Mercuriades 2018

Le succès en trois histoires

Jeudi prochain aura lieu la 38e présentation des Mercuriades, l’un des plus prestigieux concours d’affaires du Québec. Parmi les nommés se trouvent une foule d’histoires inspirantes. Nous vous en présentons trois.

Un dossier d’Isabelle Massé

Que sont les Mercuriades ?

Un concours d’affaires qui célèbre, depuis 1981, l’entrepreneuriat, l’innovation et la performance des PME et des grandes entreprises du Québec. Les lauréats, choisis cette année par un jury de sept personnes provenant de différentes entreprises et d’une université, remportent des trophées Mercure. Cette année, 76 PME, grandes entreprises ou personnes sont nommées parmi les 200 candidatures reçues. Celles-ci doivent chaque fois refléter la réussite concrète dans l’entreprise de stratégies innovatrices mises en œuvre au Québec.

Mercuriades 2018

Madame
Initiative

Estimatrice dédiée chez Construction Kiewit, Hala Anna Yassin a métamorphosé une enfance semée d’embûches en quotidien où ses idées et ses réalisations sont reconnues et appréciées.

Les femmes peuvent se faire rares et être malmenées dans le milieu de la construction. Hala Anna Yassin y a subi plusieurs commentaires désobligeants. « C’était intimidant quand je suis entrée chez Kiewit, raconte-t-elle. J’ai fait des chantiers pendant deux ans et j’ai failli quitter cinq fois ! J’y suis restée à cause de mes patrons et collègues qui m’ont soutenue et bien entourée. »

L’estimatrice en chef et formatrice de Construction Kiewit est d’ailleurs émue lorsqu’elle dévoile que ce sont ses supérieurs masculins qui l’ont inscrite au concours des Mercuriades dans la catégorie Relève Femme d’exception. « Ils croient en moi. Ils me poussent. »

La lecture de ses accomplissements en cinq ans chez Kiewit, où ses tâches se sont rapidement multipliées et sont devenues indispensables, fait comprendre pourquoi cette ingénieure civile de formation de 31 ans est remarquée. Elle est spécialiste dans l’estimation des projets d’infrastructures, et on lui doit la coordination de l’estimation du projet du REM et le développement d’un outil d’intelligence opérationnelle automatisé et dynamique dans le cadre de ce même projet. « Une des grandes réalisations de l’entreprise, lit-on. Et ses modèles ont été copiés à travers ses filiales, incluant celles aux États-Unis. »

On ne passe pas sous silence, non plus, les formations aux ingénieurs et estimateurs de l’entreprise que Hala Anna Yassin a mises en place, qui se sont officialisées en janvier dernier et qu’elle peut donner aussi à distance aux employés d’autres filiales de Kiewit. « Je crois beaucoup en la formation en continu pour les ingénieurs, dit-elle. Surtout depuis que la profession est sous tutelle. Je passe des soirs et week-ends pour trouver des choses pour eux. On a, par exemple, rencontré la présidente de l’Ordre des ingénieurs pour améliorer notre réputation. Tout le monde est gagnant. »

Parallèlement, Hala Anna Yassin puise dans son parcours personnel, lors de conférences notamment, pour inspirer des jeunes filles à poursuivre leurs études. Et pourquoi pas jusqu’en génie ? Syrienne d’origine, l’estimatrice arrivée au Canada à 6 ans y dévoile une jeunesse marquée par la violence, mais aussi une vie qui s’est muée en désirs de réalisations et de réussite. « On a vu que j’étais passionnée et que j’avais de l’initiative. Quand je fais des activités de motivation avec des filles, par exemple, mes patrons nous encouragent. Que peut-on faire pour améliorer la rétention ou le recrutement des femmes ? Il y a une vieille mentalité “Men, Money and Machine” dans notre industrie. Mais mes patrons sont plus jeunes et leur mentalité diffère. »

Mercuriades 2018

Une marche à la fois

Grâce à des investissements constants en recherche et développement et à la confiance de grands entrepreneurs, l’entreprise beauceronne Cuisitec pose sa patte dans toujours plus de condos et résidences pour personnes âgées.

Deux belles cibles

Le fabricant de cuisines et de salles de bains compte 75 employés. Mais cette PME produit comme une grande entreprise, puisqu’elle collabore avec des entrepreneurs d’importants projets de condos et de résidences pour personnes âgées. « On s’est dit : pénétrons ce marché de masse qui connaît un essor, explique Normand Cloutier, PDG de Cuisitec. Il y a un besoin au Québec d’un très grand nombre d’unités à réaliser. »

Forte d’une expérience en Floride où elle desservait des milliers de logements, l’entreprise a décidé de s’attaquer au marché québécois en 2004, en production, mais désormais aussi en installation sur les chantiers. « J’ai alors fait beaucoup d’investissements en R et D, notamment sur le plan de la machinerie. Sur 10 ans, il y a aussi eu trois agrandissements d’usine. J’ai investi quelques centaines de milliers de dollars par an. »

Une marche à la fois

Cuisitec s’est fait la main à l’aide d’entrepreneurs de grande taille. Au fil des ans, le nombre d’unités des projets a doublé, triplé… « Après un projet de production et d’installation sur les chantiers de 200 logements, vers 2014, un entrepreneur m’a dit : “Tu es capable de t’attaquer à ceux de 400 à 500 logements”, raconte Normand Cloutier. Ça m’a donné confiance. C’est une expérience de croissance sur le plan personnel également. Ça me motive. C’est stimulant.

