René Provost
Professeur titulaire, faculté de droit, Université McGill
Lauréat 2015 de la Fondation
Projet : l’administration de la justice par les groupes armés non étatiques en temps de guerre civile
Nez à nez avec les Tigres tamouls
Qu’arrive-t-il des tribunaux quand des groupes rebelles prennent le contrôle d’un territoire ?
« Tout ne s’arrête pas avec la guerre civile, dit René Provost. Les gens continuent à se marier, à avoir des accidents d’autos et à poursuivre leurs voisins. » Et il faut bien que quelqu’un administre la justice au jour le jour.
Même dans le cas de l’État islamique (EI) ?
« Oui, même si c’est un exemple extrême où la justice est violente et expéditive, dit-il. L’EI est très bureaucratique. Ce groupe utilise plein de formulaires et ses propres étampes. »
Difficile à croire, mais le califat a même créé une Association de protection des consommateurs…
Pendant l’été, le professeur Provost s’est rendu dans le nord de l’Irak pour faire des entrevues auprès de réfugiés.
Puis, il est allé au Sri Lanka pour poursuivre ses recherches sur l’appareil judiciaire mis en place par les Tigres tamouls (guerre civile de 1983 à 2009).
Depuis le début de son projet, il a aussi recueilli des informations sur les Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC).
Il est encore trop tôt pour conclure. Et des questions restent en suspens.
Quelles sont les constantes que l’on retrouve dans la gouvernance rebelle ? Et comment les milliers de jugements rendus par les tribunaux insurrectionnels au fil des ans sont-ils appliqués, ou reconnus, une fois les rebelles vaincus ? À suivre.
Cleo Paskal
Professeure auxiliaire et chercheuse associée, département de géopolitique, Chatham House, Londres
Lauréate 2015 de la Fondation
Projet : changements stratégiques dans l’Indo-Pacifique et répercussions pour le Canada
À l’avant-poste de la progression chinoise
De ses bureaux de Londres et de Montréal, Cleo Paskal jette un regard fascinant sur les stratégies des pays d’Asie. Elle le fait en mariant des informations académiques et politiques… à celles de la défense et des services de renseignements.
« La Chine prend de plus en plus de place en Océanie, remarque-t-elle. Et ce n’est pas bien documenté. »
L’Océanie fait partie de la troisième, et dernière, « barrière virtuelle » mise en place par les Alliés pour contenir la progression communiste en Asie.
Elle comprend l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Fidji, Samoa, Tonga, etc.
« C’est la dernière ligne avant les côtes canadiennes sur le Pacifique, souligne Mme Paskal. Et c’est une zone économique très importante. »
Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada ont créé l’Alliance des cinq yeux (Five Eyes) pour épier l’Asie.
Mais il y a un hic, constate la chercheuse. L’Australie et la Nouvelle-Zélande, chargées de faire la veille sur les avancées de la Chine en Océanie, se rapprochent elles-mêmes du géant chinois.
Signe d’inquiétudes à Washington, Mike Pence, James Mattis et Rex Tillerson ont visité l’Australie ces derniers mois.
« Tous les pays d’Océanie profitent des investissements de la Chine, constate Mme Paskal. Ça favorise les relations. »
Risquons-nous de perdre des alliés ? Cleo Paskal poursuit ses travaux avec la Fondation. Et avec le CERIUM de l’Université de Montréal.
Jason Edward Lewis
Professeur titulaire, département de design et d’arts numériques, Université Concordia
Lauréat 2014 de la Fondation
Projet : permettre à de jeunes autochtones d’imaginer un avenir prospère pour leurs communautés à l’aide des médias interactifs
Imaginer le monde autochtone du futur
Jason Edward Lewis est un chercheur étonnant. C’est aussi un poète, un artiste des arts numériques et un concepteur de logiciels.
Il a développé son projet pour la Fondation en collaboration avec l’artiste mohawk Skawennati. « On a constaté que les jeunes autochtones n’avaient pas une bonne image de leur avenir, dit-il. Comme on est des fans de science-fiction, on a eu l’idée d’utiliser le futur pour imaginer un avenir intéressant pour nos communautés », explique-t-il.
Il faut dire que les Stars Wars et Blade Runner de ce monde ont peu de résonnance dans le contexte autochtone. Il fallait donc mettre en place une équipe pour développer cette nouvelle vision.
Pour y arriver, des participants apprennent les techniques pour programmer et créer des modèles 3D.
D’autres créent des histoires. Ça peut être à partir de leurs vécus, des récits de leurs grands-parents ou de légendes autochtones, comme le Géant de pierre et la Femme-singe.
C’est ensuite monté en séquences de jeux vidéo.
Un exemple ? Dans TimeTraveller, un jeune Mohawk du XXIe siècle possède des lunettes futuristes. Elles lui permettent de se projeter dans le temps pour revisiter le passé et créer l’avenir.
« Imaginer l’avenir est un moteur très puissant, dit le professeur d’origine cherokee et hawaïenne. Il signifie que nous serons encore là dans sept générations. »
Danielle Juteau
Professeure émérite, département de sociologie, Université de Montréal
Lauréate 2003 de la Fondation
Projet : ses travaux portent sur les minorités, la transformation des frontières ethniques et sur la citoyenneté.
Une pionnière à tous égards
Danielle Juteau a une aura bien particulière à la Fondation.
Elle est de la toute première cohorte de lauréats en 2003. Et elle a vu cette communauté intellectuelle s’épanouir au cours des 14 dernières années.
« La bourse et les activités de la Fondation ont exercé une influence déterminante sur mes travaux de recherche et d’écriture », dit-elle.
Cette professeure émérite, reconnue à l’étranger, est aussi une pionnière dans l’univers de la sociologie.
Pendant sa carrière, Mme Juteau a étudié les rapports de pouvoirs dans la société. Elle a ouvert de nouveaux champs d’études sur les relations hommes-femmes. Et elle a participé « activement » aux études féministes.
Ses travaux ont aussi porté sur le rapport des Québécois avec les Canadiens anglais, comme groupe majoritaire.
Puis, après le référendum de 1980, la professeure a élargi sa réflexion sur le rapport des Québécois d’origine canadienne-française avec les autochtones et les immigrants.
Dans cet esprit, elle a fondé le Centre d’études ethniques de l’Université de Montréal.
Danielle Juteau est toujours liée à la Fondation. Elle participe à des activités et continue d’échanger avec ses membres.
« C’est une véritable communauté, nourrie de rapports entre les gens, dit-elle. Et elle s’incarne dans des projets qui peuvent faire une différence. »