ÉDITORIAL

Mirages scandinaves

Après la Loi de Godwin*, on pourrait inventer une nouvelle règle pour le Québec. Toute discussion sur une politique publique culminera inévitablement avec une comparaison à la Scandinavie.

Le fameux modèle de ces pays nordiques est récupéré par tous les camps. Malheureusement, on aborde trop souvent la question à l’envers. Le débat ne devrait pas porter sur la générosité des programmes sociaux. Il devrait plutôt porter sur le financement qui les rend possibles. Ce recadrage est particulièrement important, alors que le gouvernement Couillard retourne toutes les pierres pour trouver quatre milliards et équilibrer le prochain budget.

La Suède, le Danemark et la Finlande** se démarquent autant par leur croissance économique que par leur justice sociale. Les programmes sociaux du Québec n’ont toutefois pas à rougir de la comparaison. C’est ce que démontre Le Québec comparé aux pays scandinaves***, un essai à la fois fouillé et accessible codirigé par Stéphane Paquin. Par exemple, le Québec affiche des résultats comparables pour le niveau d’inégalité, le taux d’activité, les heures travaillées, la diplomation scolaire et les résultats des élèves aux tests internationaux.

Le problème se trouve dans le financement de ces programmes. Le Québec accuse un important retard pour sa productivité, son déficit, ses exportations et sa dette. Ces problèmes se sont transformés en déficit structurel. La Suède et le Danemark faisaient face à des problèmes similaires dans les années 90. Ils ont réussi à maintenir leurs programmes grâce à d’ambitieuses réformes.

La première, c’était la fiscalité. Le taux d’impôt québécois sur le revenu et sur les entreprises se compare à ceux des pays scandinaves. L’écart se trouve dans les taxes à la consommation. Elles s’élèvent à 25 % dans les pays scandinaves. Une telle taxe ne tue pas forcément la croissance. Elle n’est pas non plus régressive, à condition d’en utiliser les recettes pour financer les programmes sociaux, soutient M. Paquin. Ce modèle fonctionne, car les programmes bénéficient également à la classe moyenne, et parce que l’efficacité de l’État est une « religion ». La transparence permet de la vérifier.

L’autre chantier, c’est la réforme de l’État. Il a été massivement décentralisé. Il ne reste que 13 ministères et 4500 fonctionnaires en Suède. Le politique donne les orientations, et des agences indépendantes les appliquent. Les négociations avec les syndicats sont moins fastidieuses. Les primes récompensent plus la performance que l’ancienneté.

En santé, on y dépense moins dans le privé qu’au Québec. Par contre, le système public n’est pas autant bureaucratisé, et il est mis en concurrence. L’informatisation du système de santé facilite ces comparaisons. De plus, les incitatifs sont aussi très différents des nôtres. Un hôpital qui évite de surmédicamenter ses patients ou qui a peu de files d’attente recevra plus d’argent.

Malgré certains ratés au départ, la Suède dépense une part de moins en moins importante de son budget en santé, alors que les coûts explosent au Québec. Si on pouvait seulement dégonfler ainsi le pachyderme de la santé tout en protégeant l’accessibilité, ce serait un petit miracle.

*La Loi de Godwin soutient que tout débat public sur un sujet émotif culminera avec une analogie nazie. C’est une théorie mi-sérieuse, mi-satirique.

**La Norvège n’est pas incluse dans l’analyse. Son PIB dépend à 30 % du pétrole, ce qui biaiserait la comparaison.

***Social-démocratie 2.0 : le Québec comparé aux pays scandinaves, sous la direction de Stéphane Paquin, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie politique internationale et comparée, ainsi que Pier-Luc Lévesque, Les Presses de l’Université de Montréal.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.