Fondation Pierre Elliott Trudeau

Un monde d’idées à découvrir

Une communauté de penseurs et de citoyens renommés tient son 14e forum annuel à Montréal cette semaine. Gros plan sur une fondation unique en son genre, créée à la mémoire de l’ex-premier ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau. 

Un dossier de Réjean Bourdeau

Qu’est-ce que la Fondation Pierre Elliott Trudeau ?

La Fondation présente son 14e forum annuel, Idées essentielles, de mercredi à vendredi, à l’hôtel Omni de Montréal. Voici son parcours en bref.

2001

La Fondation est créée à titre d’organisme de bienfaisance indépendant, sans affiliation politique, avec une vocation éducative.

2002

Le gouvernement du Canada lui confie la gestion du Fonds pour l’avancement des sciences humaines et humanités. À l’époque, la valeur de ce fonds de dotation était de 125 millions. Au 31 août dernier, ses actifs nets s’élevaient à plus de 139 millions. La Fondation peut utiliser les revenus obtenus sur l’investissement de cette somme. Mais elle ne peut pas toucher au capital. La Fondation recueille aussi les dons.

Chaque année, la Fondation offre jusqu’à 15 bourses à des étudiants au doctorat en sciences humaines et sociales. Leur valeur annuelle est de 40 000 $ pendant trois ans, auxquels s’ajoute une somme de 20 000 $ chaque année pour les déplacements, la recherche et l’engagement public.

Les candidatures pour les bourses sont soumises par les universités. Le concours se tient de septembre à décembre. Le nom des boursiers est annoncé en juin de l’année suivante.

En reconnaissance de leurs accomplissements et de leur engagement social, jusqu’à cinq lauréats reçoivent le prix de la Fondation chaque année afin de mener un projet de recherche.

Valeur : 225 000 $ répartis sur trois ans. L’appel des nominations se tient de septembre à décembre. Le nom des lauréats est annoncé en septembre de l’année suivante.

Jusqu’à 12 mentors, des personnalités de tout horizon, sont nommés chaque année. Leur rôle est, notamment, d’appuyer les jeunes doctorants ayant reçu la bourse de la Fondation.

Valeur : 20 000 $ répartis sur trois ans, plus une indemnité totale de 15 000 $ pour les déplacements et l’engagement public. L’appel des nominations a lieu de juillet à septembre. Les noms des mentors sont divulgués au début de l’année suivante.

Parmi les mentors connus :

Philippe Couillard, Louise Arbour, Ed Broadbent, Françoise Bertrand, Michael Fortier, Roméo Saganash, Monique Bégin, Yves Fortier, Pierre Marc Johnson. Justin Trudeau n’est plus impliqué dans la Fondation. Il y a participé de sa création, en 2002, jusqu’en 2014. Il a été élu premier ministre du Canada en septembre 2015.

Source : Fondation Pierre Elliott Trudeau

Fondation Pierre Elliott Trudeau

Une expérience de calibre mondial

Réfléchir, échanger et agir sur la société. C’est la mission d’une communauté de penseurs et d’acteurs clés de tout le pays qui s’est transformée, depuis plus de 10 ans, en une expérience de calibre mondial. Trois participants nous présentent la Fondation Pierre Elliott Trudeau.

Une communauté innovante

Quels sont les droits des personnes transgenres dans les prisons canadiennes et brésiliennes ? Quel est l’avenir des enfants issus de viols en temps de guerre en Afrique ? Comment évaluer l’impact des activités minières sur l’agriculture au pays ? Quels sont les enjeux de sécurité dans la foulée de la lutte contre le terrorisme ? Des centaines d’études sont au cœur des travaux menés par les membres de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Des recherches inédites et innovantes. Des réflexions riches et d’avant-garde. 

Cette intelligentsia, spécialisée en sciences humaines et sociales, compte des professeurs émérites, des chercheurs primés et des doctorants de haut niveau. Sans compter des mentors réputés, regroupant des personnalités de tout horizon, incluant un « club des ex », formé d’anciens ministres, hauts fonctionnaires et, même, de juges de la Cour suprême. 

