Histoires montréalaises

Ma visite au cloître

Il y a un an, au hasard d’une balade qui n’avait pas de but précis, je me suis retrouvé devant le cloître des Carmélites, dans le nord du Plateau Mont-Royal. Cet endroit splendide, cerclé d’un immense mur de pierres, laisse croire un instant qu’on est complètement ailleurs. En effet, dans cette ville qui fut autrefois celle des « cent clochers », au cœur d’un arrondissement jeune et grouillant, la présence de ce monastère dédié entièrement à la contemplation relève du surréalisme.

C’était un dimanche et comme l’eucharistie prenait fin, je me suis faufilé dans la chapelle. Sœur Mireille était là à éteindre les lumières et à ranger les Prions en Église. Haute comme trois pommes, joviale comme dix, elle a entrepris de me raconter l’histoire de ce lieu qui intrigue les visiteurs par son mystère.

Sœur Mireille, qui pourrait rivaliser avec Sœur Sourire ou la sœur volante par sa bonhomie et son franc-parler, a piqué ma curiosité. Ainsi, le lundi matin, j’ai pris contact avec la prieure (équivalent de la mère supérieure) afin de pouvoir visiter le cloître et rencontrer quelques religieuses. Je me voyais déjà en train de fabriquer des hosties (principale activité économique de ces religieuses) en fredonnant avec elles le répertoire complet de la Mélodie du bonheur. Disons que la prieure a mis un frein assez vite merci à mon fantasme.

« Vous savez, si on a fait le choix de vivre ainsi, c’est pour une raison en particulier », m’a-t-elle dit avec tact et douceur.

En d’autres mots, elle me disait que les 13 carmélites qui vivent en communauté dans ce monastère recherchent le silence et la tranquillité et n’ont pas tellement envie de la présence d’un journaliste branché sur le 220.

Elle m’a toutefois dit de rappeler la prieure qui serait choisie aux prochaines élections pour re-soumettre ma demande. Ce détail n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

La nouvelle prieure est sœur Marie-Denise. C’est elle qui occupera ce poste pour les trois prochaines années. Au bout de trois conversations téléphoniques, elle a finalement accepté de me rencontrer pour me parler de la vie des carmélites de Montréal, qui sont arrivées de Reims, en France, en 1875.

Jeudi dernier, je me suis pointé au cloître à l’heure dite. On m’a amené dans une pièce divisée en deux par une grille. Sœur Marie-Denise et sœur Denise sont arrivées par une porte derrière la grille. C’est ainsi que nous avons conversé pendant deux bonnes heures.

« Nous sommes une sorte de gaspillage. Personne ne nous voit », me dit d’emblée sœur Marie-Denise en souriant. « Nous sommes en apparence inutiles, comme les racines d’un arbre, renchérit sœur Denise. On ne voit pas les racines, mais l’arbre en a besoin pour se nourrir. »

L’âge moyen des carmélites de Montréal (il existe des cloîtres à Trois-Rivières, Tewkesbury et Dolbeau) est d’environ 60 ans. Coquettes comme tout, les deux religieuses ont refusé de me dire leur âge. J’ai toutefois appris que sœur Denise a fait son noviciat à 21 ans et que sœur Marie-Denise a reçu « l’appel » tardivement, soit à 41 ans.

« J’avais environ 12 ans, raconte sœur Denise. J’ai été clouée au lit à cause d’une maladie. Et c’est là que j’ai senti l’appel pour la première fois. Après avoir connu une hésitation quant aux choix de vie des carmélites, sœur Denise a décidé d’y adhérer pour de bon. Cela prend environ six ans avant de devenir officiellement carmélite.

« Plusieurs jeunes femmes ont une soif spirituelle, mais pour la plupart, le cloître est trop exigeant », explique sœur Marie-Denise. Il arrive donc que des religieuses quittent ce cheminement en cours de route. « Nous vivons ces départs comme un deuil », ajoute-t-elle.

