OPINION RÉSEAU ÉLECTRIQUE MÉTROPOLITAIN

Une baronnie au cœur de la métropole

Dans un article intitulé « La constitution ferroviaire » paru dans l’encyclopédie en ligne L’Agora, un collègue de l’UQAM, Marc Chevrier, rappelle que les Pères de la Confédération ont cru nécessaire de doter les compagnies ferroviaires de nombreux privilèges afin de satisfaire promptement les demandes des élites des territoires qu’on souhaitait rattacher au Canada de l’époque et de contrer par cela même les velléités d’annexion aux États-Unis.

Concessions foncières colossales, compensations économiques plus que généreuses, pouvoirs d’expropriation, immunité face aux lois des provinces et aux réglementations municipales ont fait des entreprises ferroviaires sous juridiction fédérale de véritables baronnies.

Loin d’être anecdotiques, les effets de ce statut se font toujours sentir aujourd’hui. La piètre qualité du transport ferroviaire passager interurbain est en bonne partie le résultat de la décision unilatérale prise par le CP et le CN, dans les années 70, d’abandonner un service jugé non rentable alors même qu’ils ont conservé la propriété des voies et jouissent toujours de la priorité absolue accordée au transport des marchandises. 

La tragédie de Lac-Mégantic, le litige concernant l’entretien du pont de Québec, l’impossibilité d’améliorer le service de train de banlieue sur certaines lignes empruntées par les lourds convois de marchandises tout comme l’intransigeance des compagnies en ce qui concerne le statut des corridors ferroviaires en milieu urbain, sont quelques-unes des manifestations de ces privilèges qui n’ont jamais été remis en question et qui rendent dubitatif plus d’un observateur européen.

Aussi y a-t-il lieu de s’étonner que le gouvernement québécois ait récemment décidé de consentir à la Caisse de dépôt et placement des pouvoirs et des privilèges qui s’apparentent à plus d’un égard à ceux auxquels ont eu droit les compagnies ferroviaires du XIXe siècle.

En vertu de la Loi visant à permettre la réalisation d’infrastructures par la Caisse de dépôt et placement du Québec, la Caisse n’est en effet assujettie à aucune instance politique métropolitaine ou locale. Elle ne l’est pas non plus à la nouvelle Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), dont les travaux devraient commencer le mois prochain et dont les membres seront placés devant un fait accompli dans le dossier du Réseau électrique métropolitain (REM).

Elle acquerra à vil prix les infrastructures qu’elle intégrera à son réseau et exercera un monopole sur le tunnel du mont Royal, acquis au rabais et au détriment de la ligne de train de banlieue de Mascouche et d’un éventuel service passager interurbain Montréal-Québec opéré par VIA Rail. Elle pourra par ailleurs compter sur un pouvoir d’expropriation du ministère des Transports spécifiquement renforcé aux fins de la réalisation du REM.

En vertu de cette même loi, la Caisse sera par ailleurs propriétaire de l’ensemble des infrastructures empruntées par ses trains, qu’elle exploitera comme bon lui semblera et qu’elle pourrait modifier ou vendre sans avoir à rendre de comptes à personne. Elle pourra dicter à son seul profit les modalités d’aménagement des abords des stations. Elle pourrait également exiger des dédommagements si elle considérait que d’éventuels transferts d’usagers vers d’autres composantes du réseau public affectent la rentabilité de ses opérations.

En d’autres termes, la Caisse de dépôt et placement est sciemment soustraite à toute autorité – ce qui est le propre d’une baronnie – , tout en ayant l’assurance qu’elle encaissera un retour généreux sur investissements même si, dans les faits, un tel équipement ne peut faire ses frais.

C’est pourquoi le gouvernement québécois prévoit diverses compensations dont les sommes et les sources ne sont toujours pas définies (budget 2017-2018, volet transport collectif).

On évite ainsi la grogne qui se serait élevée si les municipalités avaient eu à payer ce manque à gagner. Mais cet artifice ne doit pas tromper : ce sera autant d’argent en moins pour le financement par Québec d’autres projets de transport collectif dont la région métropolitaine a un urgent besoin.

Au moment où les élus des municipalités de la Communauté urbaine de Montréal se réjouissent que le gouvernement Couillard leur accorde le statut de gouvernement de proximité, il est particulièrement préoccupant qu’ils acceptent sans mot dire ce coup de force qui les relègue au statut de gérants d’estrade, qui n’ont au surplus pas droit au véritable plan de match en raison de l’opacité de plusieurs volets du projet.

Cela est d’autant plus désolant qu’en agissant de manière aussi cavalière et avec un empressement difficilement justifiable, le gouvernement québécois dénie ex ante toute pertinence à l’ARTM et compromet les modestes avancées du Plan métropolitain d’aménagement et de développement en ce qui concerne l’arrimage entre les préoccupations d’aménagement et de transport.

Le déficit récurrent d’investissements en transport collectif justifie-t-il qu’on se laisse à ce point leurrer par les supposées prouesses technologiques du choix modal proposé par la Caisse ? Et si c’est le prix à payer pour permettre à la nouvelle filiale de la Caisse de faire valoir à l’international ses compétences en financement, en montage de projet, en construction et en exploitation d’un réseau de transport urbain collectif, n’y aurait-il pas lieu de débattre des tenants et aboutissants d’une stratégie dont les coûts devraient être connus de l’ensemble des Québécois ?

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