Architecture

Architecte pour gens riches et célèbres

Le succès tient parfois à bien peu de choses. Une rencontre. Une coïncidence. Une proposition. Et dans le cas de Richard Landry : à un refus. Portrait d’un architecte québécois au pays des gens riches et célèbres.

Richard Landry n’avait pas 25 ans quand on lui a proposé un confortable – et prestigieux – poste de professeur à l’Université de Montréal, après ses études. Un poste que la plupart des étudiants auraient accepté avec fierté, mais qu’il a – un peu effrontément, ont sûrement pensé plusieurs — décliné. Histoire de voir s’il n’y avait pas mieux à faire ailleurs. Ce qui était le cas.

« Je savais depuis l’âge de 6 ans que je voulais être architecte : je ne voulais pas parler de l’architecture, je voulais la créer ! », raconte-t-il de sa maison de Malibu.

On est alors en 1981. L’économie de l’Alberta est en bien meilleure posture que celle du Québec : il s’y installe trois ans avant que la récession ne frappe là-bas à son tour. C’est là qu’il entend l’appel de Los Angeles. « On ne parlait que d’elle, du boom qu’elle vivait (c’était l’année des Jeux olympiques) alors sans trop réfléchir, je suis parti. »

Il met tout ce qu’il possède à l’arrière de sa petite Civic – c’est-à-dire pas grand-chose — et se promet de garder juste assez d’argent pour rentrer au Québec s’il se casse la gueule. Précaution inutile. Une semaine après son arrivée, il a déjà quatre offres d’emploi ! Il est engagé dans une firme spécialisée dans les parcs d’attractions. « Je n’avais fait que du commercial, en Alberta, j’aimais l’idée de me lancer dans des projets complètement fantaisistes. Cela m’a ouvert sur une diversité incroyable de styles – je devais faire de l’architecture italienne, puis grecque, etc. J’ai appris l’importance de faire des recherches poussées pour que les détails concordent bien avec l’époque. »

Il passe ensuite dans un cabinet d’architectes spécialisé dans les maisons de luxe dans Beverly Park, qu’il quitte trois ans plus tard pour divergences d’opinions. Mais ses clients le suivent ou le recommandent tant et si bien qu’après six mois, il compte déjà quatre employés à son compte. Le groupe Landry Design était né.

La suite du conte de fées, il la doit à ce collègue entrepreneur de maisons haut de gamme qui l’a référé au saxophoniste Kenny G. « Tout est parti très vite ensuite : on ne le réalise pas de l’extérieur, mais le monde des gens riches et célèbres est très petit », lance Richard Landry dans un français impeccable, malgré 30 ans d’exil en sol américain.

L’EFFET KENNY G

À la pendaison de crémaillère de Kenny G, il rencontre le légendaire champion de boxe Sugar Ray Leonard, qui l’embauche sur-le-champ pour son palace de Los Angeles. Vinrent ensuite la top modèle Gisele Bündchen, Eddy Murphy, Michael Bolton, Rod Stewart, Sylvester Stallone et, plus récemment, Mark Wahlberg. Il a encore peine à croire qu’un matin, c’est Wayne Gretzy en personne qui l’a appelé chez lui pour l’embaucher. « Je disais toujours à la blague que nos destins étaient liés parce qu’on a habité en même temps en Alberta – où j’adorais aller le voir jouer — et qu’on a déménagé en même temps à Los Angeles. J’étais convaincu qu’un ami me faisait une farce. »

Avec une clientèle pareille, ses projets sont, c’est le moins qu’on puisse dire, hors du commun. Des maisons souvent immenses, pour ne pas dire gigantesques, aux attributs spectaculaires : un cinéma, des allées de bowling, une galerie d’art et même un parc aquatique…

« Les gens célèbres aiment préserver leur intimité, préfèrent avoir leur cinéma à la maison plutôt que d’avoir à sortir et affronter les paparazzis. » — Richard Landry

Avec le temps, il a aussi pris l’habitude d’intégrer certaines « considérations » propres à cette clientèle si particulière : prévoir deux cuisines – l’une pour les employés, l’une pour le chef des propriétaires — penser au déploiement des gardes de sécurité, un jardin à l’abri des regards indiscrets, etc.

CHERS MANOIRS

Le budget va de soi. Une « petite maison » signée Richard Landry (car il en fait aussi) fait tout de même 4000 pi2. Les plus grandes peuvent faire jusqu’à 50 000 pi2, mais il a titillé la barre des 200 000 pi2 (pour un contrat à l’étranger), avec un tarif minimal de 400 à 500 $ US le pied carré. Oui, on parle d’enveloppes de plusieurs millions chaque fois… la valeur du domaine d’un magnat de la presse égyptien dépasserait même le milliard.

Ses créations colossales ne plaisent pas à tous. Il a ses détracteurs. Le New York Times l’a baptisé le « roi des mégamanoirs » (« the king of mega mansion »), un titre dont il ne veut pas. « Ce qui me caractérise vraiment, c’est que je suis très à l’écoute des besoins. On me dit souvent que j’ai un sixième sens pour deviner ce que le client veut même s’il a du mal à le nommer clairement. »

LE STYLE DU CLIENT

Il affirme d’ailleurs qu’il ne possède pas de « signature » qui lui est propre, préférant donner plus d’espace aux volontés de ses clients. Il aime Andrea Pallation, Zaha Hadid, Wallace Ness, Paul Williams, mais n’impose jamais un style.

« Ce n’est jamais ce qui est à la mode qui nous dicte quoi faire, mais ce que désirent vraiment les clients, ce qui les rend heureux. C’est pour ça qu’on travaille dans un spectre très large : certains veulent des maisons plus petites, plus grandes, plus modernes, plus classiques. On les écoute ».

Lui, il occupe une résidence moderne sur la plage de Malibu, après des années passées dans un modèle champêtre conçu avec le bois récupéré d’une grange ancestrale québécoise. « J’aime beaucoup de choses, beaucoup de styles », dit-il.

D’aucuns le lui reprochent, mais cette ouverture et cette absence apparente de dogmes sont peut-être au contraire ses meilleurs atouts. « Je n’ai jamais imaginé que je pourrais avoir la carrière de rêve que j’ai, je n’ai jamais eu de plan de carrière, pas même sur un horizon de cinq ans et je pense que cela m’a aidé à me rendre jusqu’ici. Sinon, je me serais sûrement retenu de partir parce que c’était très téméraire, mais je n’ai jamais eu peur de défoncer des portes et mon chemin a été parsemé de belles coïncidences. »

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