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Et si Hydro-Québec nous encourageait à produire notre propre électricité et à devenir autonomes en matière d’énergie ? Stratégie suicidaire ? C’est pourtant la voie qu’a choisie Green Mountain Power, la compagnie d’électricité du Vermont, pour assurer son avenir. La révolution énergétique en cours au Vermont pourrait devenir un modèle pour les géants du secteur de l’énergie, a constaté La Presse. Un dossier d’Hélène Baril

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La révolution solaire en marche

WAITSFIELD, Vermont — Avec les vaches et les montagnes verdoyantes, les panneaux solaires sont maintenant un trait caractéristique des paysages du Vermont. Il y en a partout, sur les maisons, les écoles, les granges, les poulaillers, les usines et les entrepôts.

Il y en a chez Stephen Sands, qui dirige une entreprise à Burlington et habite Waitsfield, à 45 minutes de voiture de la ville. La route qu’il emprunte pour rentrer chez lui traverse un village charmant au bord de la rivière, puis un pont couvert, et elle débouche sur le panorama déployé en demi-cercle de Sugarbush et des deux autres centres de ski. Très Vermont.

Cet ancien moniteur de ski a des panneaux solaires sur son garage et deux batteries Powerwall de Tesla à l’intérieur du bâtiment, qui lui fournissent toute l’électricité dont sa famille a besoin. Ces équipements ont été achetés et installés par Green Mountain Power (GMP), le plus gros fournisseur d’électricité du Vermont.

une application mobile

Stephen est agréablement surpris par la performance de son installation. Grâce à l’application qui vient avec les Powerwall, il peut suivre en temps réel sur son téléphone la production d’électricité de ses panneaux et l’état de ses réserves.

Lors de l’une des pires tempêtes de neige et de verglas qui se sont abattues sur la Nouvelle-Angleterre, ce printemps, il s’est écoulé 21 heures sans que ses panneaux produisent d’électricité. La maison a été alimentée comme d’habitude et ses filles ont regardé la télé, grâce à l’énergie emmagasinée dans les deux batteries dans le garage.

Les pannes de réseau, qui arrivent assez fréquemment dans un territoire aussi verdoyant et montagneux, n’ont plus d’impact chez les Sands.

Et combien économisez-vous sur votre facture d’électricité ? Je n’ai pas payé un sou pour l’électricité depuis que ça fonctionne, dit-il.

Zéro ? « Zéro. »

une stratégie audacieuse

Stephen Sands participe à un des programmes offerts par Green Mountain Power pour encourager ses clients à produire leur électricité et à ne plus dépendre de son réseau de distribution.

Les clients peuvent acheter eux-mêmes l’équipement, mais l’entreprise l’offre en location, ce qui est l’option la plus populaire. Les panneaux solaires livrés et installés coûtent 80 $US par mois à Stephen Sands, qui verse aussi 15 $US mensuellement pour chacune de ses deux batteries Powerwall.

Green Mountain Power demande aux clients qui participent au programme d’avoir accès à l’électricité de leurs batteries lors des périodes de pointe de son réseau, quand il fait très chaud ou très froid. Ça se produit une ou deux fois par année, et les clients ne subissent pas de perte de courant pendant ces périodes. En fait, ils ne s’en rendent même pas compte.

Il y a actuellement 250 clients de Green Mountain Power déjà branchés et 300 autres sur une liste d’attente pour ce programme lancé l’été dernier, sans publicité ni campagne de marketing, dit Josh Castonguay, chef de l’innovation de l’entreprise.

« Notre partenariat avec Tesla prévoit l’installation de 2000 unités. »

— Josh Castonguay

Le programme a été retardé par un report des livraisons de Powerwall, Tesla ayant été occupée à combler d’urgence les besoins en électricité de l’île de Porto Rico, dévastée par l’ouragan Maria en 2017.

Une borne de recharge avec ça ?

GMP est la seule compagnie d’électricité de la Nouvelle-Angleterre à rendre la technologie de Tesla aussi accessible à ses clients. Elle leur propose aussi plusieurs autres solutions qui ont toutes le même objectif : les faire économiser et les rendre plus autonomes.

La gamme de produits offerts comprend un équipement pour brancher sa propre installation solaire au réseau électrique, une pompe à chaleur et des outils pour gérer sa consommation d’eau chaude, qui sont offerts en vente, en location ou même gratuitement.

L’entreprise offre aussi un rabais de 3000 $US à ses clients qui achètent une Leaf 2018 de Nissan. Ce rabais s’ajoute à une subvention fédérale pouvant atteindre 7500 $US, soit un rabais total de 10 500 $US.

