentation du nombre de chevreuils aux lieux d’alimentation, le risque d’accidents routiers grimpe. En 2016, on en a compté plus de 5600, faisant 2 morts et 240 blessés, un sommet en cinq ans.

Une question de densité

La population de cerfs de Virginie au Québec, concentrée dans l’ouest et le sud de la province et en Gaspésie, s’élève à quelque 240 000 têtes. Le nombre d’accidents de la route est avant tout attribuable à la densité d’animaux sur le territoire, à l’importance du réseau routier et de la circulation. C’est la Montérégie qui détient le record dans ce domaine : 982 accidents l’an dernier (1 mort, 52 blessés). En Estrie, où l’on retrouve la plus grande densité de cerfs de Virginie, les accidents se chiffraient à 871 (38 blessés) et on en a dénombré 549 dans les Laurentides, où le nourrissage est très en vogue.

En dehors de leurs ravages

Au Québec, les chevreuils se regroupent en décembre dans leurs ravages, quartiers d’hiver où ils sont relativement protégés de la neige par un couvert de conifères. Ils accèdent aux ressources alimentaires en circulant dans les mêmes sentiers, réduisant ainsi l’énergie dépensée. Les lieux de nourrissage poussent les cervidés à quitter leur habitat naturel et à s’aventurer sur la voie publique pour s’y rendre. En 2016, pas moins de 529 carcasses de chevreuils provenant du secteur Mont-Tremblant–Lac-Saguay ont été récupérées sur la route, en grande partie l’hiver. D’autres municipalités des Hautes-Laurentides et de l’Outaouais vivent la même situation.

Un bilan routier encore plus important

Les conducteurs québécois doivent déclarer tout accident impliquant un animal de 25 kg et plus, un règlement toutefois ignoré par un grand nombre, surtout si les dommages au véhicule sont minimes. Si bien que le nombre d’accidents de la route impliquant un chevreuil est probablement plus important que ne l’indiquent les statistiques. Novembre est le mois où on dénombre le plus d’accidents : 1010 sur un bilan annuel de 5622 en 2016. C’est la période du rut. Devenus hyperactifs, les mâles circulent énormément. De décembre à la mi-avril, on comptait 1800 accidents, nombre qui pourrait baisser sensiblement si les chevreuils restaient confinés dans leurs ravages.

Un régime alimentaire nocif

Les gens nourrissent les chevreuils pour les observer de plus près et leur apporter un supplément alimentaire hivernal. Or, en début d’hiver, la flore bactérienne du système digestif de l’animal change complètement pour s’adapter à un régime alimentaire composé de ramilles. La digestion de carottes, laitues, maïs, fourrage et autres exige souvent plus d’énergie que cette nourriture n’en fournit. Il est fréquent, indique le biologiste François Lebel, que des cerfs pourtant en bonne santé meurent en raison de complications digestives. « L’animal doit notamment réchauffer cette nourriture en l’avalant, une dépense énergétique considérable. C’est comme si on se nourrissait de Popsicles tout l’hiver. »

La transmission de maladies

Pour les biologistes, la sécurité routière n’est qu’un des aspects négatifs du nourrissage hivernal. Hors de ses ravages, le cerf n’est plus dans son habitat naturel. Augmenter artificiellement la densité des bêtes à un endroit donné favorise la transmission de maladies ou de parasites comme la tique porteuse de la maladie de Lyme, qui profite alors d’une dissémination accrue. Des prédateurs comme le coyote ou le loup seront inévitablement attirés sur les lieux. La situation est aussi propice au braconnage. De plus, le chevreuil voudra inévitablement varier son menu et dégustera arbres et arbustes ornementaux qui seront à sa portée, notamment les haies de thuyas.

Des chevreuils domestiqués

Le nourrissage artificiel provoque aussi un début de domestication du chevreuil, indiquent les biologistes. Ils deviennent familiers, n’ont plus peur des humains et s’installent parfois à demeure non loin des endroits où on les nourrit régulièrement. Si bien que, même au cours de l’été, ils deviennent une nuisance pour la circulation routière, en plus de se servir allègrement dans les jardins de plantes ornementales et potagères. À Mont-Tremblant, certains chevreuils vivent dans la municipalité depuis déjà quelques générations. Les autorités ont pourtant fait des efforts considérables au cours des récentes années pour dissuader la population de nourrir les cerfs.

Interdiction dans les États du Vermont et de New York

Source de problèmes pour les animaux et les humains, le nourrissage hivernal pourrait cependant être réglementé dans les municipalités, mais seulement une minorité d’entre elles font des efforts pour contrer le phénomène. À Duhamel, dans l’Outaouais, le nourrissage est une attraction touristique depuis longtemps. Pourtant, dans les États limitrophes du Vermont et de New York, nourrir le chevreuil est interdit sur tout le territoire, et ce, l’année durant. Au Québec, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs estime qu’il devra éventuellement réglementer ou même interdire partout ce type d’alimentation artificielle.

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