Opinion santé

Argumentum ad americanum

Les Québécois ont réagi avec colère à l’annonce de la mort d’une douzaine de leurs compatriotes pris sur une liste d’attente interminable dans les divers départements de cardiologie de la province.

Malheureusement, ils ne sont que les derniers d’une longue liste de nos concitoyens, partout au pays, qui ont souffert des dommages irréparables parce que notre système de santé les a trop fait attendre.

Notre système de santé est malade, et cela fait plusieurs années qu’on le sait. Malheureusement, au lieu d’essayer un éventail de remèdes pour le guérir, on ne se limite qu’aux solutions gouvernementales, prétendant que n’importe quelle ouverture à la compétition serait une pente glissante vers une vision caricaturale du système de santé américain. 

Le Canada a beau reconnaître 195 pays, nous ne reconnaissons que l’existence de deux systèmes de santé : le nôtre et celui des États-Unis. Ce sophisme mériterait son propre nom latin : argumentum ad americanum.

Bien que le système canadien obtienne généralement de meilleurs scores que le système américain sur les indicateurs de performance des systèmes de santé, notre système est loin d’être envié par le reste du monde industrialisé. L’accessibilité financière n’est qu’une seule composante de l’accessibilité aux soins de santé. Comme le disait l’ex-juge en chef de la Cour suprême Beverly McLachlin : « L’accès à une liste d’attente n’est pas l’accès aux soins de santé. »

Selon l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), c’est près d’un patient sur dix qui a dû attendre plus de 32 heures avant d’être traité. L’ICIS n’est pas le seul à reconnaître cela : le Commonwealth Fund, un panel d’expert du New York Times et le prestigieux journal médical The Lancet ont tous classé notre système parmi les pires du monde industrialisé. Nous méritons mieux.

Les exemples britannique, australien et néerlandais

C’est en se comparant aux systèmes plus performants que le nôtre, et non en se limitant aux comparaisons avec le système américain, que nous pourrons améliorer l’accès à notre système de santé et ses résultats.

Prenons par exemple les trois systèmes de santé les mieux classés selon l’étude du Commonwealth Fund : les systèmes britannique, australien et néerlandais. Ces trois systèmes performent mieux que le nôtre, offrent une couverture universelle et font tous appel à l’expertise du secteur privé à divers niveaux. Malgré cet appel au privé, nous n’entendons pas parler d’histoires d’horreur où des gens auraient dû prendre une deuxième hypothèque sur leur résidence afin de payer leurs soins médicaux. Au lieu de rester bloqués sur la comparaison avec le système américain, nous devrions nous inspirer de ces systèmes et tirer profit de la participation du secteur privé et des mécanismes de marché afin d’améliorer notre système de santé.

Notre système de santé étant basé sur le National Health Service britannique, on pourrait permettre au système parallèle privé que nous avons de se développer davantage. Cela aurait pour effet de réduire la pression, tant sur le plan du volume d’usagers que sur le plan financier, dans notre système gouvernemental.

Nous pourrions aussi nous inspirer de l’Australie, où des hôpitaux publics et privés sont en compétition pour recevoir des patients couverts par des assurances tant publiques que privées. Cela permettrait de tirer profit de la compétition entre ces deux systèmes afin d’inciter notre système hospitalier à devenir plus efficace.

Ou encore, nous pourrions nous inspirer des Pays-Bas, où les systèmes de santé et d’assurance sont entièrement privés, mais régulés par le gouvernement. Grâce à un mandat légal d’assurance et de l’aide gouvernementale ciblée vers les populations vulnérables, au lieu d’une subvention universelle payée par tous, la couverture d’assurance y est universelle, comme chez-nous, mais prend une part moindre de l’économie.

Ces trois systèmes de santé offrent une meilleure accessibilité et performent mieux que le nôtre. Ils tirent tous profit d’une implication du privé. Est-ce qu’on pourrait sortir du sophisme de l’argumentum ad americanum et s’inspirer de ceux-ci ?

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