Ceux qui achètent une Leaf ont droit à une borne de recharge gratuite et ceux qui ont déjà un véhicule électrique peuvent en louer une pour 9,99 $US par mois.

« un beau projet »

Green Mountain Power vient de s’entendre avec l’entreprise québécoise AddÉnergie, qui lui fournira des bornes de recharge résidentielle FLO Maison de nouvelle génération. Son intention est de l’offrir gratuitement aux clients qui lui permettront de s’en servir pour gérer la demande du réseau, comme avec les Powerwall.

« C’est un beau projet pour nous, qui met à profit notre modèle d’affaires », se réjouit Louis Tremblay, président et chef de la direction d’AddÉnergie.

Il s’agit d’une première percée pour l’entreprise québécoise aux États-Unis, mais Louis Tremblay prévoit que le modèle de GMP va être imité.

Pour Stephen Sands, l’achat d’une voiture électrique est probablement la prochaine étape de sa révolution énergétique personnelle.

Sources d’énergie pour le chauffage au Vermont

Mazout : 44,7 %

Gaz naturel : 16,5 %

Propane : 15,2 %

Électricité : 4,6 %

Autres (bois) : 19 %

Source : US Energy Information Agency

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Innover ou être condamné

Colchester, Vermont — « Vous voyez qu’on n’est pas une compagnie d’électricité comme les autres », dit Mary Powell, la grande patronne de Green Mountain Power, en accueillant La Presse à Colchester.

Ça se voit, en effet, au siège social de l’entreprise, où il n’y a que des espaces ouverts. Pas de bureaux, pas même pour la PDG.

Mais c’est surtout la stratégie d’affaires de GMP qui la distingue de ses pairs. L’entreprise aide ses clients à produire leur propre énergie et à ne plus avoir besoin de son réseau. Est-ce que ça veut dire se débarrasser de ses clients ?

« Mon Dieu, non ! », s’exclame-t-elle.

« Le client devient plus indépendant, mais nous avons une relation plus intime avec lui. »

— Mary Powell, PDG de Green Mountain Power

De toute façon, c’est le client qui l’a décidé. La technologie permet aujourd’hui de produire de l’énergie moins chère, surtout avec des panneaux solaires et du stockage, dont le prix est maintenant accessible à tous. Les cellules photovoltaïques fleurissent sur les toits vermontois depuis 2005.

Dans un État où le prix moyen de l’électricité est supérieur à 15 cents le kilowattheure, soit deux fois plus cher qu’au Québec, le jeu en vaut la chandelle. Comme beaucoup d’autres fournisseurs d’électricité, GMP risquait de se retrouver avec un réseau de plus en plus coûteux à entretenir, et de moins en moins de clients pour payer cet entretien.

« C’est une révolution lancée par les consommateurs, reconnaît Mary Powell. Alors nous avons décidé de les aider à réaliser leurs objectifs à meilleur coût. »

Nouveau type de revenus

Encore faut-il que l’entreprise y trouve son compte. Vendre l’électricité comme un service plutôt que comme un produit génère un nouveau type de revenus que GMP peut utiliser pour compenser la perte de revenus provenant de la baisse des ventes d’électricité et réduire ses propres coûts, résume-t-elle.

15,66 cents le kilowattheure

Tarif résidentiel des clients de GMP

GMP produit seulement 20 % de l’électricité que ses clients consomment. Le reste est acheté en partie à Hydro-Québec et sur les marchés, à travers le réseau régional ISO New England. « Une grande partie de nos coûts vient de ce que nous devons payer pour ISO New England. Comme la facture régionale est basée sur la demande de pointe, tout ce que nous faisons pour réduire cette demande nous permet de réduire considérablement nos coûts. D’ici quatre ans, de 3 à 4 milliards US devront être investis dans le réseau régional et nous devrons en payer une partie », explique la PDG.

En plus de pouvoir compter sur ses clients qui ont un Powerwall, GMP s’est dotée d’un parc solaire de 2,5 mégawatts jumelé à une capacité de stockage qui l’aide à réduire la demande de pointe.

Avoir des clients qui produisent de leur électricité permet aussi à GMP de diminuer ses achats sur le marché et de faire des économies.

L’objectif du Vermont

L’État du Vermont a pour objectif de réduire sa consommation d’énergie du tiers d’ici 2050 et d’utiliser 90 % d’énergie renouvelable. « Nous voulons faire le double de ce que l’État nous demande et nous allons y arriver », assure Mary Powell, PDG de Green Mountain Power.