La vie au cloître est en effet stricte et astreignante. Une journée type ressemble à ceci : 

5 h 20 : Lever

6 h 00 : Première oraison

7 h 00 : Laudes

7 h 45 : Tierce

8 h 00 : Eucharistie

8 h 45 : Petit-déjeuner

9 h 15 : Période de travail

11 h 45 : Sexte

12 h 00 : Dîner

13 h 00 : Récréation

13 h 15 : None

14 h 10 : Temps de lecture spirituelle

15 h 00 : Période de travail

16 h 30 : Vêpres

17 h 00 : Deuxième oraison

18 h 00 : Angélus

18 h 15 : Souper

19 h 45 : Office des lectures et complies

Et c’est ainsi tous les jours de l’année. La plupart de ces activités se déroulent dans le silence. Pendant les repas, une religieuse lit des textes spirituels. Les carmélites se tiennent loin de la télévision et de la radio. Pour ce qui est des journaux, sœur Denise est chargée de résumer en quelques minutes les sujets d’actualité les plus importants.

« Cela nous évite d’avoir contact avec le bruit extérieur et les publicités, explique sœur Marie-Denise. Imaginez un instant si vous tentiez de faire le vide pendant une heure. Plein de choses traverseraient votre esprit. Nous tentons donc d’éliminer le plus possible ces éléments afin d’aller vers le recueillement. »

Plus ces deux femmes charmantes me parlent de leur mode de vie, plus je me dis qu’elles vivent à des années-lumière de la réalité ambiante. Elles qui ne sortent du cloître qu’une fois par année pour visiter le dentiste ou le médecin ont-elle parfois des envies de liberté ? « Mais vous savez, nous avons droit à deux retraites par année, dit sœur Marie-Denise. Mais c’est pour prier. Ce sont nos vacances », ajoute-t-elle en riant.

Regrettent-elles ce choix de vie parfois ? Imaginent-elles ce qu’aurait pu être leur vie si elles avaient fait le choix de vivre en dehors du cloître ? « Quand on reçoit des membres de notre famille pour des visites et qu’ils viennent avec leurs enfants, on les trouve beaux, dit sœur Denise. Vous savez, nous demeurons des femmes », m’a-t-elle dit tendrement.

Je leur demande si elles sont victimes du regard ou du jugement des gens, notamment de leurs proches. « Mes parents ne sont jamais venus me visiter », me dit sœur Marie-Denise en tentant d’esquisser un sourire.

La discussion prend fin avec le son de la cloche qui annonce l’office de sexte, la période de chants et de prières qui précède le repas du midi. « N’oubliez pas de mettre un “t” si vous écrivez cela », ajoute malicieusement sœur Denise.

« Vous savez, nous sommes comme tout le monde, ajoute sœur Marie-Denise avant de me quitter. La différence, c’est qu’on tente très fort de donner un sens à la vie. » Avant de se lever, les deux religieuses m’ont suggéré de lire saint Jean de la Croix. « C’est un grand poète. Lisez-le. Il a beaucoup écrit sur la nuit de l’âme. »

Sœur Marie-Denise et sœur Denise m’ont quitté. Elles sont allées rejoindre leurs consœurs dans la pièce située à droite de l’autel de la chapelle, une pièce elle aussi protégée par une grille.

Du fond de la chapelle, on ne peut les voir. Les carmélites ne tiennent pas à être vues. Elles ne veulent pas être les branches, elles se contentent d’être les racines.

Les Carmélites de Montréal

Les premières Carmélites de Montréal sont arrivées en 1875. Elles sont venues de Reims au nombre de six. D’abord installées dans le quartier d’Hochelaga, elles ont érigé un cloître en 1896 dans le quadrilatère formé par les rues Saint-Denis, du Carmel, Henri-Julien et du Laos. En 2003, les Carmélites de Montréal ont entrepris de vendre le cloître à un promoteur qui envisageait le transformer en condos. Devant le tollé créé par certains citoyens qui refusaient de voir disparaître ce joyau du patrimoine religieux, la vente fut annulée. On a alors entrepris des travaux afin de solidifier le mur entourant le cloître, et celui-ci fut classé monument historique en 2006 par le gouvernement du Québec. Le monastère peut accueillir jusqu’à 23 religieuses.

Le Plateau Mont-Royal en chiffres

Langues parlées : 68 % de la population peut soutenir une conversation à la fois en anglais et en français.

Population immigrante : 24 % de la population est immigrante (la France et le Portugal sont les principaux pays de naissance des immigrants).

Appartenance religieuse : 51 % de la population s’associe à la foi chrétienne, 4 % se déclare de religion musulmane ou juive et 1 % des citoyens s’identifient comme bouddhistes. Près de 40 % de la population dit toutefois n’adhérer à aucune religion.

Source : Profil sociodémographique de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal (statistiques de 2011)

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