Entrevue

Le père Benoît Lacroix souffle 100 bougies

Lorsque le père Benoît Lacroix est né, le Canada était engagé dans la Première Guerre mondiale. Le pont Jacques-Cartier n’existait pas. Le premier ministre du Québec était un certain Lomer Gouin. Le Titanic avait coulé seulement trois ans plus tôt. Le prêtre dominicain qui a enseigné l’histoire médiévale pendant 40 ans à l’Université de Montréal s’apprête aujourd’hui à souffler ses 100 bougies. La Presse est allée à la rencontre de cet homme qui a été aux premières loges des crises religieuses qui ont secoué le Québec pendant un siècle.

Qu’est-ce que ça vous fait, d’avoir bientôt 100 ans ?

C’est très étrange, on me regarde comme un oiseau rare, je me sens comme une pièce de musée. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte, mais je suis né deux ans avant le pont de Québec. Je suis le contemporain de Freud, de Gandhi et de mère Teresa.

L’intérêt des gens pour mon âge vient peut-être aussi du fait que je suis encore un peu en santé, je suis encore très actif. Je fais de la radio, je publie deux livres cet automne. J’ai l’impression que les gens veulent savoir comment on se rend jusqu’à 100 ans, c’est comme une conquête. J’ai fait attention à ma santé. Je suis un bon vieux garçon. Je considère que le rythme de vie et un peu la bonne humeur peuvent jouer. Mais je n’ai pas de recette. Je dis toujours : aussitôt que vous allez cesser d’aimer, vous allez vieillir, et je suis à peu près certain que c’est vrai.

Comment avez-vous vécu l’évolution de la société québécoise par rapport à l’Église catholique ? On parle parfois de « grande noirceur » pour décrire l’époque avant que le Québec s’émancipe du clergé…

La crise religieuse me fait mal, parce que je ne croyais pas qu’elle viendrait aussi vite. En deux ans, les gens ont cessé de venir dans les églises catholiques. Ça me rend nostalgique. J’ai vécu dans cette période et il ne faisait pas noir. C’était brun quelques fois, mais pas noir.

C’est allé trop vite, mais on ne détruit pas le passé, on l’intègre. La crise ne me gêne pas, mais me déçoit. Non pas parce qu’elle est arrivée, mais par la façon dont on n’a pas géré le problème. On commence aujourd’hui à réfléchir sur les religions à cause de l’islam. C’est étrange. Et on porte des jugements rapides, et sur l’islam et sur la religion d’autrefois. On n’était pas habitué à critiquer la religion, on la suivait. Si on l’avait critiquée un peu plus, elle serait dans de meilleures conditions aujourd’hui.

Quel regard posez-vous sur la crise des accommodements raisonnables ?

Au Québec, on est une minorité et, malgré nous, on agit comme des minoritaires. Nous ne sommes pas à l’aise avec les autres. Dans ma jeunesse, les immigrants parlaient anglais, nous n’étions pas sympathiques. Mais on a dépassé ça. Nous sommes plus généreux, plus matures. Le positif dans cette crise est que les gens en parlent beaucoup et sont obligés de réfléchir à leur rapport à leur voisin. Ce n’est plus des questions sur la langue, mais sur notre façon de vivre avec les autres. Ce sont des questions plus sérieuses et difficiles, et dont les réponses sont encore à trouver.

On s’interroge aussi sur le sens des symboles…

Pour moi, la croix de l’Assemblée nationale fait partie de notre patrimoine historique. Je trouve qu’on dramatise parfois en voulant refuser des signes qui font partie davantage du patrimoine qu’un simple symbole d’une religion déterminée.

Que pensez-vous du pape François ?

Depuis quelque temps, le Vatican, avec l’arrivée du pape François, me rassure. Avant, il y avait trop de lois et pas assez de réflexion. Aujourd’hui, la réflexion et la croyance sont premières et non pas la morale. Quand on est rendu, dans une religion, à ne parler que de morale, c’est que la religion est faible et ne mérite pas de continuer.

Croyez-vous que le Vatican devrait intervenir davantage sur la scène internationale, par exemple dans la crise des migrants syriens ?

L’Église parle beaucoup, mais personne ne l’écoute vraiment. Elle doit toutefois continuer à parler. Et le fait que le pape se rende aux Nations unies [une visite prévue le 25 septembre], c’est majeur. Je ne veux pas que le Vatican soit le centre de la moralité publique, mais qu’il soit le centre de réflexion profonde sur les problèmes de l’humanité.

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