L’État veut notamment que les entreprises d’électricité fassent des efforts pour réduire la consommation de pétrole dans le transport et le chauffage. Green Mountain Power fait donc la promotion d’équipements qui consomment plus d’électricité, mais sont plus efficaces et moins polluants, comme les pompes à chaleur, ce qui est une source de revenus supplémentaires pour l’entreprise.

Le modèle de transition énergétique mis sur pied par GMP est encore jeune et il n’a pas fait ses preuves pour le moment, convient Mary Powell. « Je ne suis pas en train de dire que l’équation fonctionne parfaitement, parce qu’il s’agit d’innovation et qu’on doit essayer des choses. »

« Le plus grand danger dans notre industrie est de suranalyser et de rester bloqué à examiner, défendre, protéger les acquis, au lieu d’essayer et d’innover. »

— Mary Powell

Une entreprise de petite taille comme GMP a aussi un avantage par rapport aux grandes entreprises qui dominent le secteur de l’électricité. Surtout celles, comme Hydro-Québec, qui produisent de l’électricité en quantité industrielle.

« Nous ne sommes pas une compagnie qui essaie de protéger ses installations de production et son réseau de distribution, convient-elle. Ça rend les choses plus faciles. »

GMP est devenue une entreprise à capital fermé après son rachat par Gaz Métro (maintenant Énergir). Ça a aussi facilité le changement, selon sa PDG. « C’est une des choses les plus intelligentes qu’on ait faites. C’est toujours difficile pour une petite entreprise d’être cotée en Bourse. C’est difficile d’attirer les investisseurs, à moins d’être dans les technos. Le marché exige de fixer son attention sur le prochain trimestre et cette myopie empêche d’avoir une vision à long terme. »

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Un virage marquant

Le virage énergétique laisse sa marque dans le paysage du Vermont, État de 600 000 habitants qui n’a ni charbon, ni pétrole, ni gaz naturel.

« Souvent, ça pue IÇI »

Le parc solaire de Stafford Hill, près de Rutland, a été construit par Green Mountain Power sur le site d’un ancien site d’enfouissement. C’est une réhabilitation intéressante pour des terrains qui n’auraient probablement pas trouvé d’autres usages, mais il arrive que les ordures rappellent leur présence. « Souvent, ça pue ici », dit Don Therriault, employé de GMP.

La capitale du solaire de la Nouvelle-Angleterre

Rutland se targue d’être la capitale du solaire de la Nouvelle-Angleterre. « C’est ici qu’il y a le plus de panneaux solaires par habitant », dit Steve Costello, vice-président de GMP et « ambassadeur » autoproclamé de ce type d’énergie. En plus du parc de Stafford Hill, il y a 51 résidences, entreprises et établissements qui produisent de l’énergie solaire dans cette ville de 17 000 habitants. « Ça donne une impulsion nouvelle à la ville », assure-t-il.

Une bonne performance

La performance du parc solaire de Stafford Hill est aussi bonne que celle des autres parcs situés en Californie ou au Texas, explique Josh Castonguay, chef de l’innovation chez GMP. « Évidemment, là où il y a plus d’heures d’ensoleillement, la production d’énergie est supérieure. Ici, en hiver, il y a moins d’heures d’ensoleillement et le soleil est plus bas à l’horizon, donc la production est moindre. » Les panneaux solaires de 2,5 mégawatts sont couplés à des batteries d’une capacité de 3,4 mégawattheures.

Une maison en cadeau

Green Mountain Power, avec l’aide de dizaines de fournisseurs qui ont fourni du temps et des matériaux, a entièrement reconstruit une maison typique d’un quartier dévitalisé de Rutland pour l’offrir gratuitement à une famille désireuse de venir s’y établir. Pour avoir une chance de gagner la résidence équipée des plus récentes technologies de gestion de l’énergie, il suffit de répondre à deux questions en 500 mots : Pourquoi vouloir vivre à Rutland ? Qu’est-ce que ma famille peut apporter à la collectivité ? « Le concours a eu un succès incroyable, raconte Steve Costello. On a reçu des propositions de partout aux États-Unis, même de Californie. » La maison sera attribuée à une famille gagnante dans les prochaines semaines.

Bienvenue chez nous

Au siège social de Green Mountain Power, à Colchester, de même qu’à son Centre de promotion de l’efficacité énergétique de Rutland, des espaces de travail partagé sont accessibles à tous. Le but est d’encourager l’innovation et de diffuser les idées nouvelles, et aussi d’attirer des jeunes dans un État où la population est vieillissante.

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