AGRICULTURE URBAINE

Mange ta ville

PARIS — Si vous montez jusqu’à la terrasse, sur les toits des Galeries Lafayette, à Paris, vous verrez qu’il y a maintenant, tout en haut du vénérable grand magasin, de vertigineux murs verts.

Verts et parsemés de rouge.

Une bonne partie de l’espace en haut de la terrasse accessible au public a en effet été plantée de rideaux de fraisiers. Fabriquées de toisons de mouton brutes et de chanvre, des pochettes verticales accrochées aux diverses corniches accueillent les plants qui prospèrent.

« Ça rafraîchit et ça produit », explique Yohan Hubert, l’ingénieur agronome d’origine grenobloise, président de l’Association française de culture hors-sol, qui pilote cette opération dont le but est d’approvisionner de grands restaurants de Paris en petits fruits, mais aussi en herbes aromatiques et autres verdures.

Appelée « Paris sous les fraises », cette initiative verte qu’accueillent les Galeries est l’un des nombreux projets tout naturels, tout modernes, souvent bios, qui avancent de front actuellement dans la capitale française où autant la mairie que toutes sortes d’acteurs écologiques et économiques veulent transformer la qualité de vie en ville, mais aussi créer des emplois et un nouveau secteur économique, par la végétalisation comestible citadine.

« Sous les fraises, c’est exactement ce qu’on souhaite faire », explique Pénélope Komites, une ancienne de Greenpeace France et du Parti vert, qui est maintenant adjointe à la maire, chargée notamment des espaces verts, de la nature et de la biodiversité. Avec de tels projets, on ne parle pas uniquement de rafraîchir l’air et de verdir Paris avec des plantes, filtreuses d’air, qui enjolivent rues, places et bâtiments. On parle ici de créations d’entreprises, de réelle production agricole.

Anne Hidalgo, la maire de Paris, est ouvertement et activement en faveur de la végétalisation de sa ville et a un plan quinquennal à cet égard. Encore au début du mois, elle invitait les citoyens par Twitter à venir acheter des plantes à 1 euro (1,30 $ environ) chacune pour les planter chez eux, là où ils le peuvent : terrasses, balcons, cours d’immeuble. « La maire souhaite passer à un modèle urbain beaucoup plus végétal », réaffirme Mme Komites.

ESPACES À VERDIR

Sauf qu’à Paris, la « densité foncière » est remarquable. Rares sont les espaces non bâtis. Les bouts de terre sont difficiles à dénicher. Il y a actuellement une trentaine de projets pour créer de nouveaux espaces verts au sol, explique Mme Komites. Mais en réalité, ça ne pourra être suffisant pour verdir Paris autant que le veut la maire. « Il faut trouver d’autres manières de végétaliser la ville. »

Et c’est là que des projets comme ceux de Paris sous les fraises deviennent importants. « Murs, toits, façades… Il y a des centaines d’hectares qu’on peut encore végétaliser », dit Mme Komites.

Et pas juste pour faire joli.

« Pendant le dernier trimestre, on va lancer un appel aux projets de création de filières économiques. On n’ose pas imaginer qu’en 2020 on nourrira Paris comme ça. »

— Pénélope Komites, adjointe à la maire, chargée notamment des espaces verts, de la nature et de la biodiversité

Et il est même trop tôt pour émettre des souhaits de tonnages de légumes ou de fruits ou encore de lancer des statistiques de création d’emplois. Mais l’objectif est réellement de voir comment la Ville Lumière peut devenir aussi fermière.

Des associations comme Veni Verdi avec ses jardins potagers sur les toits à Vergers Urbains, qui plante des arbres fruitiers pour tous, en passant par V’Île Fertile, les acteurs sur le terrain qui participent à ce verdissement sont nombreux. Certains font du « guerilla gardening » sur la voie ferrée abandonnée en ceinture de Paris, d’autres ont une petite ferme appelée La Recyclerie à la porte de Clignancourt.

Parmi les entreprises phares de ce nouveau mouvement, il y a aussi Topager, qui a notamment installé un jardin comestible sur le toit de la grande école de cuisine Ferrandi, un autre sur le toit d’un des restaurants Terroir Parisien du chef Yannick Alleno à la Mutualité, et un autre sur un toit à l’hôtel Pullman, à deux pas de la tour Eiffel. Là, il y a des tomates, des poules, des abeilles qui butinent et distribuent le pollen activement.

« Paris, c’est ultra dense. Il y a quelques jardins partagés, une ou deux friches, c’est tout », résume Nicolas Bel, ingénieur et cofondateur de l’entreprise, qui a commencé en installant un potager sur le toit d’Agro Paris Tech, où il étudiait le génie. « Il faut donc aller ailleurs. »

RÉINVENTER LE POTAGER

Inspirés par le livre du Québécois Jean-Martin Fortier, Le jardinier-maraîcher, sur l’art de rentabiliser de petites parcelles de terre tout en pratiquant une agriculture biologique, les membres du groupe réinventent le potager suspendu. Comme ils n’ont pas accès au sol, ils travaillent sur un mélange de marc de café ayant servi à la culture de pleurotes – les résidus des champignons sont cruciaux – de bois broyé et de compost, qu’ils peuplent de vers de terre. Donc ils recyclent des déchets urbains pour préparer leur substrat, qui marche en faible épaisseur.

Contrairement au système suspendu mis au point par Yohan Hubert pour Paris sous les fraises, il n’est pas nécessaire d’engraisser ensuite avec de l’eau enrichie.

Autant Topager que Paris sous les fraises ont de vastes ambitions. Topager, explique M. Bel, se lance dans un projet de 3000 m2. Et les poules ? Il y en aura beaucoup plus dans l’avenir. Les Fraises ? Projet de grande envergure aussi dans le 20e arrondissement : 1000 m2 de serres.

« Tant mieux, que tout le monde s’y mette », commente le chef Alain Passard, dont le restaurant s’approvisionne uniquement grâce à ces deux potagers et son propre verger, mais installés il y a une quinzaine d’années à l’extérieur de Paris. « Il est trop tard », répond-il quand on lui demande s’il compte se lancer dans l’agriculture urbaine, lui aussi. « Mais que les autres le fassent, c’est vraiment tant mieux, ajoute-t-il. Comme ça, notre cuisine est tellement plus vivante. »

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