La Fondation est un lieu de prise de risque intellectuelle. Et une communauté d’idées qui, comme son éponyme, n’hésite pas à aller à contre-courant. « Pierre Elliott Trudeau a été activiste, universitaire, ministre de la Justice, premier ministre et amant de la nature, dit Morris Rosenberg, président de l’organisme. Les quatre grands axes de la Fondation découlent de ça. » 

Les questions chères au 15e premier ministre du Canada se déclinent en différents thèmes. Le premier touche les droits de la personne et la dignité humaine. Le second, la citoyenneté responsable. Le troisième, le Canada dans le monde. Et le quatrième, les populations et leur environnement naturel.

Un carrefour essentiel

« La Fondation est un carrefour giratoire d’intellectuels à une époque où la réflexion n’est pas toujours populaire, dit Michael Fortier, mentor en 2013. Il existe encore trop de décideurs politiques, à l’échelle mondiale, qui associent les intellectuels à une élite qui doit être combattue. » 

Le vice-président du conseil de RBC Marchés des capitaux compare la Fondation aux plus prestigieux programmes des grandes écoles internationales. « Le choc des idées permet à une société de s’épanouir, dit-il. La Fondation le comprend, tout comme d’autres programmes similaires à travers le monde, dont les Bourses Rhodes. » 

À titre de mentor, il a accompagné deux doctorants en droit. Sébastien Jodoin s’intéressait aux droits de la personne et à la gouvernance en environnement. Graham Reynolds, de la Colombie-Britannique, aux libertés d’expression dans le contexte des droits d’auteur. « Ce sont des jeunes très allumés, dit M. Fortier, avocat de formation. Je les ai mis en contact avec des personnes influentes dans leurs domaines d’études. Mais ils m’ont aussi aidé en me présentant leurs sujets, avec leurs angles uniques et créatifs. » 

Ex-ministre conservateur, il avoue s’être questionné sur l’utilité de la Fondation, avant de mieux la connaître. « Force est de constater qu’elle est très utile pour la société canadienne, dit-il. Qu’elle s’appelle Trudeau ou Mulroney, ce n’est pas la question. L’important, c’est ce qu’elle crée entre les jeunes universitaires, les personnes expérimentées et les différentes disciplines. »

Un réseau unique

Ce grand réseau fait de la Fondation Pierre Elliott Trudeau une communauté unique et originale. Après 14 ans, elle compte plus de 400 personnes. Elle regroupe 217 boursiers, 128 mentors et 68 lauréats à travers le pays. Leurs engagements passent par des travaux de recherche, de l’enseignement, des échanges, des conférences et des publications. 

« Cela crée une plus-value tout à fait exceptionnelle », dit Mélanie Millette. La présidente de la Société des anciens de la Fondation constate l’impact de cette synergie. « On retrouve des gens issus du monde académique, du secteur privé, des gouvernements et de la fonction publique, dit-elle. C’est intergénérationnel, interdisciplinaire et multisectoriel. Il n’y a vraiment pas beaucoup d’endroits où les gens de différentes chapelles sont encouragés à échanger. » 

À court terme, ces ponts, bâtis au fil des rencontres, facilitent le travail des chercheurs. Sur une plus longue période, ils peuvent orienter des politiques publiques. « Pour apporter des changements, il faut faire circuler l’information, amener des sons de cloche différents et diffuser les idées dans les médias », dit Mélanie Millette. 

Professeure au département de communications de l’UQAM, boursière de la Fondation en 2011, elle sait de quoi elle parle. Son travail de recherche portait sur les médias sociaux. Elle s’est penchée sur les moyens utilisés par les francophones hors Québec pour faire valoir leur unicité et leur culture. Et pour faire pression sur les élus.

Fondation Pierre Elliott Trudeau

La petite histoire d’une grande aventure

Alexandre Trudeau est administrateur de la Fondation créée à la mémoire de son père. Il raconte ici la petite histoire ayant mené à sa mise sur pied. Et il présente aussi ses objectifs. Voici son récit.

Un grand héritage 

« La Fondation a pris forme après le décès de mon père [septembre 2000]. Ses vieux chums, collègues et amis se sont rassemblés. Ils nous ont fait comprendre, à Justin et à moi, que son décès n’était pas une affaire privée et personnelle, mais une affaire d’État. Et qu’il en allait de même pour son héritage intellectuel. »

Demandes nombreuses

« Pendant ce temps, on recevait aussi des demandes des universités. Ils proposaient des chaires en justice, en environnement, en droits humains, en sciences politiques, en histoire canadienne. On a même eu des demandes du côté de la santé, en lien avec le cancer de la prostate et la maladie de Parkinson. »

