Chronique

Une brève histoire

Stephen Hawking, l’un des plus grands cerveaux de l’humanité, est mort mercredi dernier. La planète entière pleure ce savant qui nous a permis de mieux comprendre l’Univers.

J’aimerais le remercier, du fond du cœur. Pour son apport scientifique, bien sûr. Mais pour autre chose, aussi. De moins universel, de plus personnel. Merci d’avoir contribué à ébranler le préjugé qui veut que lorsque l’on est diminué physiquement, on l’est aussi intellectuellement.

C’est un préjugé très tenace. Je le sais.

Permettez-moi de raconter une brève histoire d’il y a quelque temps. À la fin des années 80, je viens d’acheter ma maison et j’ai rendez-vous avec le gars de Texaco, pour la signature du contrat de livraison d’huile à chauffage. Il sonne. Mon amie l’accueille. Je l’attends assis à la table de cuisine. Il me salue, enjoué : 

« Bonjour, Monsieur Laporte ! Êtes-vous le Stéphane Laporte qui écrit les textes de l’imitateur André-Philippe Gagnon ?

— Oui, c’est moi.

— Ben bravo ! Vous êtes fort ! Ma femme et moi, on est allés voir son spectacle, on a tripé ! Félicitations !

— Merci, vous êtes gentil… »

Je rougis un peu, je suis tout content. Un compliment bien senti, ça fait toujours un petit velours. Le monsieur continue : 

« André-Philippe Gagnon, ça, ç’a l’air d’un bon gars !

— Je confirme, c’est un vrai bon gars !

— J’en suis sûr ! L’autre jour, je l’ai vu dans un magasin d’appareils électroniques, y était avec un p’tit handicapé. Le pauvre gars, y marchait tout croche. Y avait ben de la misère. Y avait pas l’air toute là. Pis André-Philippe, y s’en occupait, y était fin avec, comme si c’était n’importe qui. »

J’ai souri. J’ai dit ah oui. J’étais pas capable de rien dire d’autre. Pas capable de lui dire que c'était moi. J’avais le souffle et le cœur coupés. J’ai signé le contrat. Il m’a tendu la main. Je la lui ai serrée. Il s’est rendu compte que ma main droite était un peu croche. Y a eu comme un malaise. Il est parti. Je ne suis pas allé le reconduire à la porte. J’avais peur de le décevoir encore plus, en marchant tout croche. Et c’est moi que j’ai déçu. En ayant honte de mon apparence.

Je suis resté assis. Déboussolé. J’étais pas fâché. C’était un type fort sympathique. Il n’avait aucune mauvaise intention. Et c’est pour ça que ça me faisait autant de peine. Par un drôle de hasard, il m’avait dit tout haut ce que bien des gens devaient penser de moi, en me croisant ici et là.

Et c’est comme si tous ces jugements injustes, pas méchants, juste ignorants, que je ne soupçonnais même pas, venaient d’éclater, en même temps, en moi.

La maudite apparence.

Pourquoi le monde s’arrête toujours à ça ? Quand ce qu’il y a de plus beau commence après.

Le corps n’a rien à voir avec l’esprit. L’apparence n’a rien à voir avec la substance. Quand allons-nous finir par le comprendre ? On ne comprendra pas l’univers avant d’avoir compris ça.

On n’aura pourtant jamais eu un plus bel exemple de ça, une plus belle preuve vivante que Stephen Hawking.

L’auteur d’Une brève histoire du temps disait qu’il devait sa renommée internationale au fait qu’il était cloué à un fauteuil roulant. Il savait que c’était son état qui le rendait si fascinant.

Il était, pour ce monde d’apparences, un mystère.

Il serait temps qu’il devienne une vérité.

Que l’on cesse de présumer, lorsque l’on voit une personne différente, qu’elle doit être inférieure. Pas fine, fine. Slow. Alors qu’elle est comme tout le monde. Sûrement pas aussi géniale que Hawking. Mais pas plus conne qu’une autre. Et surtout, notre égale. Comme n’importe qui.

Bien sûr, il y a des gens avec des limites corporelles qui ont des déficiences intellectuelles, comme il y a des gens avec des corps d’athlète qui ont des déficiences intellectuelles. Et sait-on seulement c’est quoi, la déficience intellectuelle ?

Laissons vivre. Laissons vivre.

On ne connaît même pas tous les recoins de notre propre petit univers à nous, alors cessons de croire qu’on peut connaître celui de l’autre d’un seul regard. D’un seul jugement.

Stephen Hawking aura fait grandement avancer la science. Mais il aura aussi, j’espère, fait avancer les mentalités.

Sa plus belle théorie, c’était lui.

Merci de m’avoir aidé à ne pas avoir honte.

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