Chronique

Autant d’heures de travail, moins de patients

Les médecins du Québec voient nettement moins de patients chaque semaine que leurs collègues des autres provinces, bien qu’ils travaillent autant.

Ce constat n’est pas tiré d’une enquête du gouvernement du Québec en cette ère de négociation avec les médecins. Ni d’une étude des pratiques médicales de chercheurs universitaires. Non, ce portrait, ce sont les médecins eux-mêmes qui en dessinent les contours, dans le cadre d’un vaste sondage pancanadien de l’Association médicale canadienne (AMC).

En tout, 7184 médecins ont répondu à une trentaine de questions pointues de l’AMC, dont 919 du Québec (omnipraticiens et spécialistes). Bref, le coup de sonde, dont les résultats ont été rendus publics ce matin, est fort représentatif.

Les raisons de cette apparente carence de productivité sont toutefois moins évidentes qu’il n’y paraît. Oubliez l’image simpliste des médecins québécois qui se traînent les pieds ou des médecins du reste du Canada (ROC) champions de l’efficacité.

La différence viendrait beaucoup de l’organisation du travail, notamment en ce qui concerne l’utilisation d’outils informatiques et électroniques.

Voyons voir dans le détail. Au Québec, les médecins qui offrent directement des soins disent voir 64 patients par semaine, en moyenne. Ce chiffre est de 80 en Ontario, de 82 en Colombie-Britannique et de 83 en Alberta. La moyenne canadienne est de 78.

Selon les réponses à deux autres questions, il appert que cette différence n’est pas attribuable à des semaines de travail moins longues. Les médecins du Québec déclarent travailler 49 heures par semaine, un peu moins que la moyenne canadienne de 50,5 heures. Cet écart est toutefois comblé par les heures mensuelles de garde (52 par mois au Québec, un sommet au Canada, dont la moyenne est de 38).

Qu’est-ce qui cloche ? « Le Québec est en retard dans l’informatisation du système. On passe plus de temps qu’ailleurs à gérer et à quérir de l’information », affirme le Dr Hugo Viens, directeur général de l’Association médicale du Québec, organisme affilié à l’AMC.

« On nous dit encore souvent d’envoyer des fax, car c’est plus sûr, à défaut d’avoir un système informatique qui protège pleinement les renseignements », ajoute-t-il.

De fait, deux questions du sondage font ressortir les effets probables des retards du « dossier patient » au Québec, notamment. Quand on demande aux médecins s’ils utilisent des dossiers électroniques pour saisir et consulter des données cliniques sur leurs patients, 77 % répondent par l’affirmative. Certes, cette proportion est importante, mais bien moins qu’en Ontario (86 %) ou en Alberta (87 %).

Surtout, l’écart entre le Québec et le ROC révèle toute son ampleur quand on demande à quelles fins les outils électroniques sont précisément utilisés. Le questionnaire du sondage suggère une douzaine de possibilités. Au Québec, par exemple, seulement le tiers des médecins qui dispensent des soins aux patients affirment utiliser ces outils informatiques pour faire des commandes d’analyses de laboratoire ou de tests diagnostiques (32 %), deux fois moins qu’en Ontario.

Même constat pour les renseignements concernant les congés d’hôpital des patients (32 %), l’aiguillage vers d’autres médecins (18 %) ou le transfert sécurisé de renseignements sur les patients (12 %). Dans ces trois cas, les moyennes canadiennes sont de 55 %, 44 % et 26 %.

« Des médecins nous disent : “Si je ne passais pas mes journées au téléphone à aiguiller mes patients vers des tests ou des spécialistes, je pourrais voir plus de patients”. »

— Le Dr Hugo Viens, directeur général de l’Association médicale du Québec

Autre élément : la répartition du travail entre l’hôpital et la clinique. Selon le sondage, 53 % des médecins travaillent en milieu hospitalier, contre une moyenne de 38 % au Canada (26 % en Colombie-Britannique). « C’est certainement un des éléments qui contribuent à rendre les médecins moins disponibles pour les patients, et c’est un des éléments que veut corriger la réforme de Gaétan Barrette », affirme Hugo Viens.

Réforme Barrette

Cette photo du monde médical canadien permet également de constater des effets de la réforme Barrette. Au Québec, les médecins sont beaucoup plus nombreux qu’ailleurs à dire qu’ils acceptent sans restriction de nouveaux patients (54 %), soit 12 points de plus qu’en Ontario et 8 de plus que la moyenne.

De plus, ils affirment travailler plus d’heures depuis deux ans dans une proportion de 27 %, soit plus qu’ailleurs (20 % en Ontario et 18 % en Alberta). D’ailleurs, dans le dernier sondage, il y a deux ans, l’écart entre le nombre d’heures de travail des médecins du Québec et ceux du ROC était d’environ trois heures, le double de l’écart révélé par le présent sondage.

En revanche, le moral de certains médecins semble être affecté. Quelque 10,6 % des médecins du Québec disent vouloir prendre leur retraite d’ici deux ans ou encore cesser la pratique, comparativement à 9,7 % en Ontario et 8,3 % en Alberta.

Paradoxalement, les trois quarts des médecins québécois sondés se disent tout de même satisfaits ou très satisfaits de leur vie professionnelle (78 %), une proportion plus élevée qu’en Ontario (70 %).

Quoi qu’il en soit, le système québécois est clairement distinct de celui des autres provinces, selon les réponses aux diverses questions. Et le sondage nous invite à réfléchir à son organisation.

Avant de tout chambarder, cependant, gardons la qualité à l’esprit : est-il préférable pour les médecins de voir plus de patients ou de passer plus de temps avec les patients malades ?

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