Fondation pancanadienne

« Nous avons décidé de rassembler plusieurs volets de son œuvre intellectuelle pour créer une fondation pancanadienne. On a voulu en faire une des plus grandes expériences universitaires au monde. Quelque chose à la hauteur de Harvard, de Yale et autres grandes institutions. »

Bénédiction du premier ministre 

« Nous avons eu la bénédiction du bureau du premier ministre. À l’époque, Jean Chrétien a voulu faire quelque chose à la mémoire de mon père. La Fondation rend hommage à Pierre Elliott Trudeau, comme intellectuel engagé. Et elle offre un soutien dans le domaine des sciences sociales et les humanités, comme le gouvernement avait fait pour le secteur médical. »

Vie intellectuelle

« L’objectif de la Fondation est d’établir une communauté regroupant les meilleurs étudiants au doctorat et postdoctorat, des professeurs et des mentors rattachés au monde pratique. La Fondation veut aller au-delà de l’université. Elle veut sortir des créneaux isolés et donner une expérience de vie intellectuelle à la grandeur du pays. »

Grands leaders

« Il faut travailler à l’émergence et au développement des grands leaders intellectuels au Canada. Et miser sur l’élite méritocratique. Pour la prochaine étape, on élabore la Fondation 2.0. Jusqu’ici, nous avons été très “académiques”. Nous souhaitons aller davantage vers des éléments de leadership. »

Alimenter la pertinence

« La Fondation veut faire rayonner les débats. Faire émerger les discours intellectuels dans les médias et dans le public. Elle veut aider les familles à débattre des idées et des grands enjeux autour de la table de cuisine. Une vie intellectuelle plus riche et une pensée plus audacieuse, c’est ce qui alimentera la pertinence de ce pays. »

Fondation Pierre Elliott Trudeau

Faire vivre les idées

La réflexion des membres de la Fondation Pierre Elliott Trudeau n’est pas coupée du monde réel. Au contraire, leurs idées s’incarnent sur le terrain. Voici un tour d’horizon de certains projets, allant du Québec jusqu’à l’Asie.

René Provost

Professeur titulaire, faculté de droit, Université McGill 

Lauréat 2015 de la Fondation 

Projet : l’administration de la justice par les groupes armés non étatiques en temps de guerre civile

Nez à nez avec les Tigres tamouls

Qu’arrive-t-il des tribunaux quand des groupes rebelles prennent le contrôle d’un territoire ? 

« Tout ne s’arrête pas avec la guerre civile, dit René Provost. Les gens continuent à se marier, à avoir des accidents d’autos et à poursuivre leurs voisins. » Et il faut bien que quelqu’un administre la justice au jour le jour. 

Même dans le cas de l’État islamique (EI) ? 

« Oui, même si c’est un exemple extrême où la justice est violente et expéditive, dit-il. L’EI est très bureaucratique. Ce groupe utilise plein de formulaires et ses propres étampes. » 

Difficile à croire, mais le califat a même créé une Association de protection des consommateurs… 

Pendant l’été, le professeur Provost s’est rendu dans le nord de l’Irak pour faire des entrevues auprès de réfugiés. 

Puis, il est allé au Sri Lanka pour poursuivre ses recherches sur l’appareil judiciaire mis en place par les Tigres tamouls (guerre civile de 1983 à 2009). 

Depuis le début de son projet, il a aussi recueilli des informations sur les Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC). 

Il est encore trop tôt pour conclure. Et des questions restent en suspens. 

Quelles sont les constantes que l’on retrouve dans la gouvernance rebelle ? Et comment les milliers de jugements rendus par les tribunaux insurrectionnels au fil des ans sont-ils appliqués, ou reconnus, une fois les rebelles vaincus ? À suivre.

Cleo Paskal 

Professeure auxiliaire et chercheuse associée, département de géopolitique, Chatham House, Londres 

Lauréate 2015 de la Fondation 

Projet : changements stratégiques dans l’Indo-Pacifique et répercussions pour le Canada

À l’avant-poste de la progression chinoise

De ses bureaux de Londres et de Montréal, Cleo Paskal jette un regard fascinant sur les stratégies des pays d’Asie. Elle le fait en mariant des informations académiques et politiques… à celles de la défense et des services de renseignements. 

« La Chine prend de plus en plus de place en Océanie, remarque-t-elle. Et ce n’est pas bien documenté. »

L’Océanie fait partie de la troisième, et dernière, « barrière virtuelle » mise en place par les Alliés pour contenir la progression communiste en Asie. 

