Opinion Jocelyn Coulon

Poutine est-il une menace pour le monde ?

Vladimir Poutine est devenu l’homme que l’on aime détester en Occident (avec Trump, bien entendu). Demain, il sera réélu à la présidence russe avec une confortable majorité. Même l’opposition, persécutée, reconnaît qu’il n’aura pas à trafiquer les résultats pour obtenir ce résultat.

Il pourra ainsi continuer, disent un certain nombre d’experts, ses malfaisances en Ukraine, en Syrie et un peu partout en Europe et dans le monde.

Remarquez, en passant, qu’il n’est pas le seul à se comporter comme un caïd dans son pays comme sur la scène internationale. Prenez les dirigeants de l’Arabie saoudite, par exemple.

Ils tyrannisent tout le pays et bien au-delà. En Arabie saoudite, il n’y a pas d’élection depuis toujours, les femmes condamnées pour adultère sont décapitées au sabre, l’opposition est inexistante, l’aviation pulvérise au Yémen femmes, hommes, enfants et hôpitaux, et le prince héritier se permet d’enlever le premier ministre libanais, tout cela sans la moindre protestation de la part du Canada, de la France ou des États-Unis, pourtant si indignés par les méthodes de Poutine.

Donc, Poutine sera réélu pour quatre ans à la tête de la Russie. Qu’est-ce que cela veut dire pour le monde ?

Depuis une quinzaine d’années, la Russie tente de reconstruire son statut de grande puissance. À cette fin, le président russe travaille dans deux directions : la modernisation de l’économie et de la société, et le retour sur la scène mondiale.

Il est tentant de réduire le phénomène Poutine à son autoritarisme et à sa violence. Cela ne suffit pas à expliquer son maintien au pouvoir.

Lors de son accession à la présidence en 2000, il prend les rênes d’un pays en plein chaos économique et politique. En quelques années, il élimine la dette extérieure, remplit les coffres du gouvernement, réaffirme l’autorité de l’État et instaure un sentiment de sécurité chez les Russes.

Ce n’est pas rien dans le contexte de l’histoire sanglante et chaotique de la Russie.

Sur la scène internationale, Poutine utilise, parfois, des méthodes brutales – comme en Ukraine et en Syrie  –, mais la plupart du temps, il tisse un réseau de liens avec les nouvelles puissances montantes – la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud  –, et compose parfaitement avec des alliés américains – l’Égypte, Israël, le Pakistan, la Turquie, l’Arabie saoudite  –, afin de promouvoir le développement de son pays et d’éviter ce qui est toujours l’angoisse de la Russie, l’encerclement.

La diplomatie russe, contrairement à ce que l’on croit, est très accommodante. Sur la lutte contre le terrorisme, sur l’Iran, sur la Corée du Nord, sur la prolifération des armes de destruction massive, sur le conflit israélo-palestinien, sur les changements climatiques, et sur la plupart des dossiers de sécurité traités au Conseil de sécurité de l’ONU, elle se range du côté des positions occidentales.

La Syrie et l’Ukraine font exception.

Pendant des années, la Russie a regardé se déployer la catastrophique politique occidentale en Syrie qui consistait à détruire le régime en place sans faire pour autant gagner une opposition gangrenée par les groupes terroristes. En 2015, Poutine a décidé d’intervenir afin de protéger ses intérêts et de détruire l’État islamique qui gagnait du terrain. Si cela passait par le maintien au pouvoir du régime à Damas, Moscou n’y trouvait rien à redire.

Aujourd’hui, la guerre est terminée, l’opposition a perdu et les Occidentaux devraient admettre leur défaite et favoriser un accord de paix au lieu de le saboter.

Sur l’Ukraine, le président russe a toujours été intraitable : son adhésion à l’OTAN constituerait un acte hostile de la part de l’Occident.

La révolution ou le coup d’État du Maidan, favorisé par les Occidentaux, en 2014, a été la goutte qui a fait déborder le vase. En annexant la Crimée et en appuyant la révolte des populations russes dans l’est de l’Ukraine, la Russie s’est assurée que ce pays ne rejoigne jamais l’Alliance atlantique.

Alors, la Russie est-elle devenue une menace pour le monde ? À première vue, c’est l’impression qui se dégage de son activisme militaire. Et la tentative d’assassinat avec une arme chimique d’un agent double russe en Grande-Bretagne, il y a quelques jours, n’a rien pour dissiper les craintes.

La Russie a bien l’intention de poursuive ses ennemis, mais pas nécessairement « dans n’importe quel autre pays occidental », comme l’affirmait la première ministre britannique Theresa May.

En effet, le quotidien israélien Haaretz a révélé cette semaine qu’aucun des très nombreux dissidents et agents russes réfugiés en Israël n’avait été visé par les services russes. Le journal de s’interroger s’il existerait un accord tacite entre les deux pays.

Ce qui soulève au moins la question sur ce qui se passe réellement en Grande-Bretagne avec les agents russes qui y sont réfugiés. Seraient-ils employés par les services secrets britanniques ?

Coups d'épingle

Il faut se rendre à l’évidence : contrairement au titre racoleur de la dernière livraison du Courrier international, Poutine n’est pas maître du jeu. Il préside une puissance pauvre (la Russie a le PNB de l’Australie), dont les ambitions mondiales sont limitées. Ses incursions en Ukraine et en Syrie sont des coups d’épingle. Ses forces armées, même modernisées, révèlent chaque jour leurs limites. Son modèle économique et social ne fait l’envie de personne. Seule sa gouvernance politique autoritaire séduit, y compris dans le camp occidental, comme on le voit avec l’admiration de Trump envers le dirigeant russe.

La Russie conserve toutefois une grande capacité de nuisance. C’est pour cela que nous devons rester vigilants, tout en maintenant le dialogue.

Après l’attentat contre l’agent double en Grande-Bretagne, deux leaders politiques occidentaux ont réagi avec intelligence. À Londres, le chef de l’opposition travailliste britannique, Jeremy Corbyn, a demandé une enquête complète sur ce drame, car de nombreuses zones d’ombre demeurent, et a invité le gouvernement à ne pas céder à la rhétorique de guerre froide.

À Paris, le président Emmanuel Macron a condamné l’attentat, mais a confirmé son voyage en Russie prévu en mai.

Voilà la voie à suivre.

L’auteur publie le mois prochain Un selfie avec Justin Trudeau. Regard critique sur la diplomatie du premier ministre, chez Québec Amérique.

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