« Pour croître, avec les années, on a développé des tableaux de bord, des instruments de planification. En R et D, je suis allé chercher l’assistance d’ingénieurs, j’ai développé des outils techniques, j’ai mis sur pied les quarts de nuit. Je me suis donné un coussin de production et de la flexibilité. »

Précieux stocks

Comme les débuts de projets peuvent accuser du retard, Cuisitec s’est donné une flexibilité dans son usine de Saint-Joseph-de-Beauce. « Je n’applique pas la méthode Toyota, just in time, explique Normand Cloutier, car mon marché me demande des stocks. Je suis le modèle américain, plutôt fluide. Je fabrique d’avance, je stocke. Le marché québécois me comble présentement. Cela dit, je pourrais l’ouvrir. J’ai des plans et des appuis. »

Vers les 5000

Cuisitec compte doubler sa production d’ici deux à trois ans et, conséquemment, faire grimper son nombre d’employés à 100. « Je vise une croissance plus rapide que les années précédentes où notre chiffre d’affaires a crû de 15 % à 20 % par an, dit Normand Cloutier. Je vais optimiser l’utilisation de nos ressources d’usine. On fait présentement 2500 cuisines annuellement, mais on en fera éventuellement 5000. »

Mercuriades 2018

Le grand changement de la Bridgestone de Joliette

L’usine de pneus de Joliette vit une transformation de taille pour se moderniser et livrer en grande quantité de nouveaux produits. Quatre questions à Robert Verreault, son directeur général.

L’usine a annoncé un investissement de 312 millions en 2016. Pourquoi Bridgestone a-t-elle senti le besoin d’investir dans l’installation ?

L’usine a 51 ans. On s’en allait vers un marché auquel on ne pouvait plus répondre. On a donc proposé un projet au bureau chef du Japon. Le marché est en forte croissance pour les VUS, les 4x4, les camionnettes. Ceux-ci exigent de plus en plus des pneus à profil bas, avec un diamètre de plus de 18 po. On a fait notamment beaucoup d’automatisation pour augmenter la production et la rénovation des machines d’assemblage. Notre production pourra ainsi passer de 17 000 à 20 000 pneus par jour. En étant au Québec, les coûts de main-d’œuvre sont élevés. Il faut donc être productif. Depuis deux ans, je suis pas mal occupé ! Et ce sera terminé dans seulement deux ans. Ça rend la vie un peu folle, mais c’est bon pour la région.

Comment sentez-vous venir les tendances ?

Je fais partie du “leadership team management” de Bridgestone. Deux fois par an, toute l’équipe se rencontre à Nashville pour discuter des grandes stratégies. Je lis beaucoup, j’entends ce que les experts marketing du bureau chef nous disent. On sème ainsi une graine quatre ans d’avance. Le changement, c’est dur, car il y a un risque. Avec les pneus à profil bas, on a fait le pari de s’attaquer à une niche spécialisée. Mais l’usine de Joliette est reconnue pour l’innovation et est capable de livrer. On fait des choses assez poussées avec nos ingénieurs.

Comment peut-on faire bouger une entreprise de 1300 employés ?

Ça part du leadership. On a une approche ascendante. Nos 2200 magasins américains nous donnent de l’information. L’entreprise prend des risques, mais surtout, elle reste sur le plancher des vaches. Nous suivons la philosophie du Genchi Genbutsu (ou Genba), instaurée par le fondateur, il y a 80 ans, soit qu’il faut aller voir le problème sur place, aller à la source avant d’en parler. Même si l’organisation est énorme, je vais sur le terrain. Je parle aux chefs opérateurs. On garde aussi une politique de porte ouverte afin que les gens puissent s’exprimer. »

Comment mobiliser et former les troupes pour le changement ?

On s’est demandé si nos employés d’usine allaient être prêts. Pour qu’ils le soient, pour gérer les courbes d’émotivité, il faut donc former en premier lieu nos gestionnaires, les outiller pour faire face à ces changements. Ils doivent être sensibles à ce que vivent et ressentent les employés. Et c’est plus qu’être à l’écoute. On donne des outils. On a aussi impliqué les employés, tels les opérateurs, dans le processus. Par exemple, en prédesign, avant l’implantation d’une machine. Son acceptation est alors plus forte.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.