Elle comprend l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Fidji, Samoa, Tonga, etc. 

« C’est la dernière ligne avant les côtes canadiennes sur le Pacifique, souligne Mme Paskal. Et c’est une zone économique très importante. » 

Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada ont créé l’Alliance des cinq yeux (Five Eyes) pour épier l’Asie. 

Mais il y a un hic, constate la chercheuse. L’Australie et la Nouvelle-Zélande, chargées de faire la veille sur les avancées de la Chine en Océanie, se rapprochent elles-mêmes du géant chinois. 

Signe d’inquiétudes à Washington, Mike Pence, James Mattis et Rex Tillerson ont visité l’Australie ces derniers mois. 

« Tous les pays d’Océanie profitent des investissements de la Chine, constate Mme Paskal. Ça favorise les relations. » 

Risquons-nous de perdre des alliés ? Cleo Paskal poursuit ses travaux avec la Fondation. Et avec le CERIUM de l’Université de Montréal.

Jason Edward Lewis 

Professeur titulaire, département de design et d’arts numériques, Université Concordia 

Lauréat 2014 de la Fondation 

Projet : permettre à de jeunes autochtones d’imaginer un avenir prospère pour leurs communautés à l’aide des médias interactifs

Imaginer le monde autochtone du futur

Jason Edward Lewis est un chercheur étonnant. C’est aussi un poète, un artiste des arts numériques et un concepteur de logiciels. 

Il a développé son projet pour la Fondation en collaboration avec l’artiste mohawk Skawennati. « On a constaté que les jeunes autochtones n’avaient pas une bonne image de leur avenir, dit-il. Comme on est des fans de science-fiction, on a eu l’idée d’utiliser le futur pour imaginer un avenir intéressant pour nos communautés », explique-t-il. 

Il faut dire que les Stars Wars et Blade Runner de ce monde ont peu de résonnance dans le contexte autochtone. Il fallait donc mettre en place une équipe pour développer cette nouvelle vision. 

Pour y arriver, des participants apprennent les techniques pour programmer et créer des modèles 3D. 

D’autres créent des histoires. Ça peut être à partir de leurs vécus, des récits de leurs grands-parents ou de légendes autochtones, comme le Géant de pierre et la Femme-singe. 

C’est ensuite monté en séquences de jeux vidéo. 

Un exemple ? Dans TimeTraveller, un jeune Mohawk du XXIe siècle possède des lunettes futuristes. Elles lui permettent de se projeter dans le temps pour revisiter le passé et créer l’avenir. 

« Imaginer l’avenir est un moteur très puissant, dit le professeur d’origine cherokee et hawaïenne. Il signifie que nous serons encore là dans sept générations. »

Danielle Juteau 

Professeure émérite, département de sociologie, Université de Montréal 

Lauréate 2003 de la Fondation 

Projet : ses travaux portent sur les minorités, la transformation des frontières ethniques et sur la citoyenneté.

Une pionnière à tous égards

Danielle Juteau a une aura bien particulière à la Fondation. 

Elle est de la toute première cohorte de lauréats en 2003. Et elle a vu cette communauté intellectuelle s’épanouir au cours des 14 dernières années. 

« La bourse et les activités de la Fondation ont exercé une influence déterminante sur mes travaux de recherche et d’écriture », dit-elle. 

Cette professeure émérite, reconnue à l’étranger, est aussi une pionnière dans l’univers de la sociologie. 

Pendant sa carrière, Mme Juteau a étudié les rapports de pouvoirs dans la société. Elle a ouvert de nouveaux champs d’études sur les relations hommes-femmes. Et elle a participé « activement » aux études féministes. 

Ses travaux ont aussi porté sur le rapport des Québécois avec les Canadiens anglais, comme groupe majoritaire. 

Puis, après le référendum de 1980, la professeure a élargi sa réflexion sur le rapport des Québécois d’origine canadienne-française avec les autochtones et les immigrants. 

Dans cet esprit, elle a fondé le Centre d’études ethniques de l’Université de Montréal. 

Danielle Juteau est toujours liée à la Fondation. Elle participe à des activités et continue d’échanger avec ses membres. 

« C’est une véritable communauté, nourrie de rapports entre les gens, dit-elle. Et elle s’incarne dans des projets qui peuvent faire une différence. »

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