Robotique

Deux révolutions à l’œuvre

Des robots qui apprennent par eux-mêmes et dont la programmation est devenue un jeu d’enfant. Ce sont ces deux petites révolutions qui ont permis depuis une décennie l’arrivée de l’intelligence artificielle dans des domaines insoupçonnés, notamment en médecine, dans les transports et dans les petites entreprises. Le point avec trois experts.

« Du manuel d’utilisation à l’iPad »

On sait depuis longtemps que les robots sont particulièrement adaptés aux chaînes de montage, où leur rapidité et leur précision leur permettent de remplacer les ouvriers. Depuis 2010, on voit cependant à l’œuvre « une nouvelle vague » d’automatisation, où ces robots, essentiellement des bras manipulateurs, apprennent à être plus polyvalents.

« Il y a un problème bien connu en robotique : ce n’est pas parce qu’une tâche est compliquée pour un humain qu’elle l’est pour un robot, dit Vincent Duchaine, professeur au département de génie de la production automatisée à l’École de technologie supérieure (ETS). Pour un robot, insérer rapidement et avec précision des vis dans un trou, c’est facile. À l’inverse, trouver dans un bac le bon objet, un projet impliquant Amazon sur lequel je travaille, c’est simple pour un humain, plus difficile pour un robot. »

C’est dans ce domaine que se sont démarquées des entreprises comme Robotiq, de Lévis. L’ETS a en outre collaboré à la solution Kinetic Teaching, qui permet d’automatiser facilement le travail du robot. « Ça remplace le programme compliqué de base, avec une interface super simple à la iPad, explique M. Duchaine. Ça, c’est un exemple : au-delà de l’intelligence dans la technique, on a une intelligence dans le transfert du savoir. »

Résultat, des PME qui n’avaient pas les moyens d’investir des centaines de milliers de dollars pour automatiser des tâches disposent maintenant de solutions pour aussi peu que 30 000 $. Avec l’UR5 de l’entreprise Universal Robots, par exemple, « au lieu du manuel d’utilisation, je te prête l’iPad qui va avec, illustre M. Duchaine. Ça devient accessible pour les PME. Universal Robots a vendu des milliers de ses robots en Europe et a permis à de petites entreprises de s’automatiser ».

La fin des métiers de transport

Nicolas Saunier, de Polytechnique Montréal, ne s’en cache pas : le remplacement des humains par la machine est « inévitable et souhaitable » dans le domaine du transport. En 2015, selon un bilan partiel de la Société de l’assurance automobile du Québec, 333 personnes sont mortes et 1493 ont été grièvement blessées sur les routes.

« On a une technologie qui nous permettrait de pratiquement éliminer 80 à 90 % des accidents, dit le professeur au département des génies civil, géologique et des mines. Et ce problème va s’aggraver, surtout dans les pays en développement où l’enrichissement va provoquer une ruée vers les voitures. On a cette technologie à portée de main, il faut y aller. »

M. Saunier rappelle cette bonne blague de l’ex-PDG de Google, Eric Schmidt, qui trouvait illogique qu’on ait inventé l’automobile avant l’ordinateur. « Dans deux générations, nos enfants n’auront pas besoin de permis de conduire et vont trouver qu’on était fous de laisser tous ces gens conduire. »

La révolution actuelle en ce qui concerne les voitures autonomes implique plus que la force brute de calcul des ordinateurs, estime-t-il. « C’est le mélange de force de calcul et d’apprentissage profond (deep learning). Avec cette combinaison, je ne vois pas de limite dans ce que l’ordinateur pourrait faire pour nous remplacer dans nos tâches. »

Il prédit la disparition des métiers liés à la conduite routière, mais anticipe « un certain chaos ». « Qu’est-ce qui va arriver quand tous les chauffeurs seront au chômage ? Le chaos social va être majeur, les réactions à Uber, un autre phénomène disruptif, le montrent bien. Il faut une stratégie pour reclasser tous ces gens, ça se passe là, en ce moment, c’est à nos portes. Mais nos gouvernements ne le voient pas. »

Autonomie = incertitude

Le superordinateur d’IBM Watson est meilleur que les médecins humains pour détecter le cancer. Certains dispositifs ont dépassé le simple niveau d’exécutant qu’avaient les bras automatisés et peuvent prendre des décisions.

« Nous arrivons à un point en robotique où on va avoir des changements significatifs dans le domaine de la santé, nous nous dirigeons vers une ère où nous allons retirer le médecin », estime Ian Kerr, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éthique, droit et technologie à l’Université d’Ottawa.

Il prédit que les avancées dans les domaines de l’aviation et de la conduite autonome vont très bientôt toucher la santé. Une question philosophique se pose alors : plus les machines sont autonomes, plus leur comportement devient imprévisible.

Une illustration claire a été donnée dans le deuxième match impliquant AlphaGo, qui a vaincu le champion mondial de go plus tôt ce mois-ci. « AlphaGo a fait un geste qu’aucun être humain n’aurait fait et, au début, les gens de Google Deepmind croyaient qu’il y avait erreur. Mais ce n’en était pas une. »

Se pose alors une question délicate, surtout en médecine : sur quelle base refuser que la machine autonome effectue une action qui peut sembler incompréhensible et imprévue ? « Plus nous programmons les machines pour être autonomes, plus elles peuvent se comporter de façon imprévisible, a rappelé M. Kerr lors d’une conférence donnée plus tôt ce mois-ci à l’Université de Montréal. Ce n’est pas un bogue, mais une caractéristique. »

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